Le président sénégalais Macky Sall a débuté samedi son mandat à la tête de l’Union africaine. Sa présidence intervient dans un contexte particulier, marqué par une succession de coups d’État en Afrique de l’Ouest et une défiance grandissante de la population envers les instances régionales.
Un nouveau président pour l’Union africaine. Le Sénégalais Macky Sall a été intronisé, samedi 5 février, à la tête de l’organisation lors du sommet tenu dans la capitale éthiopienne Addis Abeba. Le dirigeant ouest-africain succède ainsi au Congolais Félix Tshisekedi, pour un mandat d’un an, à la présidence de la première instance intergouvernementale africaine, qui fête cette année son 20e anniversaire.
“L’Afrique est plus que jamais décidée à prendre son destin en mains”, a déclaré le dirigeant lors de son discours inaugural, promettant d’œuvrer à la mise en place de “partenariats rénovés, plus justes et plus équitables” avec les partenaires internationaux.
Composée de 55 États membres, l’Union africaine a pour rôle de promouvoir la paix, la démocratie et le développement économique sur le continent. Entre la vague de coups d’État en Afrique de l’Ouest, la crise de confiance dans les institutions régionales ou encore la pandémie de Covid-19, les dossiers ne manquent pas pour le nouveau président de l’UA.
Pour faire le point sur ces nombreux défis, France 24 s’est entretenu avec Ibrahima Kane, chargé de plaidoyer auprès des organisations ouest-africaines pour la fondation Open Society Initiative for West Africa.
France 24 : Quel est le rôle du président de l’Union africaine et quels pouvoirs lui sont attribués durant ce mandat d’un an ?
Ibrahima Kane : Cette position est née d’une pratique de l’OUA, l’Organisation de l’unité africaine, qui a précédé l’Union africaine. À l’époque, le pays organisateur de la réunion annuelle occupait, de manière non officielle, le poste de président jusqu’au prochain rendez-vous.
Avec la création de l’Union africaine et l’établissement d’un siège permanent à Addis Abeba, capitale de l’Éthiopie, cette position a été officiellement créée pour maintenir cette alternance équitable entre les cinq régions africaines (Nord, Sud, Est, Ouest, centre).
Le rôle du président est de représenter l’organisation à l’échelle du continent et du monde, notamment lors du discours annuel devant l’Assemblée générale de l’ONU. Il convoque les réunions des ambassadeurs et des ministres africains, incarne l’autorité morale dans la gestion des crises, et peut intervenir de manière directe ou en dépêchant des missions de médiation. Il agit de concert avec le président de la Commission de l’Union africaine, le représentant légal de l’institution élu pour quatre ans, ainsi qu’au sein d’une troïka rassemblant son prédécesseur et son successeur à ce poste pour assurer la continuité des dossiers.
Bien sûr, les présidents de l’Union africaine, choisis par consensus au sein des régions, pèsent différemment sur les décisions en fonction du poids démographique de leur pays et de leur influence. La particularité du Sénégal est que c’est un petit pays avec peu de moyens mais à la diplomatie très active et qui entretient de bonnes relations avec les autres États du continent. Le contexte peut également l’aider à affirmer son rôle, notamment lors du sommet Europe-Afrique qui doit se tenir les 16 et 17 février à Bruxelles. Les bonnes relations entre le Sénégal et la France peuvent permettre de réelles avancées.
L’actualité africaine a été dominée ces deux dernières années par la crise démocratique en Afrique de l’Ouest avec une succession de coups d’État au Mali, en Guinée et au Burkina Faso. Quel rôle peut jouer l’Union africaine sur ces dossiers ?
En tant que dirigeant dans cette région, Macky Sall a bien sûr une expertise particulière de cette question et peut choisir de mettre l’accent sur ce dossier. Une intervention au nom de l’UA peut néanmoins s’avérer délicate car la gestion de la crise est d’abord du ressort de l’organisation régionale, la Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest). Le rôle de l’Union africaine est d’accompagner les décisions prises, en entérinant notamment l’application de sanctions et la levée de ces mesures.
