L’ancien ministre, soutenu par des coordinations de chefs de villages et des associations, a déclaré officiellement sa candidature à la présidentielle du 29 juillet au Mali. Il a fait de l’accès à la propriété foncière des paysans et de la lutte contre la corruption ses priorités.
Depuis son départ du gouvernement à la faveur du remaniement de décembre 2017, des rumeurs sur sa candidature à la présidentielle du 29 juillet couraient à Bamako. Mohamed Ali Bathily, ancien ministre de la Justice, ancien ministre des Affaires foncières et de l’Habitat, est longtemps resté au gouvernement malgré des relations parfois tendues avec le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK).
Il a finalement déclaré sa candidature le 29 avril, à Fanafiè-kôrô, petit village situé à quelques kilomètres au nord de Bamako. La cérémonie avait été organisée par le mouvement « L’Appel à Mohamed Bathily, Faso y’I Wele », qui regroupe une centaine d’associations issues de l’APM (l’Association pour le Mali, que Bathily présidait jusqu’au mois de mars dernier).
L’avocat rejoint ainsi la dizaine de candidats déjà déclarés, deux mois avant le scrutin. De passage à Paris, Mohamed Ali Bathily revient pour Jeune Afrique sur les raisons de son divorce avec IBK et expose sa vision pour le Mali.
Jeune Afrique : Vous considérez-vous comme le « candidat des paysans » ?
Mohamed Ali Bathily : Oui. Et c’est d’ailleurs ce qu’ils disent eux -mêmes. C’est un ensemble de coordinations de chefs de villages de la région de Sikasso, une région très agricole, qui a sollicité ma candidature.
Je crois représenter un courant qui ne l’était pas jusque là : les 65 à 70% de paysans concernés par la réforme foncière. Ils sont soumis à une très forte pression. Les spéculateurs fonciers leur arrachent leurs terres, à cause des enjeux économiques qui sont liés à la terre. Lorsque j’étais ministre de Justice, j’ai constaté que plus de 50% des litiges débattus devant les tribunaux se rapportaient à cette question.
Devenu ministre des Domaines, j’ai essayé de comprendre les raisons. Toutes les procédures relatives à l’accès à la propriété foncière étaient mal menées, voire violées systématiquement dans un rayon de 100 km autour de Bamako. La terre y est devenue un bien économique très prisé, les titres fonciers donnant plus facilement accès aux crédits bancaires.
En tant que ministre, j’ai voulu donner accès aux dispositions juridiques concernant la propriété foncière aux paysans, en les faisant traduire en langue bambara. Ils étaient désarmés et sans recours lorsque leurs bien leurs étaient arrachés. Maintenant, ils savent quand leurs droits ne sont pas respectés.
Lorsque j’ai choisi IBK, j’ai cru que c’était la bonne personne
Vous avez été un soutien du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) et son ministre pendant quatre ans. Pourquoi vous retourner contre lui aujourd’hui, à quelques mois de la présidentielle ?
Dans son discours d’investiture, le 4 septembre 2013, IBK a eu des mots assez forts dont je retiens trois aspects principaux. Premièrement, sur les questions de défense, de préservation de l’intégrité territoriale du Mali et sur la sécurité des personnes et des biens. Deuxièmement, sur la lutte contre l’impunité. Et troisièmement, sur la fin de la spéculation foncière qui prive les paysans de leurs terres ancestrales et crée plus de pauvreté et de chômage.
S’il s’était réellement occupé de tout cela, il n’y aurait pas de raison pour que je me présente. Je ne suis pas issu d’un parti politique. Mais la grosse déflagration qui a frappé le Mali en 2011-2012 m’a touché.
Je me suis lancé en politique parce que je voulais décoloniser la parole publique au nom de la démocratie. Il y avait de nombreux candidats lors de la dernière présidentielle, et tout le monde était unanime sur le fait qu’IBK était l’homme qu’il fallait soutenir. C’était une évidence, à la lumière de ses actes passés. Ce n’est pas la personne d’IBK qui importait. Je n’ai d’ailleurs pas scellé de pacte avec lui. J’ai scellé un pacte avec mon pays. Lorsque je l’ai choisi, j’ai cru que c’était la bonne personne. Dans la pratique, il s’est avéré que non.
Que reprochez-vous à IBK ?
Je lui reproche de ne pas être conséquent. Rien n’a changé par rapport à l’impunité. Aujourd’hui, ce sont ceux qui battaient campagne contre IBK et sa vision politique pour le Mali qui sont autour de la table du gouvernement. Ses soutiens de la société civile l’ont aussi abandonné.
Son parti [le Rassemblement pour le Mali] n’a jamais atteint 20% de l’électorat au mieux de sa forme. Il doit son score de 77% [au second tour de la présidentielle de 2013] à la société civile. Mais où en est-il avec nous aujourd’hui ? Ce n’est pas nous qui le lâchons, c’est lui qui a tourné le dos à ses objectifs.
Comment un ministre de la Justice peut-il lutter seul contre la corruption ?
Mais sur le plan de la lutte contre la corruption, vous êtes aussi comptable du bilan d’IBK…
Le président a déclaré l’année 2014, « année de lutte contre la corruption ». Dans la hiérarchie, dans l’ordre protocolaire, j’étais deuxième membre du gouvernement, après le Premier ministre. Ce qui signifie qu’il accordait de l’importance à la question.
Cependant, jusqu’à mon départ du ministère de la Justice en janvier 2015, il n’a jamais accepté de me rencontrer pour faire le point sur cette lutte et des difficultés rencontrées.
Comment un ministre de la Justice peut-il lutter seul contre la corruption quand les autres membres du gouvernement ne sont pas impliqués ? Comment peut-il lutter quand le Premier ministre n’a jamais voulu réunir les ministres concernés par les dossiers de corruption, comme le ministre de la Sécurité et celui des Finances ? Comment comprendre que toutes ces personnes, impliquées dans la perception et la conception des éléments de lutte contre la corruption, n’aient jamais pu se réunir ?
JA