Les événements récents au Mali prouvent que de véritables menaces planent sur la laïcité en République du Mali. À ce titre, il serait nécessaire de redéfinir la laïcité au Mali.
« Le Président Alpha Oumar KONARE [premier président de la Troisième République du Mali NDLR] n’a jamais voulu de l’Imam Mahmoud DICKO comme président du Haut Conseil Islamique du Mali. Il lui reprochait à tort ou à raison d’être un politique caché et masqué par la religion. » Ce passage vient d’un article publié par Afribone depuis 2015, mais dont les actualités du pays semblent confirmées.
Partir sur de nouvelles bases
Certes, à « tort ou à raison » hier, mais aujourd’hui les choses semblent beaucoup plus claires pour donner raison à Alpha Oumar Konaré qui a toujours mis en garde Amadou Toumani Touré (ATT), son successeur, de la nomination de cet imam à la tête du haut conseil islamique.
La laïcité a besoin d’être redéfinie au Mali. La sphère politique et la sphère religieuse méritent d’être mieux distinguées. Les religieux peuvent certes interpeller les autorités politiques si elles déroutent, mais sans viser des intérêts personnels. Ils ne doivent pas pour autant se substituer à la société civile qui est celle censée jouer le rôle de contre-pouvoir dans un État démocratique. Cette limitation des domaines d’intervention de chaque catégorie d’hommes est nécessaire pour la stabilité de l’État. Ce n’est pas pour rien que Platon avait stratifié la société en trois classes : les gouvernants d’une part, les ouvriers de l’autre et les gardiens d’autre part. Si l’on ne veut pas assister à la dégénérescence de l’État, chaque catégorie doit accomplir le devoir qui lui revient.
Des démonstrations de forces
Depuis les années 2009 jusqu’à nos jours, l’imam Dicko ne manque pas d’occasion pour prendre la tête de la plupart des mouvements. On se rappelle des polémiques autour du Code des personnes et de la famille et récemment du Manuel pour l’éducation sexuelle. Toujours, c’est lui qui met le bâton dans les roues des autorités politiques.
L’élection d’Ibrahim Boubacar Kéita comme président de la République en 2013 a contribué au renforcement du poids des religieux sur les décisions politiques au Mali. Puisqu’ils se sont attribué à tort ou à raison la victoire d’IBK, pour son premier mandat.
Favoriser le règne de la laïcité
Cette présence de plus en plus accrue des religieux sur la scène politique donne à craindre pour la laïcité au Mali. Dans son livre Le Mali entre vents et marées : 2015-2017, Moussa Mara, président du parti Yéléma, le Changement, explique que la laïcité de l’État « sous-entend [NDLR] la non-gestion de la sphère étatique selon des préceptes religieux ».
La laïcité ne peut véritablement régner tant que l’État ne se montre plus technique afin de mieux définir la place que doit occuper la religion, expliquait l’ex-Premier ministre d’IBK.
Mariage entre le religieux et le politique
Mais de nos jours, ce rapport est assez menacé au Mali. Nous avons désormais de la peine à percevoir les limites entre le politique et le religieux. Les deux champs semblent finalement s’épouser.
Lors de la présidentielle de 2018, qui n’a pas été témoin des prises de position du Chérif de Nioro, Mbouille Haidara, qui est allé jusqu’à promettre le renversement du régime d’IBK avant la fin de ce second mandat présidentiel.
Pourtant, le gouvernement actuel du Mali continue de jouer à la mauvaise foi. Lors du Dialogue national inclusif, ce gouvernement n’avait-il pas indiqué que la laïcité de l’État ne serait nullement remise en cause dans ce processus. Comme pour montrer le degré de son attachement à ce principe démocratique qu’est la laïcité.
Gestion de la sphère politique par la religieuse
Toutefois, l’actualité dominante du pays semble confirmer la gestion de la sphère politique par celle religieuse. Mahmoud Dicko, ex-président du haut conseil islamique, après avoir fait le beau temps pour le gouvernement, fait la pluie en basculant tout entier sur la scène politique en acceptant d’être parrain de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS). Réussissant ainsi à créer autour de lui une confiance aveugle, il s’est fait entourer par plusieurs militants qui le croient « intouchable » puisqu’il serait « le très éclairé ».
Convoqué le mardi 3 mars 2020 au tribunal de la Commune V de Bamako pour être écouté au sujet de certains propos qu’il a tenus lors de la rentrée politique de son parti, l’imam Dicko aurait reçu la visite d’un émissaire du gouvernement avec un message d’excuse, selon des propos relayés par certains de ses militants, notamment le porte-parole de la CMAS, Issa Kao Djim. La convocation a été ipso facto annulée parce que les autorités politiques ont eu peur de la « grappe humaine » qui s’était emparée de toutes les rues autour du tribunal.
Même si l’on a voulu d’une part montrer que le gouvernement n’en est pour rien de l’annulation de cette procédure judiciaire, le Syndicat libre de la magistrature (SYLMA) et le Syndicat autonome de la magistrature (SAM) sont sortis de leur réserve le jeudi 5 mars 2020, à travers un communiqué conjoint, pour condamner cette « immixtion intolérable du Gouvernement de la République dans les affaires judiciaires ».
« Cette prise de parole par le bas, où peu à peu les acteurs religieux se muent en porte-paroles des revendications sociales (justice, pauvreté, santé, éducation, emploi, etc.) et invoquent la laïcité en lieu et place des partis et des organisations de défense des droits de l’homme, intervient au moment où l’idée de l’État, autant employeur que planificateur, est en train de se dissoudre à travers la doctrine empirique de “démocratie africaine”, explique-t-on dans une publication sur Academia.
Toutes ces situations qui prévalent aujourd’hui sont peu confortables au règne d’une véritable République laïque au Mali. À moins que l’on veuille donner une nouvelle connotation à ce concept de la laïcité, à savoir l’inséparabilité du politique du religieux à cause de l’incompétence et de l’irresponsabilité des autorités politiques. Toutefois, il est nécessaire de redéfinir la laïcité au Mali.
Cet article a d’abord été publié sur phileingora.org
T.P
Le Triomphe