Nombreuses sont celles qui sont désemparées face au refus catégorique de leurs maris de les laisser occuper un emploi. Si certaines se résignent et acceptent leur sort, d’autres plus engagées décident de mener en douceur une campagne de persuasion
Notre pays a adhéré à la Convention pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) depuis septembre 1985. Il a ratifié aussi le protocole additionnel à ladite convention en 2000. Mais ces dispositions réglementaires n’ont pas permis d’atténuer les pratiques discriminatoires à l’égard des femmes. Selon le rapport de la mission internationale d’enquête de 2006 sur la situation des femmes au Mali produit par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), malgré la volonté des autorités d’améliorer la situation des femmes, ces dernières font encore l’objet de discrimination de fait et de loi.
Pourtant, la CEDEF dans son article 3, première partie, dispose que « les États parties prennent dans tous les domaines, notamment dans les domaines politique, social, économique et culturel, toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour assurer le plein développement et le progrès des femmes, en vue de leur garantir l’exercice et la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales sur la base de l’égalité avec les hommes ». Conformément à cet article, les femmes devraient facilement jouir de leur droit à l’exercice d’un métier. Mais entre les mots et la pratique, il y a un grand fossé. Des exemples de refus ou de réticence d’hommes qui ne veulent pas voir leurs femmes travailler foisonnent et rendent perplexes plus d’une femme mariée. Elles sont nombreuses, celles qui sont désemparées face au refus catégorique de leurs maris de les laisser occuper un emploi. Si certaines se résignent et acceptent leur sort, d’autres plus engagées décident de mener en douceur une campagne de persuasion.
UN CONTRAT À DURÉE INDéTERMINÉE-Aminata Diarra s’est heurtée au refus de son fiancé de la laisser faire son métier de journaliste. «Après un long stage dans un organe de presse réputé de la place, la direction m’a proposée un contrat à durée indéterminée (CDI). J’en ai parlé avec mon futur mari (on n’était pas encore marié) qui m’a répondue que je devrais arrêter ce travail après le mariage. J’avoue que dans un premier temps, j’ai failli me rebiffer, mais je me disais au fond de moi qu’il reviendrait à de meilleurs sentiments», confie Aminata. Après le mariage, elle a ignoré l’avertissement de son mari et a continué à travailler comme elle tenait à le faire quel que soit le prix à payer. Mais son époux a réagi en commençant à la bouder quand elle revenait du travail. «Un jour, mon chef de service m’a confié un voyage à l’intérieur du pays. J’étais très inquiète à l’idée d’annoncer ce déplacement à mon mari. J’étais entre le marteau et l’enclume, mais j’ai décidé de lui en parler même si je savais qu’il allait refuser. Quand je le lui ai dit, il m’a rappelé que si je tenais à mon foyer, je devrais arrêter ce travail. J’ai essayé de lui faire comprendre que j’avais besoin de ce travail, mais en vain», explique notre interlocutrice.
Après une longue dispute, son mari a fini par l’autoriser à faire ce voyage tout en la prévenant que ça ne devrait pas continuer. «A mon retour, il m’a, sans ambages, demandé de choisir entre mon foyer et le travail», se souvient Aminata. Après une longue réflexion, elle a décidé de ne pas se laisser faire et a continué à travailler et à tenir son foyer en faisant des efforts supplémentaires.
Quand elle a décroché son premier contrat, elle est venue le lui montrer. «Il n’a pas donné son accord pour que je signe, il n’a même pas regardé mon papier comme pour me signifier son refus catégorique. Malgré son indifférence, j’ai signé ce contrat», raconte Aminata. Elle ne regrette pas d’avoir choisi de ne pas obtempérer à son époux. Son recrutement lui a ouvert d’autres portes et aujourd’hui elle travaille dans une organisation internationale avec un salaire enviable. « Aujourd’hui, mon mari se réjouit que je puisse contribuer en partie aux charges du ménage, car son seul salaire ne nous permet plus de vivre convenablement», se félicite cette journaliste reconvertie. Elle vit actuellement heureuse avec son mari à Kati depuis 3 ans.
Si Aminata Diarra récolte aujourd’hui les fruits de son entêtement, Maïmouna Koné regrette d’avoir cédé aux injonctions de son époux, réticent à la laisser occuper des emplois bien qu’elle soit diplômée en comptabilité (niveau BT2). Elle habite avec son mari à Fombabougou, un quartier périphérique de la capitale. Depuis son mariage il y a 4 ans, elle a déposé, dans plusieurs entreprises de la place, des demandes d’emploi dont certaines ont été concluantes. Mais son mari, un mécanicien sexagénaire et polygame, a rejeté ces opportunités d’emploi. Cette situation ne l’arrangeait pas car son mari ne subvenait pas à ses besoins. Après 4 ans de mariage et de chômage, elle s’est rendue compte que les choses ne pouvaient pas continuer. Elle a donc décidé de se présenter au concours de la Fonction publique qui aura lieu en décembre prochain.
