Rappelons tout d’abord que la France et les pays africains de la zone franc (PAZF) ont signé le 4 décembre 1973, une convention visant à « mettre en commun leurs avoirs extérieurs dans un fonds de réserves de change. Ces réserves feront l’objet d’un dépôt auprès du Trésor Français, dans un compte courant dénommé comptes d’opérations ». La création de ces comptes d’opération fait suite au Pacte Colonial négocié par le conseiller du Général de Gaulle, Jacques Foccart, au lendemain des indépendances, et qui obligeait les PAZF à déposer la totalité de leurs avoirs extérieurs au Trésor Français. La convention de 1973 a assoupli ce « pacte » en ramenant le taux du dépôt à 65% des avoirs extérieurs, l’objectif officiel étant de répondre aux besoins de trésorerie des PAZF, et d’honorer leurs engagements auprès de leurs créanciers. En contrepartie, la France garantie une convertibilité illimitée du franc CFA en euros.
Cette convertibilité illimitée du franc CFA signifie qu’à chaque fois que de la richesse est créée dans un PAZF, de la monnaie est créée (du franc CFA en l’occurrence). Il en résulte une création potentielle de franc français, jusqu’en 2002, puis d’euro, ce dernier étant automatiquement convertible. Comme nombre d’économistes, nous pouvons voir dans ce mécanisme une source illimitée de devises pour la France. En effet, étant donné que la France est historiquement le principal partenaire et investisseur des pays de la zone franc CFA, la création de richesses en franc CFA lui a permis d’accumuler massivement des devises, notamment grâce à une liberté de rapatriement des capitaux sans restriction que légalisent les principes régissant le franc CFA. Ces comptes d’opérations seraient d’autant plus rentables qu’ils sont excédentaires jusqu’en 1980, puis de nouveau après la dévaluation de 1994, décidée par la France, qui a réduit la valeur du franc CFA de moitié. La garantie totale du franc CFA accordée par la France n’est donc aujourd’hui que fiction puisqu’il est peu probable que les Etats africains de la zone franc fassent faillite.
Cependant, force est de constater que l’environnement a changé, la France a perdu son quasi-monopole sur les marchés africains et la pluralité des acteurs présents aujourd’hui sur ces marchés ne permet plus à la France de s’enrichir (autant) sur le dos des Etats africains. En réalité, la plus grande faille de ce système repose sur le fait que les comptes d’opérations du Trésor français considèrent comme une seule et même entité l’ensemble des PAZF. Par conséquent, des pays ayant une balance commerciale excédentaire (tels que la Côte d’Ivoire ou le Gabon) payent pour des Etats déficitaires (telles que le Mali ou le Togo) qui ont ainsi la possibilité de s’endetter puis de faire porter la charge de cette dette à l’ensemble des pays de leur zone monétaire.
Ainsi, un pays comme le Sénégal est-il « douillettement » installé dans un profond déficit de sa balance commerciale avec des importations valant en moyenne le double de ses exportations, sans que cela ne se traduise par une quelconque sanction sur le plan monétaire. En d’autres termes, les mécanismes de la zone franc encouragent une forme de paresse économique en entretenant une propension à importer sans aucune relation avec les exportations. De nombreux pays africains sont, de ce fait, devenus des importateurs nets de biens de consommation et vivent au-dessus de leurs moyens, sans que cela ne transparaisse au niveau des statistiques de la zone monétaire.
On pourrait penser que finalement ce sont ces Etats qui bénéficient le plus de la zone franc CFA, mais ce sont ces même pays qui, aujourd’hui, ne parviennent pas à développer leur secteur industriel, voient le secteur tertiaire se développer mais principalement dans le commerce d’importation, abandonnent leur PME locales qui font face à des coûts dans un franc CFA trop fort (car arrimé à l’euro) et ne parviennent à rivaliser avec les importations bon marchés produites dans des monnaies plus faibles (yuan par exemple) ou dans des pays à monnaie forte qui subventionnent leurs exportations. Quand l’Afrique connait un taux de croissance de 6% en moyenne, les pays de la zone franc CFA atteignent une moyenne de 4%.
Nous pouvons en conclure que le franc CFA profite avant tout aux entreprises étrangères, aussi bien à celles déjà implantées en Afrique, qui peuvent rapatrier leurs capitaux en Europe ou en Amérique et bénéficient de l’absence de risque de change, qu’à celles qui exportent en Afrique où elles ont accès à un réservoir de consommateurs sans restriction aucune. On pourrait croire, à priori, que le franc CFA bénéficie également aux pays africains déficitaires, mais en réalité il représente un frein au développement de la compétitivité et de la concurrence des entreprises locales ainsi qu’à l’industrialisation. Le rapport 2011 de la Cnuced (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) et de l’Onudi (Organisation des Nations Unies pour le développement industriel) n’a-t-il pas indiqué que l’Afrique ne représentait que 1% de la production manufacturière mondiale ?
Awa Sacko
Source: terangaweb