Racine Thiam, l’ex-directeur de la Communication de la Présidence de la République du Mali et actuellement vice-président de l’Union pour la République et la Démocratie (Urd) était l’invité du premier numéro de 2018 de l’émission politique ” Politik ” d’Africable TV, le dimanche 7 janvier 2018. Dans cette émission, Racine Thiam a fait des révélations sur son compagnonnage avec le président Ibrahim Boubacar Kéita, sa décision de démissionner, son virage à l’opposition et les élections de 2018. Nous vous proposons la 1ère partie de cette intervention de l’ex directeur de la Communication de la Présidence de la République.
Dans son introduction, Racine Thiam a remercié Africable télévision pour l’initiative de l’émission “Politik” qui, à ses dires, permet au peuple malien d’entendre un autre son de cloche et de voir d’autres possibilités de débats et de discussions. Il dira qu’il aime les rendez-vous, c’est-à-dire les débats car pour lui, la vie est un ensemble de rendez-vous dont certains sont manqués et d’autres attrapés. “La chance est un long processus de rendez-vous avec l’histoire. Certains arrivent à mettre les deux pieds dedans et d’autres ratent leur rendez-vous avec l’histoire. Je pense que 2018 sera une année de rendez-vous pour le peuple malien et pour le Mali. Nous espérons qu’à travers l’émission d’Africable, le peuple malien rentrera dans 2018 bien averti en bonne connaissance de cause, en sachant les tenants et les aboutissants, une année avec plus de possibilités de choix que dans le passé”.
Racine Thiam sur ses parcours scolaire et professionnel : ” Je me sens comme un privilégié “
Parlant de lui-même, il indiquera qu’il est parmi les privilégiés par rapport à certains qui font des années scolaires difficiles avant de tomber dans le chômage avec leur diplôme. “Nous sommes des privilégiés parce que notre parcours scolaire et professionnel a été relativement serein. J’ai fait l’école de la République avant d’aller à l’IUG puis en France pour y continuer mes études avec quelques difficultés. Avoir la possibilité d’étudier en France est un privilège”, a-t-il affirmé. Et une fois rentré au pays, il dira qu’il n’a pas eu de difficultés majeures à trouver des emplois. Il a commencé à travailler à la Bicim comme chargé d’affaires d’entreprises où il s’occupait des comptes des entreprises privées au Mali. Ensuite, il est parti à la Bdm-sa où il s’occupait du développement du marketing et de la communication avant de devenir directeur général adjoint. Par la suite, il sera recruté par Orange-Mali comme chargé de Division communication puis directeur de la Communication. Après Orange-Mali, il fera ses premiers pas dans la politique. “Cela était une décision bien murie parce que je me sens comme un privilégié. Mais j’ai vu les difficultés dans lesquelles se débattait le pays. Et j’étais dans l’inconfort moral à mes postes de profiter de tous les privilèges et de voir à côté de moi la difficulté, la pauvreté des jeunes qui n’y arrivent pas. D’aucuns dans ces postes seraient restés. Mais moi, j’étais dans l’inconfort moral. Et je me suis dit que c’est peut-être par la politique, par l’engagement politique que nous pouvons y arriver. C’est ce qui m’a fait venir sur l’arène politique en 2012-2013″, a-t-il expliqué.
“La politique n’est pas un métier”, dixit Racine Thiam
Racine Thiam a confié qu’il a été toujours été engagé politiquement. Et à son entendement, la politique n’est pas un métier. “J’ai toujours pensé, effectivement, que quand Dieu vous donne un certain nombre de privilèges, vous êtes en bonne santé, intellectuellement bien bâti, il est de votre devoir de vous engager pour votre pays. Cela passe par des rendez-vous. Parfois, on a le temps de se former intellectuellement, de sortir de l’arène, de se bâtir professionnellement. Parce que ma conviction est que la politique n’est pas un métier. Nous devons y entrer avec des professions que nous pouvons retrouver une fois que nous ne sommes pas en activité politique. Donc, j’ai été tout temps engagé politiquement avec des allers et retours pour ma formation et pour me construire professionnellement”, a-t-il confié.