JALOUSIE-Quant à Aïssata Dembélé, âgée de 30 ans, elle est mariée depuis 2 ans. Son cas est un peu particulier. En règle générale, après le mariage, certains époux mettent fin aux études de leurs épouses. Aïssata peut s’estimer chanceuse. Son mari a non seulement accepté ses études mais les a financées. Un acte que ses parents ont salué. Mais, le hic a été qu’après ses études en infirmerie, son mari, sans raison valable, s’est opposé à tout exercice professionnel. Son époux, qui était un comptable dans une ONG internationale à Sikasso, a perdu son emploi deux ans après le mariage et elle s’est vue ouverte la voie d’exercer un métier. Au bout de trois mois, elle a pu réussir dans la teinture et redonné une fierté à son mari, car, grâce à elle, il a pu avoir un fonds de commerce pour se lancer dans le négoce.
Mme Diarra Aminata Diarra, elle, s’est vue refuser la pratique de son métier de coiffeuse par son mari. L’homme était aveuglé par la jalousie et ne comptait pas laisser son épouse travailler en dehors du domicile conjugal. Très tenace, elle n’a pas cédé à son époux qui était pourtant un homme riche. «Je me cachais pour aller au marché, faire la coiffure, malgré le fait que mon mari n’était pas d’accord». Par la suite, son mari a compris et l’a laissée faire parce qu’elle avait besoin d’être indépendante financièrement. Son mari, Moussa Diarra nous a expliqué les raisons de son refus. Il est difficile, selon lui, pour une femme d’entretenir son foyer et mener d’autres activités. Il faut toujours quelqu’un à la maison pour s’occuper de l’éducation des enfants, estime-t-il. Aussi, confiera-t-il que si une femme travaille, elle côtoie beaucoup d’hommes qui peuvent lui faire la cour.
La commerçante Rokia Dakouo a plus de 35 ans. Elle est devenue soutien de famille grâce à son courage. Alors qu’au début de leur union, son mari avait refusé qu’elle exerçât son commerce qui l’amenait à voyager fréquemment. Ces exemples démontrent à quel point les femmes sont à la merci du bon vouloir de leurs maris pour occuper un emploi. Si elles tiennent à leurs emplois, elles sont obligées de faire la sourde oreille, au risque de s’exposer à d’incessantes scènes de ménage. Pourtant, la liberté de travailler est reconnue aux Maliennes. En effet, la Constitution du 25 février 1992 dans son titre premier «Des droits et devoirs de la personne humaine», en son article 14, stipule que «la liberté d’entreprise est garantie dans le cadre des lois et règlements en vigueur». Aussi, le code du commerce a supprimé l’autorisation du mari pour l’exercice par sa femme d’une activité commerciale. La présidente de l’association «Femmes, battez-vous pour votre avenir», Ramata Koura Cissé, encourage les femmes à ne pas céder aux injonctions de leurs maris. Celles qui baissent les bras n’ont pas d’ambitions, juge celle dont l’association va à la rencontre des femmes dont les maris ne les laissent pas exercer un métier pour les inciter à se battre.
Pour Ramata Koura Cissé, l’homme et la femme s’entraident financièrement et d’ailleurs, il n’est dit nulle part dans la loi, ni dans le Coran que la femme ne doit pas mener une vie professionnelle ou exercer une activité génératrice de revenus.
La détermination de la présidente de l’association «Femmes, battez-vous pour votre avenir» pourrait se heurter à l’intransigeance de beaucoup d’hommes dans notre société. Pour ceux-ci, si l’homme subvient aux besoins de la femme, pourquoi doit-elle travailler ? Abdoulaye Camara est de cette catégorie d’hommes qui rechignent à laisser leurs épouses occuper un emploi. Il estime que si une femme travaille, elle devient indépendante financièrement et aussi incontrôlable. «C’est l’homme qui a le devoir de subvenir aux besoins quotidiens de sa femme et en retour celle-ci lui doit obéissance et soumission», estime ce conservateur qui est du même avis que ceux qui invoquent la religion pour interdire à leurs femmes de travailler. Or, selon le maître coranique Moussa Coulibaly, l’islam n’interdit pas à la femme d’avoir une vie professionnelle, ni d’exercer une activité rémunératrice, mais seulement, il faut qu’elle ne s’expose pas par sa tenue vestimentaire en dehors de son foyer.
Anne-Marie KÉITA
Source: Essor