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Visite dans les locaux de la Cour constitutionnelle : Les manœuvres de Tiéman Hubert !

Aux termes de l’article 8 de la loi n° 97-010 du 11 février 1997 portant loi organique déterminant les règles d’organisation  et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que  la procédure suivie devant elle, les membres de la Cour Constitutionnelle ont pour obligation générale « de ne prendre aucune position publique sur les questions ayant fait ou susceptibles de faire l’objet de décision de la part de la Cour, de ne donner aucune consultation sur les questions relevant de la compétence de la Cour Constitutionnelle ».

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En violation de cette interdiction, le journal de 20 heures de l’ORTM daté du 15 mai 2017 révèle qu’une délégation du ministre de l’Administration Territoriale a été reçue ce même jour en audience à la Cour constitutionnelle où elle a eu une séance de travail avec les membres de cette institution dont sa Présidente. Voici donc un ministre qui, à peine installé sur son fauteuil, se permet ainsi de traiter en banale structure administrative aux ordres, une institution judiciaire indépendante constitutionnellement chargé de le contrôler.

Que va chercher le ministre en charge des élections dans les locaux de l’organe intervenant dans contentieux électoral ?

Dans l’interview accordée à l’ORTM par le ministre suite à cette séance de travail, Tiéman Hubert a été on ne peut plus clair en précisant que sa visite dans les locaux de la Cour constitutionnelle « est en prévision de tout ce que nous avons devant nous comme agenda électoral », citant notamment les élections locales, les élections communales partielles, les élections régionales ainsi que le référendum et les échéances de 2018 dont la présidentielle et les législatives. On aura noté au passage-le ministre entouré d’experts électoraux ne pouvant le nier- que la référence aux élections communales, locales et régionales qui n’intéressent nullement la Cour constitutionnelle, pas plus que le rappel des échéances de 2018 par rapport auxquelles le gouvernement n’a aucune visibilité, ne relèvent en fait que d’une diversion tendant à occulter la vraie raison de sa visite incongrue et antirépublicaine dans les locaux de la Cour constitutionnelle. Le ministre finira d’ailleurs par passer aux aveux en précisant : « Tout cela nécessite que le gouvernement travaille étroitement avec différents acteurs » dont justement la Cour constitutionnelle. Encore plus explicite, il ajoute : « Le référendum constitutionnel étant par excellence la matière de la Cour Constitutionnelle, il est utile de venir prendre les suggestions, les avis, même les conseils de la Cour constitutionnelle pour que ces consultations se déroulent le mieux possible, que nous ayons le moins de contestations ». Il termine en rappelant l’objectif ultime visé qui est de « faire en sorte de faciliter la mise en œuvre de l‘Accord d’Alger, apaiser le pays, fidèlement à la feuille de route politique tracée à ce gouvernement ». On perçoit très clairement que le vrai enjeu de cette opération d’incursion dans les locaux de la Cour constitutionnelle réside dans le référendum anti constitutionnel en cours que le Président de la République voudrait imposer au peuple souverain du Mali. Nous ne cesserons de le répéter, puisque la répétition est pédagogique : dans sa forme, la révision constitutionnelle en cours est totalement anticonstitutionnelle, car l’article 118 de la Constitution de 1992 interdit au Président de la République d’engager une quelconque procédure de révision constitutionnelle lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité territoriale comme c’est le cas à Kidal où de manière incontestée et incontestable, la souveraineté de l’Etat du Mali est bafouée et piétinée par les groupes armés de la CMA. Toujours dans la forme, la révision constitutionnelle est également entachée par la présentation irrégulière du projet de loi constitutionnelle qui ne permet guère de savoir exactement les articles faisant l’objet de modifications à l’intérieur des différents Titre du texte de la Constitution. Le projet est abusivement présenté comme une loi portant révision de la Constitution, c’est à dire une loi modificative, alors qu’il n’existe aucune concordance entre les articles modifiés et les articles correspondants originels de la Constitution de 1992. Cette absence de concordance non expliquée ni justifiée est la preuve manifeste qu’il s’agit, non pas d’une Constitution modifiée ou révisée, mais plutôt d’une nouvelle Constitution. Au vu de l’évidence de telles irrégularités grotesques qui entachent le projet présidentiel de tripatouillage de la Constitution de 1992 et qui le condamne presque d’office, le ministre chargé des Elections chercherait-il, à travers sa séance de travail, à faire basculer les juges constitutionnels du côté gouvernemental en les mettant subtilement en garde contre toute remise en cause de la révision constitutionnelle ? Comment s’empêcher de se demander si la séance de travail du 15 mai 2017 n’est pas en fait un canon braqué contre l’indépendance de la Cour constitutionnelle ? Un bref regard sur ses missions constitutionnelles suffit à démontrer toute la pertinence d’un tel questionnement.

