Depuis le 10 mars, l’artiste dont la santé est fragile est en prison et en grève de la faim. De nombreuses personnalités de la culture se mobilisent pour sa libération immédiate.
Tribune. Le 10 mars, Rokia Traoré, l’auteure-compositrice franco-malienne mondialement connue, chevalière des Arts et Lettres, ambassadrice du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, prenait l’avion pour Bruxelles afin de se rendre à une convocation de la justice belge concernant la garde de sa fille de 5 ans, Uma, dont le père est le directeur artistique Jan Goossens. Mais lors de son escale à Paris, Rokia Traoré est arrêtée et incarcérée à Fleury-Mérogis, où elle a entamé une grève de la faim. Alors que les tribunaux ferment et que les prisons sont devenues le foyer privilégié du Covid-19, nous demandons, pour des raisons humanitaires, la libération immédiate de Rokia Traoré, dont la santé fragile se dégrade de jour en jour.
On le sait, les affaires de garde d’enfant sont les plus propices aux déchirements et aux tragédies personnelles. Il ne nous appartient pas de contester des décisions de justice ou de nous substituer aux juges, dont les arrêtés sont à l’heure actuelle incompatibles, puisque le tribunal belge a confié la garde au père et le tribunal malien à la mère. Il est en revanche de notre devoir d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur le fait que, si Rokia Traoré a refusé de confier sa fille à son père, ce qui lui a valu d’être sous le coup d’un mandat d’arrêt international pour «séquestration, enlèvement et prise d’otage», c’est que celui-ci est soupçonné d’attouchements sexuels sur son enfant. Cette révélation, qui a décidé la mère à déposer plainte au Mali, en France et en Belgique, n’a fait à ce jour l’objet d’aucune enquête contradictoire. Le père n’a, de son côté, jamais porté plainte pour diffamation.
Il n’est pas acceptable qu’aujourd’hui, en France, une mère qui se rend au procès en appel pour la garde de son enfant soit arrêtée et jetée en prison. Il est inacceptable qu’une enfant de 5 ans soit privée de sa mère au motif que celle-ci a obéi à une convocation de justice. Il est inacceptable que la France, qui se targue d’être le pays des droits de l’homme, bafoue à ce point ceux des femmes. Il est inacceptable qu’à l’heure où il est de bon ton de distinguer l’homme de l’artiste, la mère, la femme, la Noire et la musicienne subissent sans égards un sort d’une telle violence.
Nous le répétons avec force et détermination : libérez Rokia Traoré.
Premiers signataires :
Hafsat Abiola (Présidente de Women in Africa), Laure Adler (journaliste), Damon Albarn (artiste), Jean-Paul Angot (directeur de la Maison de la Culture MC2-Grenoble), Rodolphe Burger (compositeur), Judith Butler (philosophe, professeure à l’Université de Californie-Berkeley), Barbara Cassin (de l’Académie française, philosophe), Souleymane Bachir Diagne (philosophe, professeur à Columbia University, New York), Cheick Modibo Diarra (astrophysicien), Mati Diop (cinéaste), Lou Doillon (auteure-compositrice-interprète), Lucy Duran (musicologue, professeure à l’Université SOAS, productrice, Londres), Annie Ernaux (écrivaine), Michaël Fœssel (philosophe), Fatma Karali (collectif Les Mères Veilleuses), Maylis de Kérangal (écrivaine), Francis Kpatindé (journaliste et enseignant à Sciences Po, Paris), Camille Laurens (écrivaine), Sara Louis (actrice, metteure en scène), Ruth Mackenzie (directrice artistique du théâtre du Châtelet), King Massassy (artiste, photographe, Bamako), Achille Mbembé (historien, professeur à l’Université de Witwatersrand, Johannesburg, Afrique du Sud), Céline Minard (écrivaine), Edgard Morin (sociologue), Laure Murat (historienne, professeure à l’Université de Californie-Los Angeles), Neo Muyanga (compositeur), Jean-Luc Nancy (philosophe), Thomas Oberender (Directeur du Festival Berliner Festspiele), Rossy de Palma (comédienne), Paul B. Preciado (philosophe), Audrey Pulvar (journaliste), Felwine Sarr (économiste, écrivain, professeur à l’Université Gaston Berger, Saint-Louis, Sénégal), Bénédicte Savoy (historienne de l’art, professeure au Collège de France et à l’Université technique de Berlin), Amanda Sthers (écrivaine), Omar Sy (comédien), Aude de Thuin (fondatrice de Women in Africa), Lilian Thuram (footballeur, écrivain), Moïse Touré (metteur en scène).
Libération