La Cour d’assises de Bamako en transport à Sikasso a renvoyé, le jeudi 8 décembre dernier, le procès de Amadou Aya Sanogo et 16 autres accusés à la prochaine session qui se tiendra probablement en février ou mars 2017. De ce premier round, deux certitudes se dégagent. La première : les accusés, tous des militaires, sont bel et bien des justiciables d’un tribunal de droit commun, contrairement à la thèse défendue par les avocats de la défense. Et la seconde : les accusés ne peuvent bénéficier de liberté provisoire. Seule exception soulevée de la défense qui vaille, c’est la reprise de l’expertise des 21 corps retrouvés dans la fosse commune à Diago. A cet effet, la Cour a ordonnée une nouvelle expertise au niveau du laboratoire Charles Mérieux de Bamako. Le conseiller Taïcha Maïga est chargé de suivre cette expertise qui doit être effectuée dans un délai de 45 jours à compter de la date de saisine dudit laboratoire.
Guère surprenant ! De suspension en suspension, le procès d’Amadou Haya Sanogo a finalement buté sur une irrégularité de taille, relative à l’expertise des corps déterrés à Diago. Le rapport d’expertise se trouvant dans le dossier d’accusation a été fait par des experts portugais via le FBI et l’Ambassade des Etats-Unis au Mali. Ces experts n’ont pas prêté serment devant un juge, conformément aux dispositions prévues en la matière dans le code de procédure pénale. Conséquence : le verdict de l’affaire dite des bérets rouges, tant attendu aussi bien par les parties au procès que l’opinion nationale et internationale, ne sera connu qu’en 2017. En principe.
Cette exception concernant le rapport d’expertise et bien d’autres avaient été soulevées, lors de l’audience du mercredi 7 décembre, par les avocats de la défense. Mais, les autres imperfections signalées par la défense n’ont pas résisté à l’analyse juridique de la Cour.
Ni la demande de liberté provisoire pour les accusés, au motif que les délais de la détention préventive sont déjà expirés, ni la transmission du dossier au Tribunal militaire de Bamako, au motif que les faits poursuivis relèvent du code de justice militaire, n’ont été retenus.
Ainsi, Amadou Haya Sanogo et 14 autres accusés (parmi les 16 accusés, 2 sont placés sous contrôle judiciaire) restent en prison. Il est donc désormais clair pour tous que cette affaire sera jugée par la Cour d’assises.
Le parquet, qui visiblement tenait à la tenue du procès, a pris acte du renvoi. Ce n’est donc que partie remise.
D’ores et déjà, Mohamed Maouloud Najim, l’avocat général, assure que le ministère public prendra toutes les dispositions nécessaires afin de corriger les petites imperfections pour permettre au procès d’aller jusqu’au bout.
Même engagement du côté du procureur général, Mamadou Lamine Coulibaly, qui trouve d’ailleurs normal que la Cour ait ordonné une nouvelle expertise. « Nous pensons qu’elle a pris cette décision dans le souci de la manifestation de la vérité. C’est aussi ça notre souhait. Les autres irrégularités soulevées par la défense ont été rejetées et nous pensons que nous avons été entendus par la Cour», confie-t-il aux journalistes, à sa sortie de la salle d’audience.
Pour les avocats de la défense, la bataille juridique ne fait que commencer. «Nous ne considérons pas ce renvoi comme une victoire. Nous parlerons de victoire lorsque tous nos clients seront en liberté», martèle Me Tiéfolo Konaré, avocat de la défense.
Quant aux avocats de la partie civile, ils affirment souscrire à toute démarche permettant la manifestation de la vérité. «Nous respectons la décision de la Cour. Nous respectons également les droits de toutes les parties au procès. Et nous souscrivons notre action dans le sens d’arriver à un procès équitable», indique Me Hamidou Diabaté, avocats de la partie civile.
