Le tribunal de grande instance de la commune III de Bamako a rendu son verdict du procès Karim Kéita, le fils du président IBK, contre le journal d’investigation « Le Sphinx ». C’était, le mardi 20 juin 2017. Il a suivi les exceptions soulevées par la défense et a décidé d’annuler la procédure intentée par le fils du chef de l’État qui poursuivait le directeur de publication du journal, Adama Dramé, pour son article intitulé « Les Hirondelles, rebaptisé hôtel Sefeto, vient d’être acheté par le nouveau nabab de Bamako, Karim Kéïta, à 4 milliards de F CFA ». En clair, la justice malienne a débouté Karim Kéita qui tenait à laver son honneur en réclamant 4 milliards de F CFA. Du coup, le député Karim Keita est désormais un honorable dépité au Mali.
Une demande de réparation qui n’avait pas manqué de sidérer les défenseurs de la liberté de la presse qui n’y voyaient qu’une intention voilée de faire disparaître le journal du paysage médiatique malien.
Ce verdict est un ouf de soulagement pour la presse malienne
Il va sans dire qu’au-delà du journal « Le Sphinx », c’est l’ensemble des médias maliens qui doit exulter par rapport à ce verdict parce qu’il n’est pas exclu qu’en estant en justice, ce n’était pas un avertissement que voulait envoyer le fils du chef de l’État malien à tous les autres journaux de la place, qui seraient tentés par le malin plaisir de fouiner leur nez dans les affaires de la famille présidentielle, souvent évoquée dans les sales draps de la République.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce verdict qui est un ouf de soulagement pour la presse malienne n’était pas évident, eu égard aux différentes péripéties du procès. On se rappelle que lorsqu’il a été ouvert le 14 juin dernier, les avocats de la défense, après que leur demande de nullité de la poursuite a été rejetée par le tribunal, ont claqué la porte. Le prévenu a dû assurer, seul, sa propre défense. Le procureur de la République avait demandé aux juges de le maintenir dans les liens de la prévention tout en requérant trois mois de prison avec sursis.
Un honneur qui coûte 4 milliards de FCFA
Toutefois, de la première phase du procès en diffamation ouvert le 30 mai dernier à Bamako contre l’hebdomadaire malien d’investigation « Le Sphinx », l’on ne retiendra que la faramineuse somme de 4 milliards de francs CFA soit environ 6 millions d’euros que réclamait l’auteur de la plainte, le député Karim Keïta, par ailleurs fils du président, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK).
Sans prendre parti pour le confrère, l’on ne peut qu’être indigné par le caractère astronomique que le plaignant a réclamé pour laver son honneur. Car, non seulement on lit l’appétit financier gargantuesque du fils du président, mais aussi et surtout son intention à peine voilée de faire disparaître le journal du paysage médiatique malien. En effet, s’il n’avait voulu que laver son honneur, il se serait juste contenté de demander un franc symbolique ; toute chose qui l’aurait grandi aux yeux de l’opinion.
En tous cas, une certitude : au-delà de l’avertissement que le fils du président a envoyé à « Le Sphinx » et à tous les autres journaux de la place, l’on peut déjà établir deux constats qui ne plaident pas en faveur du fils d’IBK.
Le premier est que déjà, de forts soupçons pesent sur lui en sa qualité de président de la Commission Défense de l’Assemblée Nationale, dans l’affaire des équipements de l’armée. Le second porte sur l’immixtion de la famille des présidents africains dans les affaires publiques. Karim Keïta aurait été un citoyen Tartempion que l’opinion ne se serait point emballée de cette accusation de trafic d’influence et d’achat d’un immeuble à Bamako qui a fait l’objet du procès. Même si l’on ne peut le tenir pour coupable, cette affaire vient rappeler les frasques des fils et frères de nombreux chefs d’États du continent impliqués dans des malversations financières.
L’on peut citer le cas de Karim Wade, fils de l’ex-président sénégalais Abdoulaye Wade ou encore celui deTeodorin Obiang en Guinée équatoriale. C’est donc dire si le plaignant a bien la tête d’un coupable, mais gardons-nous toujours de devancer l’iguane dans l’eau. Car, quelle que soit l’annulation de la plainte par le juge, à l’issue des exceptions soulevées dans le dossier par la défense, il faut savoir rendre hommage à la presse malienne qui a souvent débusqué et levé le lièvre dans bien des affaires louches dans le pays.
On pourrait même se poser la question de savoir ce que serait devenu le Mali sans sa presse, tant la contribution de celle-ci a été des plus importantes dans l’édification démocratique du pays et dans la longue traversée du désert qu’a connue et connaît le pays. C’est en cela que si l’on ne peut refuser au député Karim Keïta le droit de se défendre, on doit bien se garder de jeter le bébé avec l’eau du bain. Cela dit, l’on ne peut que saluer le juge pour sa franchise. Seulement que le droit, rien que le droit, a été dit. Et dans cette perspective, il faut dire que la sérénité affichée par notre confrère a été implacable, afin de débouter Karim Keïta.