Ces deux stratégies complémentaires visent à provoquer un effet de dissuasion et à combattre l’impunité
« Je comprends une espèce d’hésitation, de désaffection de la salle. Les Maliennes et les Maliens peuvent se demander pourquoi nous réunir pour parler de la corruption et de la délinquance financière alors que des actions concrètes tardent à se manifester. Cela se comprend. Mais quand on mesure l’importance du phénomène ; quand on prend la mesure d’une réalité dominée par une pratique qui se transmet de façon formelle et qui a tendance à devenir un critère de réussite sociale, nous devons nous convaincre qu’il faut aller toujours de l’avant et ne jamais se décourager. Quand nous étions dans d’autres positions, nous nous plaisions avec naïveté à dire qu’on affirme partout que notre pays est un pays corrompu, mais que cela se fait ailleurs. Un interlocuteur m’a dit : ‘’ C’est vrai que cela se fait ailleurs. Mais quand on est capable de tuer un éléphant et que quelqu’un s’avise à prendre un morceau de 10 kilos, cela ne se sent pas. Mais vous, vous n’êtes capables de tuer qu’un lapin. Si chacun veut prendre une cuisse ? Il n’y en a que deux. Qu’est-ce qui se passe ? »
Ces propos du Premier ministre Modibo Keïta en disaient long sur l’ampleur que connaît le phénomène de corruption et de délinquance financière dans notre pays. Ils ont été formulés hier au Centre international de conférences de Bamako, lors de la cérémonie de lancement des travaux de la Semaine nationale de lutte contre la corruption. C’était en présence de plusieurs membres du gouvernement dont le ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Garde des sceaux, Mme Sanogo Aminata Mallé, des représentants du corps diplomatique et de la société civile et de nombreux experts dans une salle plutôt clairsemée.
Le thème principal de cette semaine qui prendra fin lundi prochain est « la corruption, un frein au développement ». Selon les organisateurs, cette rencontre annuelle vise à informer et sensibiliser l’opinion nationale sur les méfaits de la corruption et les actions engagées par les pouvoirs publics et les autres acteurs pour endiguer le phénomène. Pour ce faire, le président du Comité de suivi et d’évaluation des recommandations des états généraux sur la corruption et la délinquance financière, Boubacar Coulibaly, s’est appesanti sur le sous-thème « Présentation générale de la lutte contre la corruption au Mali : actions menées et perspectives ». Le thème principal sera développé demain par Mohamed Sidda Dicko, directeur général de l’Institut national de formation judiciaire (baptisé du nom de Me Demba Diallo). Lundi, le directeur national des Affaires judiciaires et du sceau, Christian Diassana, présentera les instruments juridiques internationaux contre la corruption.
« NE NOUS DÉCOURAGEONS PAS ». « A propos de lutte contre la corruption et la délinquance financière, a poursuivi le chef du gouvernement, nous avons mis l’accent sur deux démarches : celle de la répression et celle de la prévention. Ces deux démarches sont complémentaires. Car il faut provoquer un effet de dissuasion, il faut que s’éloigne de nous l’impunité. En réalité, nous devons trouver les voies et moyens pour prévenir. Par quelle voie ceux qui se livrent à cette pratique passent ? Comment faire pour obstruer cette voie ? Vous êtes propriétaire d’un potager. Vous remarquez que ce potager est détruit par des animaux en divagation. Vous confiez ces animaux à la fourrière. Mais avant votre retour, d’autres animaux sont entrés. Que devriez-vous faire ? Boucher le trou par lequel les animaux passent. C’est ce que nous appelons la lutte par les moyens de la prévention ».
Le gouvernement et le chef de l’Etat affirment que la lutte contre la corruption et la délinquance financière doit mobiliser toutes les énergies, a rappelé le Premier ministre. Aussi a t-il lancé un appel au ministre de la Justice et aux magistrats pour faire en sorte que la parole puisse être suivie d’effet. « C’est cela qui crédibilisera notre démarche. Le jour où l’on aura des exemples éloquents, vous verrez cette salle remplie », a fait remarquer le chef du gouvernement. « Mais en attendant, ne nous décourageons pas. Le gain est facile. La considération est mesurée à l’aune de la puissance matérielle et monétaire. Et même au sein de nos familles, les hommes et femmes les plus intègres sont considérés comme des personnes qui perdent leur temps (énana kan soroya ibètaga kan toyo – tu es venu nous trouver déjà installés, tu t’en iras et nous serons toujours là) », a fait constater Modibo Keïta.
« Qui n’a pas vu ici des manifestations où la puissance matérielle se manifeste, des billets de banque qu’on jette ? Comme pour dire, il n’y a absolument rien à craindre. Notre administration est peuplée d’intermédiaires, de courtiers. Nous devons en prendre conscience. Des enfants n’ont plus aucune considération pour leur parent, parce que celui-ci est honnête. A côté de lui, ceux qui ne l’atteignent pas à la cheville parviennent dans la vie. On décrédibilise ainsi les parents consciencieux. Dans notre administration, nous avons des fonctionnaires humanistes, extrêmement muets sur leurs devoirs, mais extrêmement ponctuels et bavards sur leurs droits », a déploré le Premier ministre.
Si le président de la République a transmis plus de 200 dossiers à la justice, le chef du gouvernement rappelle avoir édicté lui-même plus de 80 recommandations en 2008, lors qu’il était le président du Comité préparatoire des états généraux sur la corruption et la délinquance financière.
« Il faut que nous ayons conscience que nous sommes en train, si nous ne faisons pas attention, de compromettre l’avenir de jeunes générations. Les partenaires techniques et financiers nous appuient véritablement. Encore faut-il que nous-mêmes donnions la preuve que nous méritions d’être aidés». C’est sur cette interpellation que le chef du gouvernement a terminé son intervention.
C. M. TRAORÉ
source : Essor