Pour mieux comprendre et analyser ce phénomène, il faut savoir que ces violences ont surtout lieu pendant les élections car il ne faut pas oublier que l’AEEM est devenue un véritable « enjeu de pouvoir », pouvoir de négocier avec les plus grandes autorités de la République, pouvoir de négocier avec le rectorat, le décanat de l’Université. Mais de façon plus générale, cette violence est aussi la manifestation d’une crise de société que notre pays connaît.
C’est au cours d’une bagarre violente, meurtrière entre membres de l’AEEM, le 19 octobre dernier, que l’étudiant Ibrahim Maïga, en 3ème année de droit privé à la Faculté de droit privé (FDPRI), a perdu la vie, dans des conditions non encore élucidées. Les enquêtes sont toujours en cours pour démasquer les vrais auteurs, afin de pouvoir répondre à la question principale : qui a fait quoi dans cette nouvelle bavure ? La violence sur les campus universitaires de Bamako : un phénomène tragique ou banalisé ? Ce n’est pas là le titre d’un nouvel essai universitaire à paraître bientôt, mais bien le constat d’une sombre et triste réalité. Car si tout le monde semble la condamner de vive voix dans son principe, les solutions pour y remédier changent parfois d’un interlocuteur à l’autre, même si de toute évidence, il y a cependant un point sur lequel tout le monde est d’accord : l’impunité toujours consécutive aux interventions intempestives de parents haut-perchés, de responsables politiques revendiquant fièrement une ancienne filiation avec l’AEEM, ce bras armé du pouvoir pour « vassaliser » ou caporaliser les fils et rejetons des pauvres ménages du pays, pendant que les leurs poursuivent candidement leurs études dans les meilleures écoles et universités européennes, américaines ou maghrébines, pour les moins riches.
« Faire de l’USJPB un centre de référence universitaire, un pôle de savoir juridique et universel au service du développement économique de notre pays », tel a été le slogan longtemps clamé par les premiers responsables de cette université, dont l’une des facultés, en l’occurrence, la FDPRI vient de subir un nouveau drame, bien vite passé sous silence par nos plus hautes autorités. Sans que l’on ne sache trop pourquoi. Mais en réalité, comment pourrait-on réussir à matérialiser cette « noble intention » clamée presque à l’unisson par tout le corps enseignant, si l’on ne créait pas les conditions durables d’une stabilité réelle sur l’ensemble de l’espace universitaire ? Selon certains protagonistes, cela devra passer nécessairement par une implication plus grande et totale de nos plus hautes autorités politiques, responsables universitaires, parents d’élèves et étudiants. En attendant ce grand soir, nous avons tenté de comprendre auprès des différents acteurs, les ressorts cachés de cette énième éruption de violence.
Un véritable enjeu de pouvoir
« Nous faisons face à une situation de « violence endémique », dont chaque évènement peut aboutir à mort d’homme. On doit plutôt s’émouvoir de cette situation de violence permanente, généralisée sur le campus. Les quatre universités ont des facultés sur la colline, mais on pense que chaque fois qu’il y a des bagarres, c’est la FDPRI, s’indigne un enseignant de cette faculté, sous couvert d’anonymat, lequel nous conseille de faire toujours la part des choses dans nos analyses et enquêtes, car tout le monde n’est pas mauvais. Il y a des bons étudiants et des brebis galeuses. Nul doute que ce regain de violence s’explique par l’existence de plusieurs tendances tapies au sein de l’AEEM. Le nouveau bureau a installé à la FDPRI de façon consensuelle et sans violence dit-on, aurait exclu certains (le conditionnel est de rigueur) et c’est à la suite de cela que les différentes tendances ont commencé à s’étriper, ce qui a donné lieu à ces évènements malheureux. Après avoir informé aussitôt le ministère, une commission d’enquête a été mise en place et chargée de connaître ceux ou celles qui ont trempé de près ou de loin dans cette insoutenable barbarie.
Un acte odieux et récidiviste, car pour les mêmes faits de violence avérés, vingt-deux (22) étudiants ont déjà été auparavant exclus par le conseil de discipline de cette université. Selon une source proche de l’université, ses premiers responsables ont préféré réserver leurs réponses jusqu’à la fin de l’enquête.
Il est cependant clair qu’après ce travail préliminaire, un conseil de discipline va siéger pour examiner « au cas par cas », les différents dossiers et prendre ensuite des sanctions justes, équitables et appropriées à chaque situation. Cette commission pourra-telle parvenir à ses fins ? C’est bien possible avec la franche volonté des uns et des autres à vouloir débusquer les vrais coupables, car il y a quelques blessés et témoins qui étaient présents, ce jour-là sur le lieu du crime. Pour mieux comprendre et analyser ce phénomène, il faut savoir que ces violences ont surtout lieu pendant les élections car il ne faut pas oublier que l’AEEM est devenue un véritable « enjeu de pouvoir », pouvoir de négocier avec les plus hautes autorités de la République, pouvoir de négocier avec le rectorat, le décanat de l’université. Mais de façon plus générale, cette violence est aussi la manifestation d’une crise de société que notre pays connaît. Que voulez-vous ? Par peur du chômage, il n’est pas rare de rencontrer de nombreux étudiants de carrière qui ne finissent pas leur cycle et refusent de quitter l’espace universitaire. Tout cela contribue à pourrir l’atmosphère scolaire, à exacerber les tensions entre les étudiants « gangstérisés » par l’appât du gain facile et du trafic malsain et en tous genres qui prospèrent sur la « colline du savoir » d’un autre temps (hélas !) révolu.
Même si les autorités ont choisi de se taire, en comptant sur le temps qui passe pour mieux étouffer l’histoire, il est évident qu’il y a eu mort d’homme et que pour éviter la répétition de nouveaux drames, des solutions énergiques et responsables doivent être prises dans l’intérêt supérieur de l’école malienne.
Il s’agit dans un premier temps pour les autorités universitaires, rectorales et décanales, de pouvoir identifier les responsables de cette barbarie et les sanctionner de la manière la plus sévère qui soit. Mais pour y arriver, chacun devra jouer convenablement son rôle, à commencer par la police qui doit arrêter les fauteurs de troubles et les remettre à la justice. Mais malheureusement à cause des interventions intempestives et multiples, elle les libère, quand ce n’est pas la justice qui les relâche, sans autre forme de procès. Et si c’est le cas, les peines ne sont jamais dissuasives. Mais alors que faire ? Quand on sait que ces « caïds » se sentent soutenus, qu’ils sont devenus des « intouchables », en parfaite accointance avec telle ou telle autorité du pays. Dès l’instant où l’on pense que la violence est normale, la mort doit être aussi normale.
Tous sont persuadés qu’il n’existe aucune baguette magique pour enrager ce phénomène devenu plutôt structurel. Du coup, de nombreux acteurs de l’école, de l’université pensent que les réflexions doivent se poursuivre, en vue de trouver des solutions réelles et objectives au problème. Cela doit passer par la mise en place d’un système transparent et adéquat de gestion des parkings, dont l’argent récolté (le nerf de toute guerre) sert à alimenter cette guérilla et son armada de coupe-coupe, sabres, pistolets.
A l’insécurité toujours grandissante au nord par la faute des bandits armés évoluant sous le couvert de l’islamisme, est venue s’ajouter la violence gratuite et inacceptable sur les campus. Nous devons en prendre conscience car la communauté internationale nous regarde.
B.Camara Correspondance particulière.
Le challenger