Seydou Traoré dit le FIS formait avec Dramane Danté et Sidi Bekaye Magassa le trio magique qui a arbitré dans tous les stades d’Afrique. Il arrivait que les trois arbitres changent d’avion à l’aéroport de Sénou, sans faire un tour à la maison, tellement ils étaient sollicités, même en dehors du continent africain. Le leader du trio, Sidi Békaye Magassa dit à qui veut l’entendre qu’il doit sa notoriété à ses deux assistants : Dramane Danté et Seydou Traoré dit le FIS. Comment cela peut-il s’expliquer quand on sait que le dernier mot revient à l’arbitre central ? Seydou Traoré, notre héros de la semaine, dans le cadre de la rubrique “Que sont-ils devenus ?” estime qu’un arbitre assistant a six secondes pour réagir, après l’analyse de quatre éléments importants : la position du ballon, de la ligne, de l’attaquant et du défenseur. Il peut y avoir un hors-jeu passif, c’est-à-dire que le constat n’influe pas sur l’action. Selon lui, une fois que les assistants maitrisent ces aspects, l’arbitre central est sauvé. Lui aussi reconnait la valeur intrinsèque de Sidi Bekaye Magassa, qui s’est imposé par son cran et sa lucidité. Il est évident que le trio arbitral a évolué dans une confiance absolue. L’ancien arbitre assistant international, s’occupe, depuis sa retraite en 2004 de la formation des jeunes. Nous l’avons rencontré à un moment où l’assistance vidéo arbitrage fait polémique. Qu’en pense-t-il ? Comment s’est-il retrouvé dans l’ancrage arbitral pour en être une icône ? D’où vient le sobriquet “le FIS” ? Autant de questions qui ont alimenté notre entretien avec Seydou Traoré. Mais d’emblée, nous revenons sur un fait insolite, sinon une anecdote de sa carrière, où il pouvait perdre la vie.
Le 19 septembre 2002, l’arbitre assistant international Seydou Traoré s’est retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment. Et pour cause! Désigné pour prendre part au tournoi de la CEDEAO devant se dérouler en Côte d’Ivoire, il est basé à Bouaké parce que la poule des Aigles se trouve à Abidjan. Voilà qu’à quelques heures du coup d’envoi de la compétition, une rébellion éclate. Les mutins du MP-CI dirigés par Guillaume Soro ayant échoué à prendre le pouvoir, se replient à Bouaké tout en transformant la zone en “Far West”.
Le prisonnier de Bouaké
Les délégations d’Abidjan ont pu sortir sans grand problème. Mais celles dont Seydou Traoré faisait partie, sont restées “emprisonnées” à l’hôtel durant des semaines.
Comment l’ancien arbitre assistant a-t-il vécu ces moments difficiles ? Comment les différentes délégations ont-elles été exfiltrées ? Le FIS se rappelle : “Tout a basculé quand la rébellion a échoué dans sa tentative de prendre le pouvoir. Les rebelles ont installé leur QG à Bouaké. Nous avons passé pratiquement trois semaines dans l’hôtel, impossible de sortir au risque de prendre une balle banalement. Parce que les rebelles étaient excités et déterminés. Ils tiraient dans le désordre des rafales. C’étaient des moments difficiles. Nous nous retrouvions seulement au restaurant juste pour manger. Après, il fallait se réfugier dans sa chambre. Les coups de rafales ne cessaient pas, la menace était permanente. Les rumeurs faisaient état d’un assaut de l’armée loyaliste. Ce qui augmentait la frayeur. Les responsables de l’hôtel confrontés à un problème de produits alimentaires, étaient également dans l’angoisse. Finalement, la CEDEAO a pu négocier avec les rebelles. Des cars sous haute surveillance sont venus nous prendre pour Abidjan, où m’attendaient Magassa et Danté. Nous avions un match de coupe d’Afrique au Togo. C’est le lieu pour moi de remercier tous ceux-ci qui n’ont cessé de téléphoner à ma famille pour prendre de mes nouvelles. J’ai été beaucoup ému, quand mes parents m’ont informé de la démarche des uns et des autres”.
C’est l’Algérien Belaïd Lacarne, instructeur et membre de la Commission des Arbitres de la Confédération Africaine de Football (CAF) qui lui a donné le surnom “le FIS”(Front Islamique du Salut) de l’emblématique feu Abassi Madani en 1994 lors d’une formation des arbitres à Bamako. Comme Seydou était barbu, chaque fois qu’il levait le doigt pour poser une question, l’instructeur qui ne retenait pas tous les noms l’appelait tout simplement : “le FIS”.
Selon notre héros, c’est notre confrère et doyen Papa Oumar Diop de l’ORTM qui a donné plus de sensation à ce sobriquet.
Vigilant et attentif !