Dans le cas du Sahel, les enjeux internationaux font néanmoins l’objet d’une attention particulière de l’UA car son rôle est de protéger le continent de l’ingérence étrangère. Elle doit s’assurer que la coopération internationale, que ce soit avec la France, la Russie ou bien encore la Turquie, soit profitable pour le continent. Enfin, son rôle est de montrer qu’elle agit dans le sens des populations tout en défendant les principes de démocratie.
La Cédéao a décidé de réviser son protocole sur la bonne gouvernance pour permettre une action plus robuste contre les chefs d’État qui ne respectent pas la Constitution. L’UA accompagne cette réforme, consciente que ces problèmes doivent être réglés en amont pour prévenir les risques de coups d’État.
L’Union africaine est basée à Addis Abeba, capitale de l’Éthiopie, où perdure depuis plus d’un an une guerre entre le gouvernement central et les rebelles de la région du Tigré. Où en est la médiation initiée par l’Union africaine sur ce dossier ? La tenue du sommet dans ce contexte n’envoie-t-elle pas un mauvais message ?
La médiation initiée par l’UA en novembre 2020 avait été refusée par le Premier ministre Abiy Ahmed au nom de la souveraineté nationale, mais l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo, qui menait cette mission, était tout de même parvenu à rencontrer les différents acteurs du conflit.
Après un long travail de négociation exercé notamment par le Kenya, très influent dans la région, mais aussi par les États-Unis, le Premier ministre éthiopien a finalement consenti à la tenue d’un dialogue national inclusif. Dans le même temps, la situation sur le terrain connaît une relative accalmie et plusieurs opposants politiques ont récemment été graciés.
L’Éthiopie est le seul État fédéral à bases ethniques du continent. À ce titre, le conflit qui s’y joue est particulièrement compliqué ; il faut repenser tout le système et ce processus va prendre beaucoup de temps. Bien sûr, le Premier ministre peut tenter d’instrumentaliser le sommet pour redorer son image, mais la réalité, c’est qu’il a fait l’objet de négociations et qu’Abiy Ahmed a dû faire des concessions pour que cet événement ait bien lieu.
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Quels sont, selon vous, les autres dossiers prioritaires auxquels Macky Sall devra s’atteler ?
Si le président hérite d’un certain nombre de dossiers à traiter, il doit choisir ses priorités et Macky Sall a déjà indiqué qu’il souhaitait s’impliquer particulièrement sur la crise du Covid-19 et notamment la question de l’accès universel au vaccin. Le taux de vaccination très faible, moins de 10 % de la population, représente une menace majeure pour le développement économique.
Les questions énergétiques et climatiques sont également très importantes : les limitations du financement du gaz et des énergies fossiles décrétées par les pays occidentaux à l’issue de la COP26 ont été perçues comme une douche froide par l’Afrique qui compte sur ces sources d’énergie pour son développement. Le gaz a depuis été intégré à la liste des énergies vertes de l’UE mais les modalités de financement restent à clarifier.
Il y a également les réformes de l’Union africaine elle-même. L’Afrique ne pèse rien dans les affaires du monde et dans ce contexte, les populations s’interrogent sur l’utilité des organisations régionales. Macky Sall doit œuvrer à redorer le blason de l’UA vis-à-vis des Africains mais aussi des partenaires internationaux. Il faut renforcer le rôle de la Commission, qui ne doit pas être un simple secrétariat mais négocier au nom de l’Afrique, ainsi que celui du Parlement [panafricain, l’Assemblée consultative de l’UA] et des instances des droits de l’Homme.
Enfin, il faut repenser le financement, qui provient à 66 % des partenaires étrangers, et qui est souvent conditionné à l’approbation de projets par ces mêmes États. L’Afrique doit se donner les moyens de mener une politique qui lui est propre. Cela passe par un investissement financier mais aussi une prise de conscience des tats qu’il est nécessaire de céder une partie de leur souveraineté pour renforcer les pouvoirs des instances régionales. C’est le prix à payer pour bénéficier d’une représentation plus forte à l’échelle du continent.
Source: france24