Nous vous proposons dans ce second groupage les cas de Soumana Sako de la CNAS Faso Hèrè, Dramane Dembélé de l’Adema et Cheick Modibo Diarra du RpDM.
Dans son ascension vers le palais présidentiel de Koulouba, IBK trouvera également sur son chemin une autre figure marquante de la classe politique malienne: Soumana Sako. Originaire du village maraboutique de Nyamina (Cercle de Koulikoro) et nanti d’un PhD en économie obtenu à Pittsburg (Etats Unis), après ses humanités au Lycée Askia Mohamed et un passage à l’Ecole Nationale d’Administration de Bamako, Soumana Sako a commencé à bâtir sa légende sous la Deuxième République.
Nommé ministre des Finances et du Commerce par Moussa Traoré, grâce à l’appui d’Oumar Coulibaly, l’un des barons du Bureau Exécutif Central de l’UDPM dont on disait qu’il était le protégé, il ne tardera pas à revêtir le manteau de «Monsieur Propre» pour mener une lutte sans merci, mais désespérée, contre l’Hydre de la corruption, alors érigée en système de gestion. Il parviendra à assainir quelque peu les finances publiques et, fait notable, à régulariser les salaires des fonctionnaires, dans un environnement miné par la gabegie et la mauvaise gestion, le prince du jour, Moussa Traoré, ne se souciant alors que de son pouvoir personnel.
Pour l’anecdote, avant l’arrivée de Zou aux Finances, les fonctionnaires connaissaient, au bas mot, trois mois de retard de leurs salaires. Très vite, Zorro, comme on l’appelait à l’époque, sera broyé par le système FMI (Famille Moussa et Intime). Il démissionnera (ou plutôt il sera démissionné) avec fracas. Après la révolution de mars 1991, il sera le Premier ministre d’ATT sous la Transition.
Au cours de son passage à la Primature, il donnera toute la mesure de sa capacité à être un homme d’Etat pendant cette période cruciale de l’histoire récente du Mali. Son refus de toute compromission et son sens élevé du respect du bien public feront de lui un Robespierre l’incorruptible à la malienne. Dans sa riche carrière professionnelle, Soumana Sako a servi dans le Système des Nations Unies en qualité d’Economiste principal du PNUD pour la République Centrafricaine, Madagascar et les Comores, Consultant, expert ou formateur de haut niveau pour la Banque Mondiale, la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), la Banque Africaine de Développement, le PNUD, le Partenariat Stratégique pour l’Afrique et l’Agence américaine pour le développement international (USAID).
Après la Transition, il prendra la tête de l’ACBF (Association pour le renforcement des capacités en Afrique), un organisme international dédié au renforcement des capacités en Afrique. Pragmatique, il en profitera pour doter les milieux d’affaires, la paysannerie et les associations féminines d’une aide totalisant plus de 4 milliards de FCFA. Ces actes vaudront à cet intégriste de l’orthodoxie financière et de la bonne gestion un capital de sympathie et de confiance au sein de l’opinion malienne. Mais certains lui reprochent sa tendance à vouloir tout régenter par lui-même, alors qu’une administration moderne suppose la délégation de pouvoir. D’autant qu’il est humainement impossible de tout contrôler en même temps, sauf à posséder le don d’ubiquité.
Un immense besoin de changement chez les Maliens
Par ailleurs, Zorro souffre d’un véritable problème de communication. La mine patibulaire qu’il affiche sempiternellement, à la manière d’un personnage de bande dessinée, a de quoi faire fuir d’éventuels sympathisants qui voudraient adhérer à sa cause. Il a certainement déployé des efforts surhumains pour esquisser un semblant de sourire en vue de la confection de sa photo officielle de campagne. Mais, à cause de ses qualités et de son parcours, ci-dessus évoqués, il pourrait créer la surprise au cours de ce scrutin.