Issa B Dembélé
Envoyé spécial
à propos du renvoi et de l’expertise
Ils ont dit
Me Moctar Mariko, avocat des victimes : «L’expertise dira comment les victimes ont été assassinées »
Effectivement, le droit a été dit. Surtout, la Cour a prêté une attention particulière à tout ce que la défense a dit et elle a répondu, point par point, à toutes les exceptions soulevées. Du point de vue logique et du droit, toutes les exceptions ont été rejetés, sauf celle concernant l’expertise. La Cour a estimé que les accusés n’ont pas reçu copie du rapport d’expertise et qu’il fallait reprendre ce travail en le confiant au laboratoire Charles Mérieux. C’est une victoire de la justice et des parties civiles, parce qu’en fait pratiquement tout ce qui a été demandé de l’autre côté a été rejeté. Et les parties civiles sont un peu rassurées qu’effectivement, elles pourront, à la suite du nouveau rapport d’expertise qui sera déposé, aller tout droit vers un procès.
Quant aux familles des victimes, elles veulent que toute la vérité soit dite dans cette affaire. Et le rapport d’expertise participe à la manifestation de la vérité. Comment les victimes ont été assassinées ? Avec quelles balles ? Est-ce que ce sont des balles de l’armée malienne? Le rapport permet de déterminer tout ça. Ainsi, toutes les responsabilités seront situées. Et tous ceux qui seront reconnus coupables doivent être condamnés. Nous voulons que ceux qui ne n’auront pas une implication active dans ce procès soient acquittés. Que seuls les vrais coupables soient condamnés.
Ce renvoi ne ralentit en rien notre élan. Sous d’autres cieux, des procès, comme celui de Hissène Habré a duré 25 ans, mais une décision a été rendue. Nous ne sommes contre personne. Nous sommes là pour la justice, pour tous ceux qui ont souffert et contre l’impunité.
Me Harouna Toureh, avocat de la défense : «Nos clients sont illégalement détenus »
L’expertise a été inégalement et irrégulièrement faite, en ce sens que la mission diplomatique désignée par le juge d’instruction n’avait pas la capacité juridique de procéder à ces mesures d’investigation et d’expertise. Donc, la Cour nous a suivis sur ce point et a estimé que l’expertise doit être refaite, sous le contrôle du conseiller Taïcha Maïga. Et elle a donné un délai de 45 jours. Ça veut dire qu’à la prochaine session, en 2017, cette affaire pourrait être rappelée si jamais les conditions pour lesquelles elle a été renvoyée venaient à être remplies positivement.
Nos clients auraient dû être libérés, parce qu’ils sont tous illégalement détenus au stade où nous sommes. Le délai légal de détention a largement expiré.
On a démontré que le ministère public a très mal monté son dossier, que le juge d’instruction l’a monté à l’envers et que les moyens de défense que nous avons opposés sont justes. Seulement la Cour, par politesse juridique, n’a estimé retenir qu’une seule de nos exceptions.
Mme Sagara Bintou Maïga, parente de victime : « Nous sommes confiants…»
Les plaignants de la partie civile sont sereins. Des vidéos concernant cette affaire, qui circulent encore sur la toile, suffisent pour preuve. Les 21 victimes ont été triées parmi d’autres détenus. Ces derniers sont encore en vie. Le seul sous-lieutenant dont le corps a été retrouvé dans la fosse a été enlevé parmi d’autres officiers qui sont encore vivants. Les témoins et autres éléments de preuve ne manquent pas.
Nous sommes donc confiants et sereins. Et nous mèneront cette bataille juridique jusqu’au bout. Notre démarche n’est nullement fondée sur un quelconque règlement de compte avec les bérets verts. On n’est pas là pour parler de béret vert ou de béret rouge. Nous sommes là pour savoir ce qui est arrivé à nos enfants qui ont été montrés à la télévision, puis assassinés.
Quant à la reprise de l’expertise, nous sommes plus que confiants. Nous savons où se trouvent les ossements. Et ils sont sous la surveillance des gens auxquels on n’a entièrement confiance. Ces gens-là ne nous trahirons jamais.
Que Dieu nous donne longue vie. Inch’allah, la vérité éclatera au grand jour.
IBD