Le 8 décembre, les forces de l’ordre dispersaient à coup de gaz lacrymogènes une énième marche de l’opposition dans les rues de Bamako. Depuis la réélection du Président IBK en août, l’opposition ne cesse de contester. Certains de ses leaders, réunis au sein du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) ne reconnaissent pas la légitimité du président, contrairement à la Coalition des forces patriotiques (CoFoP), avec laquelle ils sont alliés pour dénoncer « la mauvaise gestion du pays ».
« L’objectif final de toutes ces marches n’est pas de créer des problèmes au pays, mais qu’il y ait un cadre de dialogue pour traiter toutes les préoccupations en cours, par ce qu’il est illusoire aujourd’hui d’organiser des élections sur la base de l’élection présidentielle, avec toutes ses failles ». C’est ainsi que l’Honorable Mody N’diaye, Président du groupe Vigilance républicaine démocratique (VRD) résume le combat que mène l’opposition. Depuis le début du nouveau mandat du Président Ibrahim Boubacar Keita, les différentes composantes de l’opposition, au sein du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) ou de la Coalition des forces patriotiques (CoFoP), se font entendre. « L’élection présidentielle a été émaillée de beaucoup d’irrégularités et la façon la plus appropriée pour les dénoncer ce sont les marches. Celles qui ont suivi sont dues à la crise sécuritaire, à laquelle s’ajoute la crise sociale, économique et politique », poursuit le député de l’Union pour la République et la Démocratie (URD). Les différentes actions s’inscrivent dans cette démarche. « Depuis les premiers résultats, qu’elle avait rejetés, l’opposition s’inscrit dans une logique de contestation de la légitimité d’IBK. Ses différentes manifestations démontrent qu’elle est restée sur sa position, par ce qu’elle estime que l’élection a été émaillée de fraudes et d’irrégularités », analyse Ballan Diakité, politologue et chercheur au Centre de recherche et d’analyses politiques, économiques et sociales (CRAPES). Mais le Président de la République a prêté serment le 4 septembre, avec la reconnaissance de la communauté internationale. Pour Jeamille Bittar, Président du Mouvement citoyen ATT (MC-ATT), membre de la majorité, « on ne change pas les règles du jeu en plein match. Il faut être des bons perdants », dit-il, s’adressant à l’opposition. « On ne met pas le feu à la case qu’on veut habiter plus tard ».
Une opposition hétérogène
Dans leur annonce de la marche du 8 décembre, le FSD et la CoFoP, ainsi que l’Adema association, devaient battre le pavé contre la « mauvaise gestion du pays ». Si les regroupements partagent cette conviction, ils divergent sur plusieurs points. Le FSD est considéré comme la branche radicale qui s’oppose depuis 2013 à IBK et qui s’obstine à ne pas le reconnaitre alors que tout est terminé et la CoFoP compte en son sein des anciens ministres du premier mandat d’IBK, comme Housseini Amion Guido ou Moussa Mara. Elle a pris acte de la réélection du président et se démarque de tout projet contraire. Dans une interview accordée il y a plus d’un mois à Journal du Mali, Housseini Amion Guindo précisait que leur combat était différent de celui du FSD. « Nous nous associerons avec tous ceux qui sentent leur avenir menacé. Mais nous ne nous engagerons pas dans un combat qui mettra en cause l’élection du président de la République ou sa légitimité. C’est la ligne rouge à ne pas franchir », disait-il. Certains observateurs qualifient même cette alliance « d’incestueuse » et sans lendemain.
Sur la prorogation du mandat des députés, aucun des élus de l’opposition n’a voté contre alors que certains la désapprouvaient publiquement. « Cela peut être interprété comme une inconstance pour quelqu’un qui n’est pas initié en politique, mais toujours est-il que cette opposition a une coalition parlementaire assez grande. Cela montre aussi une certaine connivence entre les grands partis au sein de la Nation », explique Ballan Diakité. Cette prise de position a en effet étonné ceux qui avaient foi en l’opposition. « Je me suis abstenu et ceux qui l’ont votée ont estimé qu’en n’allant pas dans ce sens ils risquaient de se faire exclure », se défend l’Honorable Mody N’diaye, notant que « le processus est contraire à la Constitution dans tous les cas ».
