Même ceux qui ne s’intéressent pas à l’Afrique devraient lire l’ouvrage que le journaliste Christophe Boisbouvier consacre à la politique africaine de François Hollande. Car en ces temps d’état d’urgence et de priorité maximale à la sécurité, il n’est pas inutile de se pencher sur les autres guerres déjà initiées par un «paisible social-démocrate» qui, en Afrique, bien avant l’offensive contre l’Etat islamique «se mue en chef de guerre». Depuis que Hollande s’est installé à l’Elysée, la France s’est, en effet, engagée sur deux terrains africains : le Mali, en janvier 2013, et la République centrafricaine, à partir de décembre 2014.
Rien ne semblait prédisposer Hollande, autrefois méchamment surnommé «Flamby», à revêtir le costume de chef des armées. Et encore moins en Afrique, un continent qui, longtemps, n’a guère intéressé le député de Corrèze devenu premier secrétaire du Parti socialiste.«En Afrique, il n’y a que des coups à prendre», aurait-il dit un jour pour justifier cette mise à distance avec un continent auquel la France est pourtant rattachée par des liens historiques. Il est vrai pour le meilleur comme pour le pire.
Tout change avec le lancement de l’opération Serval au Mali en janvier 2013. A cette époque aussi l’intervention de la France est justifiée par le danger terroriste. Le péril semble d’autant plus urgent que les jihadistes occupent alors le nord du pays et font mouvement vers le sud et la capitale, Bamako. Mais si le risque est réel, la réponse, exclusivement militaire, interroge, déjà, de rares voix critiques dont les réflexions pourraient être quasiment reproduites mot pour mot aujourd’hui, alors que la France est à nouveau en guerre.
Ainsi, dans une tribune publiée le 24 février 2013 dans le Monde, et citée dans l’ouvrage, Bertrand Badie s’interroge : «Qui s’est inquiété des échecs de la construction du politique en Afrique ? Qui, au contraire, n’a pas encouragé ses faiblesses pour continuer à dominer ?» souligne ce chercheur avant de poursuivre avec un certain sens prémonitoire : «Ces manquements coupables ressortent aujourd’hui sous les apparences d’un enchaînement fatal et diabolique qu’on croit naïvement pouvoir traiter par une guerre inadaptée, alimentant en fait des cercles vicieux de violence que seule la politique pourrait guérir, là où l’usage de la force risque de les enrichir.»
La guerre signe-t-elle la défaite du politique ou bien l’entraîne-t-elle ? Et quelles faiblesses masque-t-elle ? Christophe Boisbouvier note simplement que l’intervention française au Mali intervient à un moment où, «sur le plan intérieur, rien ne va ou presque» pour Hollande. Lequel aurait exigé, dès le début de l’opération Serval, la libération rapide de la ville de Tombouctou où il s’offre un bain de foule le 2 février. Avant de prononcer cette phrase inattendue, mais certainement révélatrice :«Je viens sans doute de vivre la journée la plus importante de ma vie politique.»
Au Mali, comme en France, l’opération Serval offre au Président un état de grâce inespéré. «Même les députés les plus critiques à l’égard de la politique africaine de Hollande se rallient à son initiative malienne»,souligne l’auteur, qui rappelle comment la rhétorique antiterroriste«avec des accents bushiens» va aussi permettre de s’affranchir de certaines règles : «Dès lors qu’on se bat contre des “terroristes” ou des “jihadistes”, la guerre devient mécaniquement “juste” et les droits de l’homme secondaires.»
Dans ce domaine, Hollande semble même n’avoir aucun scrupule à délivrer des «licence to kill» aux James Bond français : une quinzaine de chefs jihadistes seront éliminés entre janvier 2013 et mai 2014. On peut refuser de s’en émouvoir mais reste à savoir ce que ces choix révèlent de la personnalité du Président. «Depuis qu’il est élu, Hollande assume de manière beaucoup plus forte que ses prédécesseurs ce type d’action clandestine, avec une fermeté, une résolution, qui surprend même les militaires et les responsables de service de renseignements», explique Vincent Nouzille, auteur d’un livre sur les «tueurs de la République»,également cité par Boisbouvier.
En Afrique, la politique sécuritaire va rapidement devenir la seule priorité. Et dans la foulée, le retour de la realpolitik enterre les espoirs d’une remise en cause des compromissions avec les régimes autoritaires que Hollande, comme tous ses prédécesseurs, avait promis d’abolir. Lui, qui avait boudé le Tchadien Idriss Déby au début de sa présidence, en fera son plus proche allié lorsque Serval sera transformée et pérennisée en une opération militaire plus large, baptisée «Barkhane» en août 2014.
Mais le plus préoccupant, c’est bien qu’ici comme ailleurs, le militaire semble tenir lieu de seule politique. L’aide publique au développement ne cesse de baisser sous la présidence socialiste, alors même que les crédits militaires ont été augmentés depuis les attentats de janvier. «Les Britanniques pensent que leur influence passe par l’aide internationale. Ils sont à 0,7 % parce que cela leur donne une présence et des marchés»,rappelle Christophe Boisbouvier, tout en ajoutant : «François Hollande, lui, estime que l’influence de la France passe par le militaire : il utilise l’outil militaire comme un vecteur stratégique de déploiement de la France dans le monde.»
Le parallèle avec l’engagement de la France au Moyen-Orient est peut-être facile, il n’en reste pas moins troublant. Le pire étant peut-être qu’aucune leçon n’a été tirée des opérations militaires en Afrique : non seulement, elles ont évincé toute réflexion sur le développement ou sur le lien entre misère et fanatisme, mais que ce soit au Mali ou en République centrafricaine, rien n’est encore réglé. Même d’un point de vue strictement sécuritaire, puisque la paix reste encore incertaine dans ces pays toujours fragiles.