Depuis les indépendances, le continent africain a enregistré près d’une centaine de coups d’état, et insurrections populaires. La dernière en date, est celui qui est intervenu en Zimbabwe dans la nuit du 14 au 15 novembre 2017. Pour la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance, en son article 23, sont sources de rupture avec la vie constitutionnelle normale :
Tout putsch ou coup d’Etat contre un gouvernement démocratiquement élu ;
Toute intervention de mercenaires pour renverser un gouvernement démocratiquement élu ;
Toute intervention de groupes dissidents armés ou de mouvements rebelles pour renverser un gouvernement démocratiquement élu ;
Tout refus par un gouvernement en place de remettre le pouvoir au parti ou au candidat vainqueur à l’issue d’élections libres, justes et régulières.
Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique. »
Dans les mêmes visées, le Protocole de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), en son article 1er dispose que, : « tout changement anticonstitutionnel est interdit, de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir ». Il convient donc de remarquer que sur le plan juridique, tous les textes législatifs et conventionnels s’accordent à interdire les ruptures constitutionnelles brutales.
Dès lors, on se pose la question de savoir pourquoi autant de coups d’Etat en Afrique, et les insurrections populaires ?
Parmi les causes profondes, on en détermine deux, les causes exogènes et les causes endogènes.
- Les causes exogènes des coups d’Etat en Afrique
Jusqu’aux années 1991, l’année de la chute du mur de Berlin et la cessation de la guerre froide, les coups d’Etat en Afrique se sont longtemps justifiés, par une volonté manipulatrice des puissances extérieures, pour étendre leur zone d’influence dans le monde et particulièrement en Afrique.
La bipolarisation du monde entre l’Est et l’Ouest, définissait ainsi le cadre de la géopolitique africaine. C’est donc par les jeux d’influences des puissances occidentales que certains Etats faisaient et défaisaient des régimes en Afrique. A titre d’illustration, le coup d’Etat au Congo perpétré par Mobutu ayant conduit à l’assassinat de Patrice Lumumba ; les coups d’Etat dans les années 80 et 90 dans les pays francophones orchestrés par le fameux réseau Foccart (notamment au Mali, au Gabon, en Guinée Conakry etc.).
Enfin, la conjoncture économique internationale, est perçue également comme un facteur explicatif de bon nombre de coups d’Etat en Afrique. Ainsi le nouveau cadre macroéconomique ultralibéral marqué par les privatisations sauvages, les programmes d’ajustement structurel incohérents et drastiques, les plans sociaux déguisés, l’exploitation éhontée de la main-d’œuvre, les prix dérisoires des matières premières et fraudes, les mesures commerciales désavantageuses pour la plupart des pays du tiers-monde sont autant de réalités ayant conduit à un renversement anticonstitutionnel des gouvernements en Afrique.
- Les causes endogènes des coups d’Etat en Afrique.
Sur le plan interne, les coups d’Etat et insurrections populaires en Afrique, font suite à des grognes sociales, encouragées par la cherté de la vie, les crises sociales, le chômage, la corruption, l’opacité du système politique et économique etc. L’expérience des pays du Maghreb, phénomène qu’on a appelé« le printemps arabe», qui est parti d’une simple contestation générale à un renversement totale du régime Tunisien.
A ces éléments relevant de la mauvaise gouvernance économique, il faut ajouter d’une part, la faiblesse des institutions, l’absence d’une démocratie réelle répondant aux aspirations des populations et d’autres part, l’implication de l’armée dans les affaires politiques.
- Les élections comme sources d’insurrections populaires en Afrique.
Les élections, préconisées comme mode d’accession légitime au pouvoir, sont pourtant également sources de violence voire de conflits, comme cela a été observé à Madagascar en 2001, en Côte d’Ivoire en 2002 et 2011, au Kenya (2007/2008) et au Burundi en 2015.
La crainte des violences électorales est désormais prise en compte dans les systèmes d’alerte sur l’Afrique, dont celui de l’UA. En 2009 déjà, le Groupe des Sages de l’UA dans son rapport sur le renforcement du rôle de l’UA dans la prévention, la gestion et le règlement des différents conflits violents liés aux élections en Afrique, a mis l’accent sur les faiblesses dans la gestion des élections et les règles devant permettre une compétition politique ordonnée. Ce Conseil avait également noté que les soulèvements en Afrique du Nord, sont liés à une insatisfaction généralisée des populations, vis-à-vis de gouvernements autoritaires.
Dans son rapport du 24 juillet 2015, intitulé : « les causes des conflits et la promotion d’une paix et d’un développement durable en Afrique », le Secrétaire général de l’ONU souligne que, des progrès restent à faire dans la prévention et l’atténuation des violences liées aux élections, lesquelles résultent souvent, entre autres facteurs, d’un manque de confiance à l’égard du processus électoral, de l’administration des élections, de l’absence d’un régime politique véritablement participatif, d’une dynamique électorale de « tout au vainqueur » et de système inopérant de gestion des conflits.
- Conséquences économiques :
La dynamique économique d’un pays est inextricablement liée à sa stabilité politique, elle a horreur du vide et de l’incertitude. Quand le politique est en crise, l’économique ne saurait faire exception. En cas d’un coup d’Etat, les premières victimes sont les commerçants qui très vite vont constater un net ralentissement de leurs activités, baisse du solde commercial, du PIB et donc de la croissance économique. Cette baisse de croissance a pour corolaire, la baisse de la richesse donc de l’investissement public et de l’emploi national. D’autres secteurs, comme le tourisme sera aussi impacté. Des conséquences immédiates de la crise sur le secteur des petites entreprises sont constatés qui, faute d’activité, se découvre face à un défaut de paiement à l’égard des institutions financières, banques et micro-crédit. L’investissement direct étranger est aussi influencé à cause de l’instabilité interne.
Pour asseoir une stabilité politique et institutionnelle durable en Afrique, endiguer les phénomènes de coups d’Etat et insurrections populaire répétitifs, il urge de revoir notre modèle de démocratie et faire en sorte que notre démocratie soit représentative de nos réalités locales, participative pour les citoyens, où « le pouvoir du peuple » prend tout son sens. La clé reste et demeure la bonne gouvernance et respect des engagements vis-à-vis du peuple.
Etienne Fakaba SISSOKO, Economiste, Professeur d’Université
Khalid DEMBELE, Economiste, Chercheur au CRAPES