Seydou Traoré était un arbitre vigilant et très attentif. C’est-à-dire il était pointu sur les actions, parfois douteuses dont seules les images sur l’ORTM le disculpaient. Au cours d’un match de championnat en 2000, pour avoir vanté les qualités de Seydou Traoré, nous avons été pris à partie par un confrère. En effet, la tribune de presse du stade Modibo Kéïta est souvent le théâtre d’affrontements verbaux entre hommes de média. Parce que chaque journaliste a, au petit coin de son cœur, l’amour d’un club. Donc les décisions arbitrales sont appréciées différemment. A quelques jours de la fin du championnat, le suspense était là. Le Stade malien de Bamako, talonné par le Djoliba AC, avait besoin d’une victoire contre le CSK pour remporter le titre. L’arbitre assistant Seydou Traoré dit le FIS a invalidé le premier but stadiste pour position de hors-jeu. Ce qui a donné lieu à des discussions chaudes dans la tribune de presse. Notre tort s’est résulté dans le seul fait d’avoir affirmé que rarement Seydou et Danté se trompent. Il n’en fallait pas plus pour irriter notre confrère et voisin qui tentait de nous corriger en affirmant que seul le bon dieu ne se trompe. Dans ses argumentations, il rappelait que Seydou était le frère de Bréhima Traoré dit Allah ka Bourama du Djoliba. En terme clair, il disait que l’arbitre assistant était en train de faire le jeu de son frangin. Pour mettre balle à terre, votre serviteur a quitté le débat parce que nous n’étions pas sur la même longueur d’ondes.
Dix-neuf ans après, cette discussion aurait été gérée et réglée par la vidéo assistance de l’arbitrage. Le nouveau recours fait couler beaucoup d’encre, et l’avis de Seydou Traoré, en sa qualité d’ancien arbitre de haut niveau, peut avoir son pesant d’or.
Au départ, avec un avis mitigé sur la vidéo assistance à l’arbitrage, il estimait que le football devrait rester dans son cadre naturel, avant de comprendre qu’elle permet de corriger une erreur des arbitres qui sont des êtres humains qui peuvent se tromper, notamment dans certaines actions qui déterminent parfois l’issue d’un match.
Cependant, il estime que certaines décisions ne doivent pas mettre en cause la liberté ou le pouvoir discrétionnaire de l’arbitre. A titre d’exemple “le FIS” cite le penalty qui dépend de l’appréciation de l’arbitre. L’ancien arbitre assistant n’est pas d’accord qu’on mette la pression sur l’arbitre, afin qu’il visionne la vidéo. C’est-à-dire c’est sa veule volonté qui doit compter ou l’alerte de la cabine.
Seydou Traoré dit “le FIS” a participé à 2 CAN de cadets (1995, 1999), 2 coupes du monde Juniors (Nouvelle Zélande en 1999 et Trinidad de Tobacco), au tournoi Méridien en 2001 en Egypte. Il a arbitré 6 finales de coupes du Mali ( 1999-2000-2001-2002-2003-2004), 61 matches d’éliminatoires de CAN ( toutes catégories confondues), 78 rencontres pour les compétitions interclubs, 2 finales de vainqueurs de coupe ( 1995, 1997), une finale de clubs champions (1996).
Iran contre Irak
Il a fallu le réflexe et le bon sens d’un certain Samba N’Diaye, ancien joueur de l’AS Réal pour que notre héros du jour soit ce grand arbitre. L’ancien cadre de l’Union Nationale des Jeunes du Mali (UNJM) était dans le désarroi total pour trouver un arbitre capable d’officier une finale entre deux clubs rivaux du quartier populaire de Bolibana : Iran-Irak.
De façon spontanée, il demande au jeune Seydou de diriger ladite finale. Pour le convaincre, son ainé s’en réfère au respect que les jeunes ont pour lui, et surtout l’ombre de son grand frère ” Allah Ka Bourama ” du Djoliba. Il est évident que Seydou jouait au ballon, mais arbitrer un match entre deux équipes dont les noms contribuent à faire monter la pression, eu égard à la rivalité des deux noms empruntés (Iran et Irak).
D’un coup de maître, Seydou siffle la finale, sanctionnée par un score vierge à la fin du temps règlementaire, qui coïncida avec le crépuscule. Il appela les deux capitaines pour les informer que la finale sera rejouée le lendemain. Cette initiative du jeune arbitre de l’époque a été tellement saluée que les organisateurs n’en revenaient. Pour eux, l’homme providentiel est trouvé, et c’était la fin des affrontements inter quartiers.
Pour cette deuxième édition, les abords du terrain étaient bondés de supporters, et d’après Seydou, il a dirigé la rencontre avec une dextérité extraordinaire. Tout lui a réussi.