“En 2013, nous avions pensé qu’IBK était l’homme de la situation”
Sur les raisons de l’accompagnement d’Ibrahim Boubacar Kéita au 2e tour de l’élection présidentielle, Racine Thiam a laissé entendre que ces raisons sont simples. Parce qu’ils avaient décidé de créer le parti politique Convergence pour d’action pour le peuple (CAP) pour apporter leur pierre dans la construction du pays. “Avec le coup d’Etat de 2012, le pays allait mal, nous avons eu la fibre patriotique et nous nous sommes engagés politiquement. Au nom de mes camarades, j’ai été candidat aux élections présidentielles. Au moment du choix, compte tenu des difficultés du pays, compte tenu des orientations de l’époque, compte tenu du problème sécuritaire que le pays connaissait en 2012 avec une rébellion armée qui revendiquait une partie du pays, il y avait la velléité djihadiste un peu partout, nous avons pensé qu’Ibrahim Boubacar Kéita, compte tenu de son expérience, compte tenu de son parcours, compte tenu du fait qu’il a été Premier ministre pendant 6 ans et compte tenu de son tempérament, nous avons pensé comme l’ensemble des 77 % de nos compatriotes qu’il était l’homme de la situation à l’époque. Nous avons eu à lui apporter notre soutien. Nous sommes restés pratiquement 2 ans à le soutenir, notre soutien était non conditionnel. Nous n’avons pas demandé une rétribution à ce soutien. De 2013 à 2015, nous n’avons participé à aucun gouvernement, à aucune nomination. Aucun membre de notre parti n’a été sollicité pour aider le gouvernement. Mais nous avons continué à soutenir le président Ibrahim Boubacar Kéita jusqu’à ce qu’il me fasse appel pour un poste technique en réalité qui était celui de directeur de la Communication de la Présidence parce que j’ai des compétences en communication. C’est ce qui nous a amené à ce compagnonnage à la Présidence “, a-t-il expliqué.
Revenant sur sa stratégie de communication “Rendez-vous avec Koulouba”, Racine Thiam a raconté que venant du privé, il fallait mettre en pratique les réflexions que nous avions. Parce que, a-t-il développé, quand il venait à Koulouba, le gouvernement avait un véritable problème de communication. Il y avait un manque de communication du gouvernement. “Quand j’ai pris fonction à la Présidence, j’ai trouvé qu’il y avait un problème de communication au niveau de la Présidence. J’ai même outrepassé mon périmètre parce que quand on analyse une situation, on trouve une solution. Le problème des gouvernements successifs était le manque de communication. Et le président IBK lui-même l’avait dit. Donc, quand j’ai pris fonction, j’ai fait une analyse diagnostique et j’ai vu qu’on ne parlait pas suffisamment de ce que le gouvernement faisait. Normalement, c’est au Porte-parole du gouvernement de le faire, c’est aux différents ministres d’informer l’opinion nationale sur ce qui se passe dans le pays. Mais nous avons trouvé la situation dans une telle léthargie qu’il a été convenu que la Présidence prenne le relais pour essayer de changer la tendance. Et comme j’aime l’action, je n’ai pas croisé les bras. J’ai essayé d’apporter des innovations en faisant ce que je pouvais. Ce qui nous amené à créer “Rendez-vous avec Koulouba”. Nous avons fait 39 rendez-vous sur un an pour dire ce qui allait. Il y avait comme principe que l’opposition républicaine disait ce qui n’allait pas. Ce qui est leur rôle. Mais la majorité devait dire ce qui allait. Comme ça ne s’organisait pas très bien, nous avons engagé le projet de “Rendez-vous avec Koulouba” qui a fait son effet un moment. Mais nous avons été obligés de l’arrêter parce que les attentes étaient tellement grandes et l’inefficacité des différents gouvernements était tellement concrète, qu’effectivement, si on ne prenait pas garde, nous allions tourner en rond et dire des choses qui n’étaient pas tout à fait en phase avec la réalité du terrain. Donc, j’ai décidé personnellement d’arrêter ce rendez-vous parce que je ne trouvais plus la matière nécessaire pour continuer. Après cet arrêt, on a essayé de nous faire reprendre le Rendez-vous, mais j’étais déjà en ce moment dans un état d’esprit de rupture avec la gouvernance à cause de ce qui s’est passé. Donc, je ne pouvais plus défendre ce qui se passait”, a-t-il argumenté.
Il a ajouté que le problème de la Présidence n’était pas que communicationnel. Il a avancé qu’il y avait un problème d’action. Car, pour lui, on ne peut pas remplacer l’action par la communication. “Vous avez beau être un maître de la communication, votre carburant qui vous fait marcher, ce sont les actions. Et nous avons eu un manque de cohérence dans les différents gouvernements, un manque de prise en charge des problèmes réels du pays. Ce qui fait qu’à un moment donné, le communicateur se retrouve diminué face à l’inactivité de ces différents gouvernements. Je n’étais pas la bonne personne indiquée pour reprendre tout ceci. Mais le résultat est qu’effectivement, le président a tiré les mêmes conclusions que moi, parce qu’il a mis 5 gouvernements en 4 ans. Cela veut dire que quelque chose ne marchait pas et quelque chose ne marche pas jusqu’à présent. Ce qui m’a amené à dire à un moment que les arbres qui tombent font beaucoup de bruits que la forêt qui pousse parce qu’il était visible que des arbres tombaient, qu’il y a des difficultés, des accidents. Je n’ai jamais dit que tout allait bien. J’ai dit qu’à côté de ce qui ne marchait pas il y avait des actions qui marchaient. Et l’opposition a bien joué son rôle en dénonçant ce qui ne marchait pas. J’incitais les ministres à dire ce qui marchait. Et j’ai mis le curseur sur ce qui marchait, c’est-à-dire l’actif. Mais à un moment donné, le passif était tellement grand que les résultats étaient en deçà des attentes et des possibilités […] Et mon rôle était de conseiller ceux qui sont en charge de la marche du pays, de dire ce qui ne marche pas et que le gouvernement allait droit au mur. Et on allait droit au mur par manque de cohérence du gouvernement, par l’inaction du gouvernement et par manque de compétence de certains acteurs en poste. Les choses ne marchaient pas comme on l’espérait. J’ai joué mon rôle de conseiller. Et quand j’ai compris que mes conseils ne servaient plus, j’ai décidé de démissionner pour des raisons qui sont miennes”, s’est largement expliqué Racine Thiam.