 

Rappel du rôle de la Cour constitutionnelle en matière référendaire

La compétence de la Cour constitutionnelle est strictement délimitée par la Constitution qui, à travers des procédures instituées et formelles, organise son intervention avant, pendant et après les opérations référendaires. Selon l’article 86 de la Constitution, « la Cour Constitutionnelle statue sur …… la régularité des élections présidentielles, législatives et des opérations de référendum dont elle proclame les résultats ». Il faut surtout préciser qu’en matière de référendum constitutionnel en particulier, le contrôle de la Cour s’exerce à travers la procédure consultative qui trouve son fondement juridique dans la Constitution (article 118), la loi organique n°97-010 du 11 février 1997 modifiée déterminant les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que la procédure suivie devant elle (article 26), le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle (article 11). Au-delà de ces textes juridiques, la consultation obligatoire de la Cour constitutionnelle dans la procédure référendaire trouve également son fondement dans la jurisprudence de la Cour elle-même, tirée notamment de l’Arrêt CC-n°01-128 du 12 décembre 2001 invalidant la loi de révision ad referendum sous le président Alpha Omar KONARE. L’arrêt CC-n°01-128 du 12 décembre 2001 va expliciter davantage le sens et la portée que la Cour donne à la procédure consultative liée au référendum. Elle affirme notamment « qu’il s’agit, comme tout avis déclaré non contraignant, d’un avis qui ne lie pas son destinataire, donc dont il peut ne pas être tenu compte sans pour autant vicier la procédure de la révision constitutionnelle ». La Cour précise en outre que « cet avis est juridique exclusivement, qu’il porte sur la régularité de la procédure de la révision constitutionnelle et sur certaines nouvelles dispositions qui créent une contrariété dans le texte constitutionnel ou constituent une régression dans la promotion et ou la protection des droits de la personne humaine et dans la transparence en matière de gestion des affaires publiques ». En vertu de l’ensemble de ces prescriptions juridiques, le Président de la République a l’obligation constitutionnelle de saisir la Cour constitutionnelle chargée du respect de la Constitution, aux fins d’examiner dans le cadre d’un contrôle préventif, la conformité de son projet de révision constitutionnelle à l’esprit général de la Constitution et aux principes généraux du droit.  En l’occurrence, pour s’assurer particulièrement de cette conformité, la Cour constitutionnelle est consultée sur tous les textes relatifs à l’organisation du référendum constitutionnel et a toute latitude pour exercer son contrôle en examinant la régularité de la procédure, la forme du texte, et au fond le respect des limites fixées par la Constitution. La séance de travail du 15 mai 2017 se situe complètement en dehors du champ juridique de ce cadre formel républicain.

 

La séance de travail du ministre est une violation de la constitution

L’intrusion rocambolesque du staff technique du ministre chargé des Elections dans la sphère institutionnelle de la Cour constitutionnelle est une violation manifeste du principe d’indépendance consacrée par la Constitution au profit de cette institution. Au nom de ce principe d’indépendance, la Constitution n’a pas prévu de relations fonctionnelles dans la forme à travers laquelle a été organisée la séance de travail du 15 mai 2017 entre la délégation du ministre chargé des Elections et les membres de la Cour constitutionnelle. Au nom de quel principe républicain le ministre de l’Administration Territoriale qui est lui-même, au nom du gouvernement, un justiciable devant la Cour constitutionnelle en matière consultative, de contrôle de constitutionnalité et de contentieux électoral entre autres et selon des procédures formellement instituées par la Constitution, peut-il ainsi dans l’informelle totale se transporter avec son staff technique dans ses locaux pour soi-disant « prendre ses suggestions, ses avis et même ses conseils » ? De quels suggestion, avis et conseils s’agit-il ? Au nom de quel principe d’Etat de droit, la Cour constitutionnelle, en souscrivant à cette séance de travail, peut-elle se rendre complice d’une consultation informelle de la part de l’un de ses justiciables qui anticipe irrégulièrement sur la procédure consultative formelle prévue par la Constitution ? La séance de travail informelle du ministre sollicitant « les suggestions, avis et conseils » de la Cour constitutionnelle est d’autant plus inconstitutionnelle et inacceptable qu’elle intervient alors même que l’Avis officielle formelle de la même Cour est incessamment attendue relativement au projet de loi constitutionnelle actuellement en examen à l’Assemblée nationale conformément aux textes cités plus haut (articles 86 et 118 de la Constitution, article 26 de la loi organique n°97-010 du 11 février 1997 modifiée déterminant les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que la procédure suivie devant elle, article 11 du Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle). Au regard de ce cadre juridique, toutes suggestions, avis ou conseils extorqués à la Cour constitutionnelle par des voies détournées comme la séance de travail rocambolesque du 15 mai 2017 entre la délégation ministérielle et les membres de la Cour constitutionnelle ne peut que s’assimiler à une manœuvre déguisée de mise sous tutelle de la Cour, voire de sa mise en garde subtile quant à toute éventuelle décision future pouvant contrarier « la feuille de route politique tracée à ce gouvernement » qui est de « faciliter la mise en œuvre de l‘Accord d’Alger, apaiser le pays».  Le ministre de l’Administration Territoriale se doit de comprendre que le projet politique présidentiel de révision de la Constitution ne doit et ne peut se réaliser que dans le respect absolu de la Constitution. Si le ministre chargé des Elections éprouve en la matière des besoins d’éclairage juridique, il lui revient de saisir à cet effet son Conseil juridique légal et statutaire qui est la Chambre consultative de la Cour suprême.