Des mesures drastiques
Un nouvel arrêté du gouverneur du district de Bamako en date du 4 décembre scelle toutes grandes artères et places publiques de Bamako. Une manière de contrer toute protestation dans la capitale. En réaction, une cinquantaine d’organisations de défense des droits humains ont dans un communiqué conjoint dénoncé « une violation de la Constitution et un acte de nature à mettre en péril la démocratie malienne ». Pour le politologue Ballan Diakité, le gouverneur « n’a aucune légitimité pour interdire à des partis politiques de marcher », car « le droit de manifester fait partie des droits fondamentaux dans une démocratie ». Il s’inquiète du durcissement des mesures du gouvernement. « Plus les jours passent, plus le régime d’IBK s’assimile à un régime autoritaire plutôt qu’à un régime démocratique. À un moment donné, il faut revenir aux textes ». Alors que le Comité pour la défense de la République (CDR) prévoyait lui aussi une marche le 10 décembre, un dispositif policier a été installé tôt le matin au niveau des points stratégiques. Ces mesures, qui, selon les autorités, s’inscrivent dans le cadre de l’état d’urgence, risquent d’accroitre le mécontentement.
Quelle issue ?
Dans le souci de calmer la situation politique, des leaders religieux et chefs des familles traditionnelles de Bamako ont rencontré le 5 décembre les ténors de l’opposition. Il s’agissait d’asseoir les bases d’un dialogue entre les deux parties. Même si l’initiative a son sens, elle n’a pas produit de résultats concrets, car la protestation prévue pour le samedi 8 décembre a été maintenue. Pour Ballan Diakité, un dialogue entre les deux tendances est « inopportun ». « Il n’y pas de crise au plan interne entre les partis politiques qui nécessite un certain dialogue entre le gouvernement et l’opposition. L’opposition est dans son plein droit en marchant », justifie-t-il. Il va même plus loin. « La crise que connait le Mali, c’est celle du nord. La laisser de côté et perdre du temps sur ces questions n’est pas respectueux vis-à-vis des citoyens maliens, et surtout vis-à-vis de ceux qui sont au nord et qui souffrent de l’insécurité depuis 2012 », ajoute-t-il.
Les défis du moment et les réformes à venir nécessitent une convergence des acteurs. Sur la question du consensus, Jeamille Bittar estime que le pouvoir a mené des tentatives. « Le président a tendu la main, mais comment comprendre qu’un Premier ministre se déplace pour une prise de contact avec des formations politiques et que les uns et les autres essayent de fermer leur porte ? », s’étonne-t-il. Il ajoute : « tout le monde veut le dialogue, mais on n’arrive pas à y aller ». De l’autre côté, on affirme aussi la même chose. Et la surenchère de l’opposition a sa finalité. « Nous avons fait une retraite au cours de laquelle nous avons traité de toutes les questions institutionnelles, des réformes administratives en cours et des perspectives de la loi électorale. Le document sera adopté ce 15 décembre par notre conférence nationale et, dans le cadre d’un dialogue constructif, nous pouvons le partager avec la majorité », révèle l’Honorable Mody N’diaye, président du groupe parlementaire VRD à l’Assemblée nationale. Déjà, le Rassemblement pour le Mali (RPM) a tenu une rencontre similaire. Le député conclut sur une note d’espoir d’un dépassement des uns et des autres pour le Mali. « Nous sommes ouverts au dialogue, nous voulons seulement qu’on ne fasse pas l’impasse sur les réformes majeures à venir et sur les propositions de toutes les parties prenantes, partis politiques comme société civile. C’est en allant dans ce sens que le pays va gagner et il qu’il y aura la paix », dit-il, convaincu.
Journal du mali