“Je n’avais pas un budget de 8 millions Cfa. Le salaire qu’on me donnait à la Présidence était 5 fois moindre que ce que je gagnais à Orange-Mali”
Sur le budget de communication de la Présidence, il a révélé que ce budget n’était pas un gros budget. Il a démenti l’information selon laquelle il avait un budget de 8 millions Fcfa. “Cette information est de l’intox. Elle est fausse. Le salaire qu’on me donnait à la Présidence était 5 fois moindre que ce que je gagnais à Orange-Mali. Le salaire qu’on me donnait à la Présidence était le premier salaire qu’on me donnait comme cadre à la Bicim. J’ai des entreprises où je paie du personnel qui était mieux payé que moi. J’ai quitté ces entreprises pour aider mon pays. J’ai une école de formation où je paie des cadres plus que ce que je gagnais à la Présidence de la République. C’est pour dire que je n’étais pas à la Présidence pour des postes. J’ai refusé des postes qui valaient plusieurs millions pour garder ma liberté et pour pouvoir agir en politique. Le salaire d’un conseiller à Koulouba tourne autour de 500 000 Fcfa. Cela était mon premier salaire à la Bicim. Donc, ce ne sont pas des avantages qui m’ont amené à Koulouba. J’ai renoncé à des avantages pour aller simplement aider les Maliens à travers l’aide que j’apportais au président de la République“, a-t-il affirmé.
Racine a réagi à l’accusation selon laquelle il faisait de l’autopromotion au lieu de soigner l’image du président de la République. En réplique, il dira que dans une activité politique, ceux qui ne font rien critiquent se distinguent de ceux qui essaient de faire quelque chose. “Je n’avais pas besoin d’être à la Présidence pour faire une autopromotion. Partout où je suis passé, j’ai travaillé dur, j’ai gravi les échelons dans trois entreprises différentes. Mon parcours professionnel le prouve. J’étais venu à la Présidence de la République pour aider le président IBK. Et je ne comprends pas que des cadres, des intellectuels, des hommes politiques qui foisonnent autour du président de la République qui, dès qu’il a le dos tourné, le critiquent. Et nous qui essayons de l’aider, on nous critique. Je me souviens de quelqu’un qui m’a dit un jour, jeune homme, toi tu te bats pour essayer de redresser quelque chose qui ne marche pas. Je lui ai répondu que si moi j’arrive à ce niveau de constat, le jour où je constaterai effectivement que je me bats pour rien, je quitterai. Je ne comprends que vous ayez cet état d’esprit et vous restez autour du Président. Je pense que c’est l’une des difficultés dans cette gouvernance. Parce qu’il y a des gens qui ne sont pas convaincus de ce qu’ils font et qui restent pour des strapontins. Je ne suis pas de ce bord-là. J’ai décidé de partir parce que je suis un homme libre. Je ne peux empêcher quelqu’un de dire que je faisais de l’autopromotion. J’ai été candidat à l’élection présidentielle et je n’ai pas demandé l’avis de quelqu’un pour l’être”, s’est-il défendu
“Je n’avais aucun
problème avec Soumeylou Boubèye Maïga “
Racine Thiam a apporté un démenti sur son rapport avec Soumeylou Boubèye Maïga (ancien secrétaire général de la Présidence et actuel Premier ministre) qui était accusé d’être la cause de sa démission. “Cette information est un procès d’intention. La première personne à qui j’ai dit que je démissionnais, c’était l’actuel Premier ministre. Et je me rappelle, il m’avait dit d’attendre et de ne pas démissionner et de trouver d’autres échéances. Il peut en témoigner. C’est pour dire que personne n’est à la base de ma démission”, a-t-il réagi, avant d’ajouter qu’il ne regrette pas cette démission.
“Ce qui est mis en doute, c’est la capacité d’IBK à organiser une équipe qui réponde de façon satisfaisante aux besoins du pays”
A la question quelle qualité garde-t-il du président IBK, Racine Thiam a répondu que faire de la politique demande des qualités dont celle d’aimer le pays. Il a dit qu’IBK aime le Mali. Mais, a-t-il ajouté, “ce qui est mis en doute, c’est sa capacité à organiser une équipe qui réponde de façon satisfaisante aux besoins du pays. Et aujourd’hui, cela ne souffre d’aucune forme de complaisance de ma part”, a-t-il précisé.
La suite de l’entretien sera diffusée dans notre prochaine édition.
Siaka DOUMBIA
Source: Aujourd`hui mali