Ce Ramadan 2020 intervient dans un contexte particulier pour les musulmans du Mali. L’épidémie de Covid-19 qui s’est déclenchée dans le pays le 25 mars dernier a conduit à la prise de mesures spécifiques et aux bouleversements de certaines habitudes à travers le monde. Ces mesures sont diversement appréciées et appliquées au Mali. Alors que certaines mosquées ont tout simplement fermé, la grande majorité reste ouverte aux fidèles, les autorités laissant pour le moment libre choix à la communauté musulmane. Quant à la pratique du Ramadan, elle est rythmée par les prières surérogatoires, généralement publiques. Elles peuvent se tenir en observant certaines règles, selon certains, alors qu’elles doivent rester dans le cadre familial pour éviter les grands rassemblements, selon d’autres.
Vendredi 17 avril 2020. M. Sidiki Touré, fidèle résidant à Bozola, s’apprête à rejoindre la mosquée. C’est habituel et normal pour ce père de famille. Pourtant, depuis quelques semaines, des mesures de prévention recommandent d’éviter les rassemblements de plus de 50 personnes, pandémie de coronavirus oblige. « Un mensonge », selon M. Touré. « Cette maladie existe peut-être, mais pas au Mali. Depuis le temps que l’on en parle, avez-vous déjà vu un malade ? », s’interroge-t-il. Plus que sceptique, ce quadragénaire ne veut rien changer à ses habitudes et ne surtout pas arrêter d’aller à la mosquée. « Pas question, il n’y a rien ! », conclut-il en souriant. S’ils n’ont pas la même désinvolture que M. Touré, des dizaines de fidèles continuent de fréquenter les mosquées, quelques-uns en portant des masques. Prières et précautions Au lendemain des mesures annoncées par le gouvernement, quelques leaders religieux musulmans ont instruit la fermeture de leurs mosquées et zawiyas pour protéger les fidèles et respecter les consignes édictées. Mais la grande majorité des mosquées est restée ouverte. N’appelant pas pour le moment à leur fermeture, la Ligue des Imams et érudits du Mali (LIMAMA) a conseillé à ses membres certaines règles, afin de respecter les gestes barrières tout en assurant la continuité de la prière en groupes.
« Il y a des endroits qui rassemblent plus de monde que les mosquées, comme les marchés », par exemple, se justifie l’Imam Sékou Amadou Traoré de la LIMAMA. « Nous avons demandé d’arrêter de serrer les mains, de se protéger le visage, de se laver les mains avant d’entrer. C’est l’Imam qui parle et il y a une distance entre lui et les fidèles », poursuit-il. Des mesures qui seront reconduites pour les prières collectives du Ramadan. « Nous avons demandé aux Imams de faire tout pour respecter les heures du couvre-feu », précise l’Imam Traoré. Cette année s’annonce différente, assure pour sa part l’Imam Modibo Diakité de la mosquée de Kalaban Coro Koulouba. « Parce que la maladie a changé beaucoup de choses, y compris dans la religion. Ce n’est pas la première fois que des choses comme cela arrivent ». Il cite l’exemple du Prophète, qui avait instruit en cas de survenue d’une maladie à potentiel épidémique aux gens de la localité concernée de rester sur place et aux autres de ne pas se déplacer vers la zone infectée. « C’est pour protéger la vie des gens.
Dieu a dit de se protéger », ajoute l’Imam Diakité, rappelant que plusieurs mosquées ont été fermées à la Mecque « pour éviter la catastrophe ». Et la LIMAMA « a décidé de raccourcir le temps des prières », précise l’Imam Diakité. Adapter les rites Le mois de Ramadan est une période privilégiée pour les musulmans et propice à l’accomplissement de différents rites. Au-delà de l’obligation de s’abstenir de manger, de boire et de toute relation sexuelle entre le lever et le coucher du soleil, les fidèles s’adonnent à plusieurs activités. Les transcriptions du Coran dans la journée sont maintenues en respectant les mesures barrières, mais il a été décidé par la LIMAMA de surseoir aux prières des 10 derniers jours du mois de Ramadan, qui se tiennent généralement tard dans la nuit, ainsi qu’au séjour continu dans les mosquées durant la même période. Pour respecter les heures du couvre-feu, il a été demandé aux Imams d’accomplir les prières surérogatoires, qui se tiennent après la dernière prière du soir, « dans les temps » afin de permettre aux fidèles de rentrer chez eux. Il est « important que chacun prenne soin de lui et des autres en respectant les consignes des autorités », suggère l’Imam Diakité. Concernant la pratique du jeûne en tant que tel, l’avis des scientifiques est clair, selon l’Imam Ousmane Diarra, membre du Haut conseil islamique (HCI).