Dramane Dembélé a pour lui sa jeunesse et une relative virginité politique, encore qu’il ait été couvé par certains barons de l’ADEMA. Il peut incarner le changement dont les Maliens ont soif, à condition qu’il ne traîne derrière lui aucune casserole. Le point culminant de sa carrière professionnelle fut celui de Directeur National de la Géologie et des Mines (DNGM). Sa force réside, au-delà de sa personne, dans l’ADEMA, qui l’a investi comme son candidat à la présidentielle et qui s’est toujours montrée comme une redoutable machine électorale.
Mais, pourrait-on se demander, que reste-il encore de cette formation politique, après les départs successifs de ses leaders, dont le dernier en date est Sékou Diakité qui, à l’instar d’autres barons, a préféré quitter le navire en perdition? Pour aller rejoindre, avec armes et bagages, la CODEM, dont le candidat, Housseyni Amion Guindo dit Poulo, a fait de lui son directeur de campagne.
Dramane surfe allègrement sur l’immense vague du besoin de changement qu’on sent chez les électeurs, après tout ce que la classe politique leur a fait endurer, l’effondrement de l’Etat malien et la profonde crise sécuritaire et institutionnelle qui en ont résulté. Les querelles de leadership ont toujours miné ce grand parti, issu du mouvement démocratique, et se sont régulièrement manifestées à l’occasion des élections présidentielles.
IBK et Soumaïla Cissé, dont les formations politiques, le RPM et l’URD, sont sorties des entrailles du Parti Africain pour la Solidarité, autre nom de l’ADEMA, devraient en savoir quelque chose.
L’histoire n’est-elle pas en train de se répéter, au grand dam du candidat du changement générationnel, Dramane Dembélé? L’avenir immédiat nous le dira.
Reste Cheick Modibo Diarra. Descendant direct des rois bambara de Ségou, de la lignée des Diarra, Cheick Abdoulaye Souad dit Modibo Diarra a une trajectoire originale, pour ne pas dire unique. Il est originaire du village-martyr de Sakoïba. Situé dans la région de Ségou, ce village a été littéralement rasé sous la Première République pour insubordination à l’administration centrale.
Doté d’un visage taillé à la serpe et d’un physique de boxeur dégingandé, il aurait pu facilement faire une brillante carrière dans le noble art. Mais il était certainement écrit que, sous cette apparence trompeuse, Cheick Modibo Diarra allait faire partie du cercle très sélect des esprits les puissants de notre époque contemporaine.
Après l’obtention de son baccalauréat au Lycée Technique de Bamako, Cheick Modibo Diarra étudie les mathématiques, la physique et la mécanique analytique à Paris, à l’Université Pierre et Marie Curie, puis l’ingénierie aérospatiale aux Etats unis, à l’Université Howard University (Washington DC). Il est recruté par le Jet Propulsory Laboratory (JPL) de la NASA, où il participe à différents programmes. Celui qui l’aura révélé au monde entier est la mission Pathfinder. Il est le Coordinateur de l’équipe qui a piloté la sonde, avec à son bord le petit robot Sojourner, bourré de technologie.
Depuis la base de la JPL à Pasadena jusque sur la planète Mars, au bas mot à 56 millions de km de la terre, les 60 derniers km étaient cruciaux, car il fallait procéder simultanément à plusieurs opérations: larguer le bouclier thermique, déployer le parachute de décélération et faire exploser pas moins de 72 boulons. Une erreur infinitésimale et la mission était ratée. Deux principaux dangers la guettaient: soit la sonde venait d’écraser à 29 000 km/h contre la Planète rouge, soit elle passait à côté, pour se perdre dans l’immensité infinie de l’univers. Rien de tout cela n’arriva. Pathfinder se posa en douceur et le robot Sojourner sortit pour commencer sa mission d’exploration de Mars, la seule planète de notre système solaire susceptible de receler des traces de vies humaine et une civilisation semblable à la nôtre. Cette réussite fut saluée par un tonnerre d’applaudissements de la centaine d’ingénieurs de la base.
Comme on le voit, une telle opération ne laisse aucune place à la rêverie. Dire que les détracteurs de l’enfant de Sakoiba tentent de le dépeindre en rêveur, en ironisant sur l’éloignement supposé de l’astronomie et de la politique! Certains ont même poussé la méchanceté jusqu’à se demander si Cheick Modibo Diarra ne faisait pas tout simplement le portefaix à la NASA. Il est vrai que la méchanceté gratuite fait partie des charmes du Mali. Il est tout aussi vrai que la rigueur des sciences exactes est loin de la pâte humaine que pétrissent les professionnels de la politique.
