“Dans un bus, il faut se cacher sous les roues avant, à l’arrière on risque de se faire écraser”: d’une voix éraillée, l’adolescent raconte à l’évaluateur de France Terre d’Asile le long périple qui l’a amené du Maghreb.
Ce mardi à la Paomie (Permanence d’accueil des mineurs isolés étrangers), l’entretien a mal commencé. Aux questions sur son foyer d’accueil — dans quel quartier habitais-tu ? tu te souviens des prénoms des adultes qui s’occupaient de toi ? — le garçon n’oppose que des “je ne me souviens pas” butés.
De l’autre côté du bureau, l’évaluateur soupire. “Si tu ne m’en dis pas plus, personne ne verra que tu es tout petit”.
Son rapport sera en effet déterminant pour permettre au garçon, qui dit avoir 13 ans, de poursuivre le chemin très balisé menant jusqu’à une éventuelle prise en charge par l’aide à l’enfance.
Chaque année, plus de 1.300 jeunes se présentent à la Paomie. Arrivés du Mali, de Guinée, du Pakistan ou d’Algérie, ils sont dans un premier temps “mis à l’abri” à l’hôtel ou, comme cela a été le cas cet hiver, dans des gymnases ouverts par la ville de Paris: au total, près de cent places pour attendre la dizaine de jours courant jusqu’à l’entretien à la Paomie.
Ce rendez-vous permet au jeune de raconter son parcours, via un interprète si besoin, et à l’évaluateur de repérer les incohérences, ou les discours “formatés par les passeurs”. “Il est rare que des jeunes arrivent seuls”, explique Fatou Sow, la directrice de la Paomie. “Ce qui relève du vécu s’entend très clairement”.
La question de l’âge notamment donne lieu à diverses questions sur la fratrie, la scolarité, le parcours migratoire…
Une moitié seulement passera cette barrière. Contrairement aux années 90, qui avaient vu arriver des Roumains très jeunes, une majorité des arrivants sont désormais de grands adolescents, âgés de 16 à 20 ans.
– Tests osseux –
France Terre d’Asile, qui dispose depuis 2011 d’une délégation de service public pour gérer la Paomie, est régulièrement critiquée par les associations d’aide aux réfugiés pour ce travail de “tri”. “Mais nous ne faisons que recueillir le récit du jeune, avant de le transmettre au département qui tranche”, rappelle Fatou Sow.
In fine, c’est le parquet ou le juge qui décidera si le jeune est ou non mineur, en s’appuyant notamment sur des tests osseux qui sont très décriés. La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) avait appelé l’an dernier à les proscrire, et une pétition lancée par le Réseau éducation sans frontières (RESF) pour leur suppression a recueilli 12.000 signatures environ.
Le volet judiciaire peut durer plusieurs mois, avec là aussi 50% environ de refus. Entre-temps, la prise en charge revient à la mairie de Paris, qui a consacré 93 millions d’euros à l’accueil des mineurs isolés étrangers l’an dernier et doit annoncer prochainement un nouveau dispositif de prise en charge.
Dans le box où il raconte son parcours, le garçon buté a fini par se dérider, devant une carte de la ville où il a transité plusieurs mois avant de passer la frontière.
Il montre le quartier touristique, le parking des bus, raconte la mendicité auprès des restaurants, puis son passage en France, la chance, les rencontres, la colle qu’il lui est arrivé de sniffer quand il faisait trop froid — “mais j’ai arrêté quand je me suis mis à fumer”, assure-t-il en tortillant une mèche de cheveux.
Difficile de vérifier ce parcours de gamin des rues, défiant et débrouillard. A-t-il vraiment réussi à se cacher dans les toilettes du train ? Est-il réellement arrivé la veille au soir ?
L’adolescent baille, s’excuse, il raconte avoir dormi deux heures, après qu’une patrouille l’a repéré à la station Opéra.
Et quand on s’étonne de son emploi du temps à sa descente du train, il se met à rire: “Bien sûr que je suis allé voir la Tour Eiffel. C’était ma première fois à Paris”.
Source: AFP