Assis sur son tapis face à ses rangées de bracelets et colliers en argent, Ibrahim Ag Hamil recompte ses billets de 5 000 francs CFA (7,60 euros). En une poignée de minutes, il a conclu plusieurs transactions. Et à des prix bien plus élevés que d’ordinaire. Une aubaine qui casse son quotidien. « Aujourd’hui, ce n’est pas comme avant la crise de 2012. Il n’y a plus beaucoup de clients », se plaint l’artisan de Tombouctou, un œil sur son chameau, l’autre sur ses bijoux. « Je peux très bien ne rien vendre pendant plus de deux mois »,ajoute-t-il, fataliste.
Mais ce 7 février, une occasion en or s’est présentée à lui. La visite du Haut Commissaire Assistant chargé de la protection de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), Volker Türk, venu accompagné d’une délégation d’une dizaine de personnes, pour rencontrer les réfugiés qui ont décidé de rentrer chez eux, après avoir fui le Mali au déclenchement de la guerre, en 2012.
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C’est dans la région de Tombouctou que les « réinstallés » sont les plus nombreux. En 2018, plus de 2 300 Maliens sont arrivés, soit un tiers du total des retours dans le pays, selon le HCR. Ibrahim Ag Hamil, lui, est revenu plus tôt, dès 2015, l’année de la signature de l’accord de paix d’Alger. Pourtant, le jeune Touareg de 22 ans n’a toujours pas retrouvé sa vie d’avant : « Nous vivons toujours dans la peur car il y a beaucoup de banditisme ici », regrette-t-il.
Vivre dans une défiance croissante
En juillet 2018, la ville aux 333 saints s’est même embrasée suite au braquage d’une pharmacie tenue par un Tombouctien bambara, l’une des ethnies noires majoritaires dans la ville. Un Arabe a été arrêté par les autorités et, pour se venger de cette interpellation jugée discriminatoire, un groupe de jeunes Arabes a mis le feu à des voitures et à des pneus. L’arrestation de plusieurs manifestants à la peau claire a encore renforcé le sentiment des citoyens arabes et touareg de Tombouctou d’être discriminés face à leurs compatriotes à la peau plus foncée.
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Aujourd’hui, le gouvernorat affirme que cette « incompréhension » a été levée et que les populations vivent en « parfaite harmonie ». Mais les principaux intéressés n’acquiescent pas. Ils disent même vivre dans une défiance croissante. « Après cet événement, au moins deux cents personnes ont fui la ville vers la Mauritanie », assure Moustapha, assis sur la natte juste derrière Ibrahim Ag Hamil.
Au total, selon les données du HCR, plus de 69 000 réfugiés maliens sont rentrés chez eux depuis la crise de 2012. Des retours parfois temporaires suivis de nouveaux départs, preuve que la situation sécuritaire malienne est loin d’être idyllique. En 2018, on évaluait d’ailleurs à 136 000 le nombre de réfugiés maliens au Burkina Faso, au Niger et en Mauritanie. Soit 6 000 de plus qu’en 2017.
« On ne sait plus vraiment où aller »
« Cette augmentation est liée à la multiplication des attaques terroristes, aux conflits intercommunautaires, ainsi qu’à l’activité militaire des différentes forces qui essaient de restaurer l’ordre. Les populations civiles ont peur que des représailles ne suivent ces opérations. Elles préfèrent se mettre à l’abri et attendre que la zone soit sécurisée pour revenir », analyse Maurice Azonnankpo, chargé de protection pour le HCR en Afrique de l’Ouest.
Autour de l’administrateur du lieu, des dizaines d’agents de sécurité maliens lourdement armés sécurisent un convoi de onze véhicules blindés, pourtant déjà ultra-protégés par des casques bleus. Sur les toits des immeubles, des snipers veillent au grain. Après la région de Mopti, Tombouctou a été la zone la plus ciblée par les groupes armés au dernier trimestre 2018. Treize attaques y ont été menées, selon l’ONU. Depuis le début de l’année, le renfort sécuritaire a permis de stabiliser la région, mais la situation y demeure très volatile.
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« Je ne me sens pas en sécurité ici. Ça s’empire. Même en 2014, c’était mieux qu’aujourd’hui », déplore Moustapha. Ce commerçant touareg a fui au Burkina Faso en 2012, au lendemain de la prise de Tombouctou par une coalition de groupes armés et djihadistes. Puis il est rentré chez lui il y a deux ans, moins par choix que par nécessité. « Il commençait à y avoir des attaques au Burkina Faso aussi. Chaque fois que je sortais de chez moi, on me demandait d’où je venais, ce que je faisais là. (…) Je me suis dit qu’il était plus prudent de rentrer », poursuit-il. Au Burkina, Moustapha se sentait de plus en plus victime d’un amalgame consistant à assimiler les Touareg à des terroristes. Aussi, a-t-il opté pour un retour auprès des siens, même si c’était un peu la mort dans l’âme. « On ne sait plus vraiment où aller », soupire-t-il, le regard hagard.
« Des communautés frustrées »
En 2018, le sens du flux des réfugiés s’est presque inversé, puisque ce sont plus de 8 400 Burkinabés qui ont quitté leur pays pour se réfugier au Mali. Un afflux qui a complexifié encore un peu la prise en charge du HCR. « Depuis 2017, le Mali est devenu un pays d’accueil. Il y a des Burkinabés, mais aussi des milliers de Nigériens », précise Maurice Azonnankpo. Pour faire face à ces nouveaux mouvements de population, les fonds manquent, puisqu’en janvier 2019, seuls 33 % des besoins du HCR étaient financés ici. « C’est dans la région de Tombouctou qu’il y a le plus grand nombre de rapatriés », s’inquiète Issaka Bathily, le directeur de cabinet du gouverneur de Tombouctou, qui doit prévoir les services sociaux de base – l’eau, la santé, les écoles. Des besoins qu’il estime « énormes ».
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D’autant qu’en parallèle à ces retours, l’Etat malien doit gérer un nombre exponentiel de déplacés à l’intérieur même du pays. Entre juillet et décembre 2018, il a doublé, passant à plus de 120 000, selon les Nations unies. Une majorité a fui les conflits intercommunautaires qui se multiplient dans le centre et au nord du Mali. Pour Mahamadou Diouara, directeur du cabinet Gaaya, spécialisé dans les questions sécuritaires, ces flux internes devraient figurer en haut de la liste des priorités du gouvernement malien et de ses partenaires.
« Leur gestion représente 90 % du problème de la stabilité du Mali et du Sahel. Car la rébellion de 2012, qui est la base de l’insécurité actuelle, n’est plus là. (…) Aujourd’hui, l’essentiel de ces mouvements est le fait de communautés frustrées par la gestion de la crise, qui ne se sont pas senties suffisamment protégées par l’Etat et ont décidé de fuir », analyse le sociologue, avant de préconiser : « Il faut que les Etats du Sahel se coordonnent pour étudier et maîtriser ces mouvements de populations, car certains partent pour mieux s’organiser, s’armer et reviennent ensuite en force dans leur pays d’origine. Tant que cela ne sera pas fait, les programmes de développement et le renforcement des effectifs sécuritaires ne résoudront rien. »
Le Monde Afrique