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Tribune : quelle forme de transition pour le Mali ?

Les débats en cours au Mali devraient porter sur les chantiers prioritaires de la transition. La durée de cette période transitoire serait alors naturellement proportionnelle aux chantiers prévus pour être exécutés.

 

Après avoir renversé le président Ibrahim Boubacar Keita, dit «IBK», le 18 août 2020, le Conseil national pour le salut du peuple (CNSP) promettait rapidement une transition civile la plus courte possible. Avant de se rétracter et proposer une période transitoire relativement longue de 2 à 3 ans, dirigée par un militaire. Une proposition rapidement balayée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui exige une transition n’excédant pas 12 mois, dirigée par un président et un premier ministre civils.

Ces débats ont suscité l’intérêt des Maliens désormais partagés entre partisans d’une transition longue dirigée par les militaires et ceux en faveur d’une transition civile. En revanche, ce dont on parle peu et qui aurait dû être au cœur des débats, c’est en quoi devrait concrètement consister la période transitoire. Sa durée serait alors naturellement proportionnelle aux chantiers prévus pour être exécutés.

Apaiser les tensions

Dès le lendemain du coup d’État, le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) s’est dit prêt à accompagner le CNSP dans le cadre de la transition. Mais ce dernier ne semble pas avoir l’intention d’instaurer un rapport privilégié avec le M5-RFP, au grand désespoir des leaders de ce mouvement. La rencontre avec toutes « les forces vives de la Nation », qui avait été décidée par le premier et prévue le 29 août pour discuter de l’organisation de la transition, a finalement été reportée à cause du boycott du M5-RFP. Les leaders du mouvement ont alors été instamment reçus par le CNSP, dans leur quartier général à Kati, visiblement dans le but d’apaiser les tensions.

La logique du leadership politique du M5-RFP est qu’ayant été la principale force en faveur du changement, le mouvement ne devrait pas être traité sur un pied d’égalité (voire moins considérée) avec les forces partenaires du régime d’IBK et opposées au changement. À sa sortie de la rencontre avec le CNSP, Choguel Kokala Maïga, président du comité stratégique du M5-RFP, posait alors la question : « Comment des gens qui ne voulaient pas du changement peuvent devenir du jour au lendemain des experts en organisation de cette Transition ? »

Chantiers prioritaires

En quoi devrait consister la transition dans la situation malienne actuelle ? Nous estimons que la transition devrait se focaliser sur trois chantiers prioritaires : la justice, la sécurité et l’organisation d’élections générales libres et crédibles. Contrairement à ce que préconisent certains observateurs, notamment Gilles O. Yabi, nous estimons que la transition ne devrait pas s’éterniser, ni être perçue comme l’occasion de régler tous les problèmes du Mali : ce qui paraîtrait d’ailleurs quelque peu illusoire.

Il nous semble, par exemple, que l’application de l’accord pour la paix et la réconciliation, issu du processus d’Alger, devrait être dévolue au prochain gouvernement qui sortira des urnes. N’oublions pas qu’IBK avait bien tenté de le faire en 2017. Mais on se rappelle qu’il s’est « violemment » heurté à la force de contestation de la plateforme « An tè A Bana ! Touche pas à ma Constitution », et contraint de renoncer à son projet de révision constitutionnelle pourtant indispensable à l’application de l’accord. « An tè, A Bana » était une plateforme regroupant plusieurs associations de la société civile, des syndicats et partis politiques, créée pour s’opposer au projet de réforme constitutionnelle (pourtant souhaitable) du président IBK.

Rappelons également que plusieurs dispositions de l’accord pour la paix et la réconciliation sont controversées et sujettes à de nombreuses polémiques au sein de la population malienne. Il semble donc assez clair que seul un président hautement plébiscité et fort, qui aura d’abord pu convaincre les Maliens du bien-fondé d’une révision constitutionnelle, et qui se fera élire sur ce projet, pourra véritablement amorcer le processus d’application.

La relecture de la loi électorale, en vue des élections présidentielle et législative prochaines, nous apparaît donc comme un chantier prioritaire de la transition. Sur ce point, Soumeylou Boubeye Maiga, ancien premier ministre, fait d’ailleurs une proposition intéressante, qui consisterait à introduire « une dose de proportionnelle dans toutes les circonscriptions qui ont plus de trois députés ».

« Nouveau Mali »

La transition devrait aussi nécessairement s’atteler à l’audit et à la révision du fichier électoral. Le but étant de créer les conditions adéquates pour des scrutins transparents, crédibles et hautement participatives, seul moyen de voir élire un président et des élus légitimes pour réaliser les réformes institutionnelles qui s’imposent au Mali. Par ailleurs, elle devrait apparaître comme l’ère de la justice tant l’impunité a beaucoup favorisé les frustrations au sein de la population et est apparue comme un facteur fortement aggravant des crises maliennes.

La construction du « nouveau Mali », dont rêvent beaucoup, passe obligatoirement par l’application de la justice. Enfin, la question sécuritaire devrait demeurer au centre des priorités du gouvernement transitoire. Les militaires ne devraient pas non plus perdre de vue le rôle qui leur convient le mieux, à savoir la sécurisation du territoire et la guerre contre les terroristes. Car une instabilité politique et institutionnelle pourrait déboucher sur une dégradation de la situation sécuritaire déjà peu enviable.


Boubacar Haidara est chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM), Sciences-Po Bordeaux / Chargé de cours, Université de Ségou, Mali., Université Bordeaux Montaigne 

Source : Benbere

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