« La maladie est une réalité. Selon les scientifiques, ceux qui ne l’ont pas peuvent jeûner, mais ceux qui sont atteints doivent arrêter de jeûner pour faire face à leur traitement ». Il est aussi essentiel en cette période de s’alimenter correctement afin de renforcer l’organisme pour ne pas se rendre vulnérable, conseillent les spécialistes. Même si les mosquées restent ouvertes, compte tenu de l’interdiction des grands rassemblements il est demandé aux gens de privilégier les prières obligatoires ou « farida » et d’accomplir chez eux les prières dites surérogatoires, ajoute l’Imam Diarra. Il est en outre recommandé de le faire dans un espace bien aéré. À l’issue de plusieurs rencontres avec les Ulémas, la fermeture des mosquées n’est pas encore la solution préconisée. C’est une question sensible, reconnaît l’Imam Diarra. Mais si le gouvernement en décidait autrement, les Musulmans seront obligés de s’aligner, admet-il. Se protéger et protéger les autres Ce slogan, essentiel dans la lutte contre la maladie à coronavirus, ne semble pas pour le moment être un acquis dans notre société, où des mesures de confinement sont difficiles à respecter. Pourtant, cela n’est nullement en contradiction avec nos convictions et fait même partie des recommandations religieuses.
La mise en œuvre est pour le moment confrontée à certaines réalités. Si la période du Ramadan est propice à l’organisation de prières collectives, ces prières « ne sont pas obligatoires mais peuvent constituer des bonus », explique l’Imam de la mosquée de Darsalam, M.Thierno Hady Thiam. Rappelant que cette pratique en groupe a commencé avec le deuxième calife après le Prophète, il ajoute qu’elle est entrée dans les habitudes au Mali. Dès l’annonce par les autorités sanitaires des mesures de prévention contre la maladie à coronavirus, « nous avons fermé la mosquée du vendredi de Darsalam et la zawiya », précise l’Imam Thiam. « Il faut rappeler que le Ramadan fait partie des piliers de l’Islam et que c’est aussi une bonne occasion de se confiner et de s’adonner à l’adoration de Dieu », ajoute-t-il. Pour ce faire, il invite l’État à aider « les Maliens, de façon générale, à obtenir leurs besoins en cassant les prix ». Chacun devra ensuite prier « chez lui, en famille. C’est un moyen pour le Musulman d’être en communion avec sa famille ».
Il propose même de ramener le couvre-feu à 20 heures afin d’éviter les sorties pour se regrouper et d’augmenter ainsi les risques de transmission de la maladie, dans un pays qui n’a pas assez de moyens sanitaires. Mais l’État semble pour le moment avoir fait le choix de ne rien décider. Même si les autorités ont sollicité la fin des rassemblements, notamment sur les lieux de culte, certains dignitaires musulmans n’accèdent pas pour le moment à cette demande. Entre ceux qui pensent qu’il faut craindre Dieu plutôt que la maladie et ceux qui estiment que la maladie est juste « une supercherie », l’État n’a pas encore pris ses responsabilités. Un discours prédominant dans les milieux des commerçants et des artisans qui constituent la base sociologique des associations religieuses, selon le sociologue Fodié Tandjigora. « L’État, en s’attaquant à la fermeture des mosquées, fait face à la fois à différents milieux, les marchés, les petits producteurs, les grands commerçants qui financent les mosquées ». Des « rouages tellement complexes » que l’État a craint d’ouvrir un autre front en période d’élections, avec un pouvoir fébrile avec la situation sécuritaire actuelle, conclut le sociologue.
Fatoumata Maguiraga
Source: journaldumali