À la tête de l’athlétisme national depuis 2013 et 1ère vice-présidente du Comité national olympique et sportif, Sangaré Aminata Keïta est la première femme de notre pays à diriger une association sportive nationale. Dans cette interview, l’ancienne athlète, sacrée plusieurs fois championne du Mali des 100, 200 et 400m aborde plusieurs sujets : sa carrière sportive, son bilan à la tête de la fédération, ses ambitions pour l’athlétisme national, le dopage. Un parcours singulier qui doit inspirer les jeunes générations
L’Essor : Vous êtes à la tête de la Fédération malienne d’athlétisme (FMA) depuis 2013 et sauf erreur de notre part, vous êtes la première femme à présider aux destinées d’une association sportive nationale. Peut-on dire que vous êtes déjà entrée dans l’histoire et quels commentaires vous inspire votre bilan, de 2013 à cette année ?
Sangaré Aminata Keïta : Entrer dans l’histoire est un honneur que je ne saurais refuser; cela dépendra de l’appréciation des uns et des autres sur l’action que j’aurais à mener et de la collaboration de toute l’équipe qui m’accompagne. Première dame à diriger une Association sportive nationale, oui-mais surtout, première femme cadre supérieure en sport, ce qui justifie aussi que la famille de l’athlétisme m’accorde sa confiance et m’aide à mener à bien la tâche lourde de développer cette discipline au Mali. Oui on entrera dans l’histoire. Il s’agira certainement d’un bilan provisoire, car après un 1er mandat de 4 ans (2013-2017) très riche en évènements, résultats et satisfaction, un 2è mandat a démarré avec le même rythme, malheureusement il a été stoppé par la crise sanitaire de la Covid-19. Mais, c’est un plaisir pour moi de vous donner les raisons de satisfaction du 1er mandat et des deux, 1ères années du 2è mandat.
Quand on a commencé en 2013, nous avons initié des projets. D’abord, la rénovation du siège de la fédération parce qu’on ne peut pas travailler sereinement quand on n’a pas un siège décent. Nous avons pu le faire et créer le site web de la fédération. Nous avons pu organiser des stages d’entraîneurs et d’officiels techniques. Nous avons pu organiser toutes les compétitions dans toutes les catégories : cadet, junior et senior. Nous avons participé à des compétitions internationales et nous en avons organisé. L’augmentation du nombre de compétitions et la délocalisation de la Journée mondiale de l’athlétisme à Dioïla ont abouti à la création de nouveaux clubs. Nous avons pu obtenir des bourses pour des athlètes au centre de Dakar, au centre des jeunes de Lomé, mais aussi des bourses olympiques pour Moussa Camara et Ramatoulaye Dramé. Pendant mon mandat, le nombre de médailles remportées par le Mali dans les compétitions sous régionales et internationales a augmenté de 40 %. Au total, nous avons récolté 359 médailles, toutes catégories confondues.
L’apothéose, c’était lors des Jeux de la Francophonie d’Abidjan où nous avons obtenu 3 médailles, dont une médaille d’or, une médaille d’argent et une médaille de bronze. Ces médailles ont été obtenues, respectivement par Djénébou Danté, Kénifing Traoré et Mamadou Chérif Dia. L’élément déclencheur a été la médaille de bronze décrochée par Mamadou Cherif Dia au triple saut aux Jeux africains de Brazza en 2015. Depuis le temps de Namakoro Niaré, le Mali n’avait pas atteint un tel niveau. Pour la première fois dans l’histoire de l’athlétisme du Mali, nous avons subventionné les ligues et toutes les instances de l’intérieur ont également reçu des équipements. La seule ombre au tableau, c’est le fait que nous n’ayons pas pu organiser de stages bloqués pour les athlètes pendant notre mandat.
L’Essor : Une femme présidente d’une fédération sportive. Comment faites-vous pour vous faire entendre, quand on sait la mentalité de certains de nos compatriotes qui estiment, que la femme doit toujours rester derrière l’homme ?
Sangaré Aminata Keïta : J’ai dit que j’étais la première femme cadre supérieure en sport et l’athlétisme en particulier, dont je suis issue. à ce titre, la connaissance et la maîtrise de certains dossiers me permettent d’apporter une contribution de qualité lors des séances de travail. L’équipe fédérale, bien que composée en majorité hommes (3 femmes sur 19), n’est misogyne et me respecte en m’écoutant avec beaucoup d’attention, et je les félicite pour ça.
L’Essor : Avez-vous rencontré des difficultés de ce genre et lesquelles ?
Sangaré Aminata Keïta : Les seules difficultés que j’ai rencontrées dans ce domaine, sont négligeables parce que issues de l’extérieur de la famille de l’athlétisme.
L’Essor : Avant votre arrivée à la tête de l’athlétisme national, vous avez occupé d’autres postes dans le monde du sport. Pensez-vous que ce parcours et votre carrière d’athlète ont plaidé en votre faveur ?
Sangaré Aminata Keïta : C’est exact; mon parcours sportif en tant qu’athlète et ma formation en tant que cadre sportive ont plaidé en ma faveur.
L’Essor : Vous avez eu une grande carrière sportive et remporté plusieurs titres de championne du Mali des 200 et 400m. Comment êtes vous venues à l’athlétisme et qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans votre carrière ?