Sans chercher à en percer les arcanes, Cheick Modibo Diarra s’y est engouffré, impétueux, à la manière des Tonjons de Ségou sous Da Monzon, investissant un village fraichement conquis. Il estimait certainement que sa notoriété internationale et les ambitions qu’il nourrissait pour le Mali suffiraient pour qu’on lui obéisse à l’œil et au doigt. C’était mal connaitre les Maliens et leur fameuse «fadenya». Il l’apprendra (ou plutôt le réapprendra) à ses dépens.
Certains ont déploré le fait qu’il se soit servi de sa position de Premier ministre pour placer le maximum de cadres proches de sa belle famille – sa femme est la fille ainée de l’ancien président Moussa Traoré – et de l’ex-parti unique, l’UDPM, dans son gouvernement et les hautes sphères de l’Etat. Très fair-play lors de sa cérémonie de départ de la Primature, il a demandé pardon au peuple malien, à travers un saisissant mea culpa. A l’heure qu’il est, il a sans doute tiré des leçons salutaires de cette première expérience du pouvoir et pris les décisions qui s’imposent.
Une nouvelle génération de leaders politiques et des partis «faiseurs de roi»
En vérité, Cheick Modibo Diarra doit se convaincre que le Mali ne devrait pas être ce «Tagninibougou» où l’on conquiert le pouvoir pour se servir, propulser les amis de son «grin», les membres de sa famille et de sa belle-famille et autres courtisans à des postes «juteux» ou leur attribuer indûment des marchés, au détriment de l’Etat et des intérêts supérieurs de la nation. Il faut aussi avoir la force morale nécessaire, savoir dire non et ne pas se laisser prendre en otage par les lobbies, clans et autres coteries.
La notoriété internationale que lui confère la réussite de la mission Pathfinder, son statut d’ex Président de Microsoft Afrique et de promoteur de l’Université virtuelle africaine et les actes qu’il a posés, à travers la création de la Fondation Pathfinder pour l’éducation et le développement plaident éloquemment pour lui. Tout comme son projet de société, bâti à partir d’une vision pour le Mali, un programme dans lequel l’agriculture, les nouvelles technologies et l’éducation occupent une place de choix.
Konimba Sidibé, avec son MODEC porte un discours qui séduit par ses accents patriotiques, mais sa formation politique est de création trop récente pour espérer le voir peser significativement sur le scrutin. Il reste entendu que, au-delà de toutes ces considérations, les stratégies d’alliance, dans le cadre des regroupements, peuvent se révéler décisives et les erreurs d’appréciation fatales. Ici, les partis comme le MPR de Choguel Maïga, le CNID de Me Mountaga Tall, l’UDD de Tiéman Hubert Coulibaly et la CDS de Mamadou Blaise Sangaré peuvent jouer un rôle non négligeable.
Deux candidats de nouvelle génération, Housseyni Amion Guindo dit Poulo, avec sa CODEM, et Moussa Mara, avec son parti Yelema, auront, de toute évidence, des cartes maîtresses à jouer et peuvent même faire basculer, à tout moment, la balance en faveur de l’un des présidentiables. Même l’indépendante Mme Aïssata Cissé Haïdara dite Chato, affirme qu’elle n’est pas venue pour faire de la figuration.
Quant à Oumar Mariko et son parti SADI, il peuvent bien se poser, enfin, en véritable leaders de l’opposition, car c’est l’absence de contre-pouvoir, notamment d’une opposition digne de ce nom, qui a permis à ATT de mener tout le monde en bateau. On connaît la suite. Enfin, Dieu le Tout-puissant donnant le pouvoir à qui il veut, l’ensemble des candidats doivent faire preuve de fair-play, d’humilité, de hauteur de vue, de grandeur d’âme et de patriotisme, en mettant réellement le Mali au-dessus de tout.
Yaya Sidibé