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Sécurité : Briser la spirale des violences

Six ans après le début de la crise au Mali, la situation sécuritaire reste préoccupante. L’insécurité au centre s’est embrasée depuis quelques années, au point de faire de l’ombre au nord, qui a pourtant été sous le joug djihadiste. Outre le terrorisme, les conflits communautaires et le banditisme ont détérioré la situation jusque dans des zones encore épargnées. Les autorités sont à la manœuvre pour résoudre les problèmes.

  

37 morts. Des blessés et des habitations incendiées à Koulogon, cercle de Bankass, dans la région de Mopti. Le massacre a été perpétré le 1er janvier 2019, jour de l’An, sur des civils peuls, par « des hommes armés habillés en tenue de chasseurs traditionnels dozo », selon le gouvernement. Épicentre de la violence depuis 2015, la région de Mopti est devenue le point névralgique de toutes les tensions communautaires. Selon les Nations Unies, en 2018 elles ont coûté la vie à plus de  500 civils. Plus tôt en décembre, 49 civils de la communauté Daoussahak avaient été assassinés à l’est de Ménaka. Les victimes s’accumulent et il est difficile d’avoir une compilation précise. Contredisant les ONG et l’ONU, le Premier ministre, Soumeylou Boubeye Maiga, assure que le gouvernement n’a enregistré que 203 victimes de violences.

Les persécutions continues des groupes terroristes se transposent désormais au sud-est du pays, dans la région de Koulikoro. Une vingtaines d’écoles ont été fermées en novembre sous la menace djihadiste. Le chef du gouvernement multiplie les tournées, aussi bien au nord qu’au centre, pour stabiliser la situation. Mais sa volonté est mise à l’épreuve par les violences, tantôt de groupes terroristes, tantôt de milices locales. « Lorsqu’on regarde la cartographie sécuritaire dans le contexte malien, on s’aperçoit que les raisons profondes de l’insécurité ne sont pas suffisamment questionnées à certains égards. Qu’on soit à Tombouctou, à Ménaka ou à Mopti, il est important de se questionner sur la manière dont l’État central arrive à trancher les crises entre les populations », affirme Aly Tounkara, sociologue et enseignant – chercheur à l’université des Lettres et des sciences humaines de Bamako.  « Quand une partie de la population a le sentiment qu’elle est lésée dans ses droits fondamentaux, que la justice n’est pas rendue de façon équitable, elle finisse par légitimiter le recours à la violence », poursuit-il.

La tuerie de trop ?

« Koulongo est une tragédie. Je pense que cela doit cesser. Et, étant à Koulongo,  j’ai une pensée très profonde également pour nos parents de Ménaka. Ils ont souffert et ont été violentés (…). Le cycle infernal doit s’arrêter et il faut que le Mali se dédie de nouveau à sa seule mission de paix et de développement… », a témoigné dès son retour de Bankass le Président de la République, Ibrahim Boubacar Keita. Car la tuerie de Koulongo a mis en émoi tout le pays. Le déplacement du Président sur les lieux du désastre a été salué aussi bien par les rescapés que par les responsables de diverses associations. « Nous avons pris acte de cette visite. C’est déjà un pas, mais nous restons dubitatifs sur le contenu, car nous pensions qu’il allait agir plus fort parce qu’il a vu ce qui s’est passé et que cela n’a rien avoir avec la lutte contre  le terrorisme », déplore Abderrahmane Diallo, secrétaire administratif de l’association Tabital Pullaku. Selon lui, il y a des amalgames qui pèsent depuis longtemps sur la communauté peule qu’il urge de lever. « Nous avons toujours demandé que le Président parle sur cette question du centre. Qu’il dise ouvertement, comme il l’a fait avec nos parents touareg, que tout Peul n’est pas djihadiste et que tout djihadiste n’est pas Peul, qu’on ne s’en prenne pas aux civils, mais il ne l’a jamais fait », regrette-t-il, inquiet.