Sangaré Aminata Keïta : Un pur hasard m’a amené à assister aux championnats du Mali, qui ont donné la sélection nationale aux Jeux africains de Lagos (1973). Cela m’a plu et je me suis inscrite pour la saison suivante, au Djoliba AC qui s’était beaucoup intéressé à moi. Tout est parti de là. C’était en 1976, j’ai battu le record du Mali des 100m et je suis montée sur la première, marche du podium national. C’était ma première surtout mon 1er objectif. Il y en a eu d’autres.
L’Essor : Parlons à présent de l’athlétisme malien, comment expliquez-vous le fait que notre pays n’a jusque-là remporté aucune médaille olympique ?
Sangaré Aminata Keïta : Malgré les grandes satisfactions pour les médailles obtenues en Afrique (or – argent – bronze) régionales, sous – régionales, le Mali n’a effectivement jamais pu monter sur le podium olympique en athlétisme. Cela est dû, d’une part à la malchance (Namakoro Niaré en 1972 à Munich, convalescent et le boycott des pays africains à Montréal), et d’autre part au manque de moyens adéquats pour préparer les talents détectés, capables d’accomplir cette mission.
L’Essor : Selon vous, qu’est-ce qu’il faut faire pour inverser cette tendance et rehausser l’image de l’athlétisme malien ?
Sangaré Aminata Keïta : Faire d’une priorité, l’investissement dans le domaine de la préparation des jeunes talents (formation et équipements) et en rapport avec le Comité nationale olympique et sportif, l’octroi de bourses olympiques dans les catégories et disciplines choisies. Il faut reconnaître que notre Mouvement olympique est dans cette dynamique.
L’Essor : Beaucoup de personnes, notamment les techniciens imputent l’échec de nos athlètes au manque d’infrastructures dignes de ce nom. Qu’en pensez-vous ?
Sangaré Aminata Keïta : Les infrastructures issues de la CAN 2002 constituent déjà une base. Il faut les améliorer et les doter en équipements appropriés. S’en suivra ce que nous avons cité plus haut.
L’Essor : Depuis plusieurs années, vous êtes également membre du Comité national olympique et sportif du Mali. Quelles sont les relations entre la fédération et le Mouvement olympique national ?
Sangaré Aminata Keïta : De très bonnes relations, car le CNOS Mali reconnaît dans l’athlétisme le sport olympique par excellence. Nous remercions par la même occasion les efforts déployés par le président Habib Sissoko et son équipe.
L’Essor : Ces dernières années, le monde de l’athlétisme a été éclaboussé par plusieurs affaires de dopage qui ont culminé avec la condamnation de l’ancien président de la Fédération internationale d’athlétisme, Lamine Diack pour corruption. Que pensez-vous du dopage et quelle est la situation actuelle de notre pays ?
Sangaré Aminata Keïta : Nous sommes à l’écoute des informations, nous sommes peinés de la situation actuelle du dopage international. C’est très regrettable d’avoir ce genre d’affaires autour d’une discipline sportive.
Le nouveau bureau de l’IAAF (Fédération internationale de l’athlétisme, ndlr) a pris des dispositions. Pour le Mali, fort heureusement, nous faisons des contrôles anti-dopage. Le médecin de la fédération fait très souvent des causerie-débats avec les athlètes par rapport au dopage. Souvent, en Afrique, les athlètes ne le font pas volontairement. Nous avons conseillé aux athlètes d’éviter l’automédication, c’est-à-dire prendre des médicaments sans demander l’avis du médecin.
L’Essor : En tant qu’ancienne athlète et présidente de la fédération, que diriez-vous aux jeunes athlètes si on vous demandait de leur donner des conseils ?
Sanagaré Aminata Keïta : Notre notice de tous les jours aux athlètes, c’est de les exhorter à travailler et se fixer des objectifs. Nous leur conseillons d’avoir une vie de sportif (saine) en évitant les risques de dopages à savoir l’automédication.
L’Essor : Quel est aujourd’hui le plus grand rêve de la présidente de la Fédération malienne d’athlétisme que vous êtes ?
Sangaré Aminata Keïta : Mon rêve ? Vivre l’émotion, entendre l’Hymne national du Mali aux Jeux olympiques.
L’Essor : Un petit message pour le monde sportif malien, notamment les femmes qui font le sport.
Sangaré Aminata Keïta : J’incite les femmes à la pratique du sport malgré les fausses supputations; je me permets de donner quelques avantages. Si les femmes affichent un taux de stress plus important que les hommes, la pratique d’une activité physique permet de réduire la pression et de contrer ses effets néfastes. En habituant physiologiquement l’organisme à gérer un stress et à se relaxer après, l’activité physique permet de mieux s’adapter et récupérer face aux coups de pression. Face à l’anxiété, elle agit comme un médicament en sécrétant des endorphines, les fameuses hormones du bonheur, qui favorisent un sentiment de bien-être. Ne restons pas à la traine, nous aurons toujours notre mot à dire, au regard des résultats déjà obtenus.
Interview réalisée par
Seïbou S. KAMISSOKO
Source : L’ESSOR