 

Le ministre et son staff technique auraient dû se rendre à la chambre consultative de la Cour suprême

Le Ministre de l’Administration Territoriale ignore-t-il que les membres de la constitutionnelle n’ont pas pour mission de jouer aux conseillers du gouvernement en dehors des procédures formellement instituées par la Constitution au nombre desquelles on ne retrouve nulle trace de séances de travail entre la Cour constitutionnelle et le ministre chargé des Elections ? C’est plutôt la Cour suprême à travers précisément sa Chambre consultative qui joue le rôle de conseil juridique du gouvernement aux termes de la Constitution et de la loi organique modifiée n° 96-071 du 16 décembre 1996 sur la Cour suprême. Ainsi conformément à l’article 75 de la Constitution, « les projets de loi sont délibérés en Conseil des Ministres après avis de la Cour Suprême et déposés sur le bureau de l’Assemblée Nationale ». Quant à la loi organique sur la Cour suprême, ses articles 75 et 76 sont assez explicites sur la question. L’article 75 dispose : « Le Président de la Section peut, à la demande des membres du Gouvernement, désigner un membre de la Chambre consultative pour les assister dans l’élaboration d’un projet de texte législatif ou réglementaire ou d’une proposition de loi ». Quant à l’article 76, il précise « La Chambre consultative donne son avis sur tous les projets de lois et décrets et en général sur toutes questions pour lesquelles sont intervention est prévue par les dispositions législatives ou réglementaires oui qui lui sont soumis par le Gouvernement. Elle peut également être consultée par les Ministres sur les difficultés qui s’élèvent en matière administrative ». La loi organique modifiée n° 96-071 du 16 décembre 1996 donne au gouvernement, la faculté de solliciter la Cour suprême non seulement pour requérir son avis y compris quand ce n’est pas obligatoire, mais également pour l’assister dans l’élaboration des textes. Ces dispositions de la Constitution et de la loi organique sont en fait des filtres en vue de garantir au plan juridique la qualité des textes législatifs et réglementaires du pays. C’est dans ce cadre juridique républicain que le gouvernement à travers le ministre de l’Administration Territoriale est fondé à requérir des avis juridiques sur ces projets de textes et autres conseils moins formels notamment sur le processus électoral. Pourquoi le ministre se permet-il, alors que la Constitution et une loi organique lui garantissent les conseils juridiques de la Chambre consultative de la Cour Suprême, d’agresser l’indépendance de la Cour constitutionnelle en l’entrainant sur le terrain d’une séance douteuse du point de vue de l’éthique républicaine et de l’Etat de droit ?

 

Non à la fragilisation de l’indépendance de l’institution !

C’est la question inévitable à laquelle conduit mécaniquement cette dérive intolérable du ministre de l’Administration Territoriale. Car si l’homme politique souvent peu soucieux de considérations juridiques qu’il est peut espérer compoter sur quelques coups de main bien utiles de la part de la Cour constitutionnelle au moment où son Département paraît dépassé par l’ampleur des défis électoraux, c’est à la Cour constitutionnelle de le rappeler sans état d’âme aucun, à l’ordre républicain qui interdit une telle immixtion. En vertu de la séparation des pouvoirs, la Cour constitutionnelle est une juridiction qui doit être indépendante du pouvoir politique et rester fidèle à la lettre et l’esprit du serment suivant prévu à l’article 93 de la Constitution que ses membres doivent prêter : « Je jure de remplir consciencieusement les devoirs de ma charge, dans le strict respect des obligations de neutralité et de réserve, et de me conduire en digne et loyal magistrat ». La séance de travail irrégulière du 15 mai 2017 a servi de cadre de renforcement des accointances douteuses entre la Cour constitutionnelle et le gouvernement au moment où l’opinion nationale attend d’elle le courage de marquer davantage et de manière décisive son détachement des influences politiques qu’elle subies. L’image de la Présidente de la Cour constitutionnelle sur l’ORTM écoutant sagement le ministre de l’Administration Territoriale à sa sortie de la séance de travail avait quelque chose de gênant pour l’institution.

Dr Brahima FOMBA

Chargé de Cours à Université des Sciences  Juridiques et Politiques de Bamako(USJP)

Source: L’Aube

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