A chaque crise majeure au Mali – novembre 1968, mars 1991, mars 2012, août 2020 – les chefs de l’exécutif finissent par être balayés par un “soulèvement opéré par un clan militaire pour s’emparer du pouvoir par la force”, ce qu’on appelle communément un putsch militaire.
Le mardi 18 août 2020, à deux ans et demi de la fin de son deuxième et dernier mandat, le président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) et son Premier ministre, Docteur Boubou Cissé, sont arrêtés à la résidence privée du président par le Comité national pour le Salut du Peuple (CNSP) le chef de file est le Colonel Assimi Goïta (précédemment commandant des forces spéciales du centre) avec comme porte-parole le Colonel-Major Ismaël Wagué, (jusque-là chef d’état-major adjoint de l’Armée de l’air). Désormais règne l’ordre en kaki en dépit de la condamnation du putsch par les organisations sous régionales, comme la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) dont le président en exercice est Mahamadou Issoufou, également président du Niger.
Mais la responsabilité de la chute des exécutifs par des putschs militaires incombe tout autant à ceux qui sortent perdants (Convergence des Forces républicaines, CFR-majorité présidentielle), ceux qui ont tenu le front d’opposition (Mouvement du 5 juin, Rassemblement des Forces patriotiques, M5-RFP), ceux qui ont fait le putsch (CNSP), ou encore ceux qui ont regardé la caravane passer. Ce nouveau putsch n’est que le pâle reflet d’une tradition du putsch “à la malienne”.
Modibo Keita a été renversé par le Comité militaire de Libération nationale (CMLN) le mardi 19 novembre 1968 alors qu’il avait conduit le Mali à l’Indépendance. Le général Moussa Traoré a été déposé par le Comité de Transition pour le Salut du Peuple (CTSP) le mardi 26 mars 1991 alors qu’il a gagné la guerre contre le Burkina-Faso en 1985. Suite à une mutinerie, conduite par le capitaine Amadou Haya Sanogo, le président Amadou Toumani Touré abdique le mardi 22 mars 2012 et est contraint à l’exil à Dakar alors qu’il était un des cerveaux du coup d’Etat de mars 1991 contre le général Moussa Traoré. Aujourd’hui, c’est IBK qui est renversé par un putsch militaire le mardi 18 août 2020 alors qu’en en 2013 il était perçu comme l’homme qu’il fallait pour changer le Mali, et le sortir des griffes du narco terrorisme (criminalité organisée). Il a ainsi été élu au 2eme tour avec 77,61 % des voix face à son challengeur, Soumaïla Cissé, opposant enlevé depuis le 25 mars 2020, sans revendication officielle et sans nouvelle depuis. Seul Alpha Oumar Konaré, premier Président du Mali démocratique, n’a pas vécu un coup d’Etat militaire. Probablement grâce à son art de la synthèse et sa proximité avec les Maliens ordinaires. Dans les crises maliennes, l’exécutif suscite toujours du rejet et de l’ingratitude. Les vaincus des troubles politiques sont toujours emportés par un putsch. Le Mali vit dans la tourmente des putschs militaires.
Et pas seulement au Mali. La sous-région est animée de coups d’Etat récurrents. Par exemple en Guinée-Conakry, le capitaine Moussa Dadis Camara, l’homme des shows médiatiques contre la corruption, président autoproclamé de la Guinée après la mort du général Lansana Conté, vit en exil au Burkina-Faso à la suite d’une tentative d’assassinat contre lui où il a été blessé à la tête. En Côte d’Ivoire, le 24 décembre 1999, le général Robert Gueï renverse Henri Konan Bédié. Il scandait “…nous sommes venus pour balayer la maison…”. À la suite de l’élection présidentielle d’octobre 2000, remportée par Laurent Gbagbo, il quitte le pouvoir, mais sans amertume. Pourtant, très vite, il est accusé de fomenter un nouveau coup d’Etat, et en septembre 2002, il est retrouvé assassiné à Abidjan. Les crises sont voraces. Elles ravagent les hommes, politiques comme militaires, sauveurs comme pourfendeurs.
Pour finir, la crise actuelle du Mali a bien un précédent contemporain (putsch militaire de 2012) à des niveaux différents. Certes, la crise de 2012 (putsch du capitaine Haya Sanogo) était bien plus féroce et regardée par les Maliens et les amis du Mali avec un certain fatalisme sans que dans l’immédiat on cherche des coupables et des responsables politiques. C’est tout le contraire aujourd’hui avec le putsch du CNSP. Partout au Mali et à l’extérieur du Mali, la crise a déferlé à travers les manifestations du M5-RFP, la grogne dans l’Armée (pertes militaires Boulkessi, Mondoro…), contestations post-législatives, accord tardif de l’application de l’article 39 à propos de la majoration des rémunérations des enseignants, manifestation des soignants à Kayes pour réclamer plus de matériels de protection…
Evidemment, il y a eu l’apparition théâtrale des religieux (chrétiens et musulmans confondus) dans la crise ; évidemment, il y a eu l’effacement des politiques au profit de l’émergence des chefs religieux ; évidemment, il y a eu la résistance du président déchu à la colère des Maliens pour réclamer des conditions de vie meilleure. Mais, tous ces faits constituent des variables qui nous annonçaient encore ce coup de poker de confiscation du pouvoir qui s’est joué sur le terreau d’une démocratie malienne à l’abandon. La guerre des égos a fini par l’emporter sur le bien être des Maliens. Ce putsch était prévisible car les acteurs (M5-RFP, CFR, Cédéao…) ont marché les yeux bandés.
Enfin, le putsch du 18 août 2020 ressemble à ces tempêtes de sable qui font sauter tous les calculs politiques. Même si le CNSP promet d’organiser des élections générales dans “… un délai raisonnable…”, on peut se poser les questions :
- quel avenir réservons-nous aux maliens ?
- quel est le délai raisonnable pour sauver le pays ?
Mohamed Amara
(Sociologue)