A la fin du match, que de commentaires et de compliments sur sa prestation improvisée ! Au fond de lui-même, l’enfant de Bamako Coura Bolibana était triste. Parce qu’à la 85 ème mn, il accorda un penalty sur lequel un enfant de 12 ans a traversé le terrain pour venir prendre sa main. Il lui dit : “arbitre, tu as sifflé un penalty contre mon équipe, c’est vrai, le défenseur a touché de la main. Mais, mon équipe sera battue”. Sur ce, le petit sort du terrain et les choses se sont passées comme l’adolescent l’a prédit. Cet acte de l’innocent a marqué Seydou, et il dit avoir tiré sa première leçon d’arbitre ce jour. A la fin du match, il a cherché à voir le petit, en vain. A présent, en abordant la scène, on sent la chair de poule chez le FIS. Tout est parti de cette finale.
Les ainés de Seydou dans le quartier l’ont encouragé à embrasser le métier d’arbitre. A l’époque, en 11ème A au lycée Askia Mohamed, il se confia à son professeur de Français, Sidi Bekaye Doumbia, arbitre de la génération des Moussa Kanouté, Sidi Bekaye Magassa, Sidi Sissoko etc. Celui-ci lui donna les directives pour s’inscrire.
En 1983, Seydou Traoré est arbitre de District, l’année suivante il passe au grade de ligue, puis de Fédéral en 1985. C’est à partir de 1993 qu’il devient ce grand arbitre international de la FIFA qui sillonnera tous les stades d’Afrique jusqu’à sa retraite en 2004.
Soit au stade omnisports Modibo Keïta de Bamako ou devant le petit écran, nous avons été témoins de certains matches qui, avec le recul, prennent l’allure de bons souvenirs ou mauvais souvenirs. Nous nous rappelons de ce match à Kati entre le Mamahira et le Djoliba officié par l’imperturbable Koman Coulibaly. Il y a aussi ce match Djoliba-Stade où un supporter saute le grillage de clôture avec un couteau, et se retrouva nez à nez avec le FIS. Le connaissant parfaitement, il tente de moraliser le jeune supporter passionné.
Notre héros du jour a d’autres bons et mauvais souvenirs qu’il évoque ici : ” Je retiens comme bons souvenirs le match de classement en 1999, de la coupe du monde en Nouvelle Zélande. Il y a aussi cette rencontre qui a opposé la Côte d’Ivoire au Maroc pour les éliminatoires de la CAN de 1998. A la veille, des rumeurs faisaient état d’une corruption du trio arbitral. Donc, il fallait se méfier. C’est ainsi qu’un joueur marocain a commis une faute intentionnelle dont le carton rouge directe s’imposait. Sidi Bekaye s’apprêtait à l’expulser. Je lui ai dit : ne le fait pas, ne le fait pas. Il est venu me voir pour mieux comprendre. Je lui ai rappelé tout ce qui a été dit en amont de ce match à haut risque. Quelques minutes plus tard, le même joueur a fait pire. Et j’ai tourné dos à Bekaye, quand il a voulu avoir mon avis sur la décision à prendre. Magassa l’expulsa et le joueur n’a pas bronché parce qu’il était convaincu de la gravité de son geste.
Un match qui aurait dû être un bon souvenir pour moi, produit malheureusement l’effet contraire dans ma mémoire. Qu’est ce qui s’est passé ? C’était la finale aller des vainqueurs de coupe entre l’Espérance Sportive de Sousse de Tunisie et les FAR de Rabat du Maroc en 1997. J’ai laissé passer une action que les Marocains n’ont pas appréciée. Ils ont conclu à un hors-jeu que j’ai favorisé. Le soir, les images de la télévision tunisienne m’ont sauvé, parce qu’il n’y avait rien. Le match qui s’est soldé par 3 buts à 1 a enregistré deux cartons rouges du côté des Marocains. Ils ont été très discourtois. A leur retour, ils ont répliqué dans les différents journaux en titrant à la une “Les arbitres mercenaires du Mali”.
Ahmed Mohamed Ag Hamani, qui était à l’époque ambassadeur à Rabat, a demandé à son homologue de la Tunisie de tout faire pour lui envoyer la cassette du match. Parce que l’honneur du pays était en train d’être sapé par les Arabes. Et quand Ag Hamani a visionné le match, il a compris que le trio arbitral n’en était pour rien. La mauvaise interprétation des faits m’a choqué, raison pour laquelle le match est devenu pour moi un mauvais souvenir”.
Depuis sa retraite en 2004, notre héros du jour est instructeur des jeunes arbitres. Pour la circonstance, il a effectué deux stages : en Algérie et en Côte d’Ivoire.
Seydou Traoré est marié et père de six enfants. Il dirige une ONG, le Consortium AAA, qui est la fusion de trois ONG commençant toutes par la lettre A, d’où l’appellation les trois A. O. Roger Sissoko
Source: Aujourd’hui-Mali