Pour certains politiciens, l’élection présidentielle ne sera transparente et crédible que le jour où elle leur permettra de gagner. Invoquant sans cesse la Constitution et les valeurs qu’elle incarne, rien pourtant de ce qu’ils font ne s’appuie sur le respect de la loi fondamentale.
Usant de menaces et appelant de façon insidieuse au soulèvement populaire pour s’ouvrir les portes du pouvoir, ils brandissent au mieux l’étendard de la transition politique. Au Mali, l’histoire politique doit cesser de s’écrire en lettres de sang.
VAINCRE LE SIGNE INDIEN DES SUCCESSIONS POLITIQUES VIOLENTES
Un passage en revue des différents régimes qui se sont succédé permet d’arriver à la même conclusion : la violence est au cœur de l’histoire politique et elle s’est même banalisée depuis les évènements de mars 1991. En effet, suite à l’éclatement de la fédération du Mali, Modibo Kéita a pratiquement quitté Dakar en état de prisonnier pour rejoindre Bamako et il en a gardé une grande amertume vis-à-vis de l’ancien pays colonisateur. Après la proclamation de l’indépendance, la rivalité entre le Rassemblement Démocratique Africain (RDA) et le Parti Progressiste Soudanais (PSP) causera les premières victimes politiques. Fily Dabo Sissoko, Hamadoun Dicko, Kassoum Touré et autres paieront le prix fort. Le coup d’Etat du 19 novembre 1968 intervient dans un contexte politique, économique et social tellement tendu que le Comité Militaire de Libération Nationale (CMLN) dirigé par Moussa Traoré est au départ accueilli en sauveur par les opérateurs économiques et ceux qui souffraient des restrictions de liberté. Modibo Kéita et tous ses compagnons sont arrêtés et envoyés dans les bagnes du nord, véritables « mouroirs » à ciel ouvert. Plus tard, la bataille entre les « faucons » et les « colombes » du CMLN débouchera sur une purge et l’arrestation de Tiécoro Bagayako, Kissima Doukara, Karim Dembélé, Charles Samba Sissoko et beaucoup d’autres qui vont rejoindre les « mouroirs » qu’ils ont eux-mêmes créés. Moussa Traoré gagnera la bataille du CMLN mais, avec l’Union Démocratique du Peuple Malien (UDPM) qu’il crée pour le retour à une vie constitutionnelle, les résultats seront plus mitigés. Son refus du multipartisme et de l’ouverture démocratique conduira à la révolution de mars 1991, avec son lot de violence et de morts. Malheureusement, cette révolution n’en sera pas une. Elle a été semblable à la mort d’un éléphant dans la savane avec la valse de prédateurs de toutes sortes, chacun venant à son tour et selon son rang au festin. Elle finira de façon ubuesque par le lâchage en règle d’ATT par ses « amis » et le putsch du 22 mars 2012 qui a étalé des frasques dignes d’un western mexicain. IBK arrive ainsi au pouvoir au mois de septembre 2013 au terme d’une transition plus que chaotique. Le front du « Tout sauf IBK » créé pour l’empêcher d’arriver à la magistrature suprême ne désarme pas pour autant. On l’a constamment vu à la manœuvre au cours du premier mandat, s’opposant souvent sans discernement à toutes les réformes. N’est-il pas temps de sortir le Mali de cette spirale de violence nourrie par une forte personnalisation du débat politique ? Puisqu’on ne peut mettre tous les acteurs actuels à la retraite politique anticipée, il faudra se résoudre à choisir le mieux indiqué pour créer au cours des cinq prochaines années un climat propice au passage du témoin. Ce sera, au-delà du brouhaha ambiant le véritable enjeu de la prochaine élection présidentielle.
DEPUIS MODIBO KÉITA, AUCUN LEADER N’A SU INSPIRER LA JEUNESSE
Le président Modibo Kéita avait bâti sa stratégie politique autour du système scolaire. Les enseignants, les élèves et étudiants ont été ainsi placés au cœur de l’animation de la vie politique et sociale. La plupart des dirigeants politiques actuels sont sortis de ce moule. Mais qu’ont-ils fait eux des jeunes de leur temps ? Tout le contraire de ce que Modibo avait en projet. C’est cette rupture qui explique leurs échecs à différents niveaux. La révision de la constitution annoncée et abandonnée doit être reprise et conduite à son terme pour que les citoyens décident de la nature du régime, du mode de succession à la tête de l’Etat, de l’implication des forces vives dans le débat et le processus décisionnel, car le système de représentation actuel a montré ses limites. La nouvelle Constitution ne doit pas être le fruit d’un débat d’intellectuels ignorant le fait culturel et seulement préoccupé par les modèles occidentaux. Le Mali est un grand pays qui ne saurait se contenter d’une constitution d’emprunt dont le fond et la forme échappent à ses populations. L’arrivée au sein du futur parlement des autorités coutumières, religieuses et de la diaspora est un signe annonciateur de changement. Le comble aujourd’hui, c’est que les politiciens qui se sont opposés à la réforme de la Constitution sollicitent le suffrage des couches sociales auxquelles ils ont refusé l’accès au parlement ! Et que dire du projet de loi sur la corruption et l’enrichissement illicite ? Elle a été combattue de façon incompréhensible et sans réaction des mêmes politiciens apathiques qui aiment pourtant se faire passer pour des adeptes de la bonne gouvernance. Vraiment, le ridicule ne tue plus au Mali ! Dans la perspective des changements futurs, deux questions doivent être nécessairement réglées : celles du développement local et du financement des partis politiques. La première constitue l’âme de la politique de décentralisation, la seconde est une exigence de moralisation du jeu politique. Désormais, toutes les ressources locales doivent être exploitées et prioritairement orientées vers l’émancipation et le développement des communautés locales. Dans le même temps, il faudra à défaut de mettre un terme au financement des partis politiques, le réglementer strictement pour éviter de créer des rentiers sur le dos du peuple malien. Ce financement n’a rien apporté à la qualité de la démocratie, bien au contraire. Au demeurant, à quoi sert la pléthore de partis, sinon créer une pollution socio-politique en faisant de chaque élection une foire d’échanges bassement mercantile? D’une façon générale, l’assainissement de l’environnement des organisations de la société civile s’impose car, la corruption et la médiocrité ont tellement prospéré au cours du dernier quart de siècle que de nombreux criminels à col blanc briguent sans aucune inquiétude des postes électifs en utilisant tous les moyens, y compris les plus immoraux. Quels mauvais exemples pour la jeunesse ! C’est à la fois un indicateur de la dévalorisation du jeu et des acteurs politiques mais surtout celui d’une grande misère morale dont il faut épargner la nation.
A tous les niveaux, l’éloge de la violence doit être combattu. On ne peut livrer le Mali à des insulteurs, des calomniateurs et des envieux. S’en débarrasser est une mission de salubrité publique. Celui qui ne sait partager et donner humblement sa contribution sous le règne d’un autre ne peut devenir un bon chef.
Mahamadou Camara
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Source: Le Canard Déchaîné