Depuis le début de la crise, en 2012, jamais la situation socio-sécuritaire n’a été aussi préoccupante. Les différentes dénonciations de responsables de la communauté peule alertent sur l’urgence d’une solution adéquate. Ils  n’hésitent plus à dénoncer la complicité de l’État dans ce qu’ils qualifient « d’épuration ethnique ». Pour Abderrahmane Diallo, l’attaque de Koulogon constitue un évènement   « malheureux » de plus. « La milice Dana Ambassagou est connue du gouvernement et ils travaillent de concert. Elle a un récépissé délivré par le préfet de Bandiagara. C’est un permis de tuer », se plaint-il. Le gouvernement, de son côté, a toujours rejeté toute connivence avec ce groupe d’autodéfense dit de « dozos ».  Des arguments qui ne le convainquent point, face à la persistance des accusations et à la force de frappe « des chasseurs ». « Ils ne se sont jamais attaqués à des terroristes, toujours à des civils. Ils veulent chasser les Peuls de tout le Seno, c’est-à-dire des cercles de Douentza, Bankass, Koro et Bandiagara », soutient le secrétaire administratif de Tabital Pulaku.

Dans un communiqué, le groupe d’autodéfense s’est défendu d’avoir commis ces crimes horribles et dit n’être « impliqué ni de loin ni de près dans cette action visant à déstabiliser le pays ». Le retour à la normale semble dépendre d’une prise de mesures nouvelles et du rétablissement de l’État auprès des citoyens. En attendant,  c’est « la raison du plus fort qui est la meilleure » dans toutes ces zones, livrées à elles-mêmes. « La sécurité des populations  incombe à l’État et c’est à lui de prendre ses responsabilités. Aujourd’hui, le problème d’insécurité ne concerne pas seulement  le pays dogon. Même à Youwarou, Tenenkou, Djenné et jusqu’au Burkina Faso, c’est la même chose. C’est le gouvernement qui doit prendre les mesures qui s’imposent », dit Mamadou Goudienkilé, président de la coordination nationale de Dana Ambassagou.

Changer de regard ?

Aussi bien au nord qu’au centre, les révoltes trouvent leurs germes dans l’abandon prolongé de l’État et l’absence de justice. Face aux vides, les communautés se replient sur elles-mêmes pour assurer leur sécurité, une mission dévolue uniquement à l’État mais qu’il peine à assurer.

« Au-delà du règne de l’injustice, par exemple à Gao, à Tombouctou ou à Ménaka, il y a dans le centre du Mali des clichés qui traversent les  communautés. Quand on demande aux Dogons ce qu’ils pensent des Peuls, et vice-versa, vous verrez que pour les Dogons les Peuls les sous-estiment et que les Peuls pensent que les Dogons veulent les exterminer parce qu’ils sont des étrangers », diagnostique le sociologue Aly Tounkara. Des dimensions sociologiques qui entrent en jeu dans les antagonismes actuels. « Les réponses exclusivement militaires ont des limites évidentes. En aucun cas elles ne peuvent aider les populations à retrouver une paix durable, car elles ne s’intéressent pas du tout à ces dimensions sociologiques », argumente-t-il.

Quelles mesures ?

La sécurité et le retour de la paix demeurent des priorités du gouvernement, malgré la dégradation de la situation sur le terrain. Pour l’année 2019, les autorités prévoient des mesures sécuritaires supplémentaires partout sur le territoire. Après l’annonce  par le Premier ministre, mi-décembre, du déploiement à Tombouctou de 350 éléments des forces de sécurité et de 300 autres à Gao, le chef du gouvernement, interpellé par les députés sur la situation au centre, s’est voulu rassurant. « Nous allons accroitre les moyens mis à la disposition de nos forces, y compris sur le fleuve, pour assurer la sécurité des populations en ayant plus de mobilité et d’efficacité (…). Nous allons renforcer la présence administrative de l’État, l’administration de la justice et continuer l’opération du désarmement jusqu’à la fin du mois de janvier », a répondu Soumeylou Boubeye Maiga. 600 éléments des forces de sécurité seront recrutés à Mopti, de même qu’à Ségou, et un quota sera accordé aux régions de Sikasso, Kayes, Koulikoro et au District de Bamako. Les ripostes militaires sont pour le gouvernement indispensables, car appelant les acteurs impliqués dans les violences à faire le choix de la paix ou celui d’être combattu. Un choix apparemment simple, mais qui soulève des réticences. « Les gens continuent de se cramponner au référent communautaire ou géographique parce qu’ils n’ont pas trouvé d’acteur qui puisse les protéger. Les fonctions régaliennes que l’État est censé remplir sont assurées par les communautés elles-mêmes, d’où l’idée d’indépendance ou de rejet de l’État », explique le sociologue Aly Tounkara.

Journal du mali

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