Sans aucune illusion quant à la probabilité de son occurrence, nous prenons part malgré tout au débat sur une très hypothétique non tenue de l’élection présidentielle de 2018.
Ce débat a surgi dans l’actualité, sous la plume inquiétée du ministre Ousmane SY se demandant ce qu’il faut faire si la présidentielle n’était pas possible en juillet 2018, et celle, suggestive, du Doyen Seydou BADIAN proposant carrément de sursoir aux élections de 2018.
Ces deux interventions ont de commun que la non tenue de la présidentielle de 2018 aurait pour conséquence de déboucher soit sur « une transition imposée ou consensuelle » selon le ministre SY, soit selon Seydou Badian, sur « une gestion inclusive du pouvoir où l’opposition, la société civile et le pouvoir s’engagent dans la voie d’une union sacrée ».
A aucun moment, il n’est fait allusion à travers ces deux interventions, à un quelconque scénario dans lequel la gestion de cette hypothétique transition pourrait être constitutionnelle. Comment peut-il être ainsi acté d’office en quelque sorte, qu’en cas de non tenue de la Présidentielle de 2018, le pays serait automatiquement en régime juridique de vide constitutionnel qu’on va combler par « une transition imposée ou consensuelle » ou par « une union sacrée de la société civile, du pouvoir et de l’opposition » ? Et si la question du mode de gestion hors Constitution de l’Etat en cas de non tenue de la présidentielle de 2018 n’était en fait que l’obstacle imaginaire d’un « pont aux ânes » ? De notre point de vue, les préconisations des deux personnalités évoquées paraissent d’une approche étroite voire même assez orientée notamment chez Seydou Badian . En vérité, la question exige de discerner différentes situations dans la mesure où la non tenue du scrutin présidentiel à la date précise du 28 juillet 2018 pourrait résulter de multiples facteurs n’ayant pas nécessairement les mêmes enjeux et la même portée au plan juridique.
C’est sous cette considération que nous proposons ici d’aborder la problématique fondamentale de la situation que créerait l’hypothétique non tenue de la présidentielle de 2018, notamment dans ses composantes juridiques liées au texte de la Constitution et à la « jurisprudence » de la Cour constitutionnelle. D’où les questionnements suivants tendant à clarifier ce que dit la Constitution, ce qu’on a fait dire par la Constitution et ce qu’on pourrait encore lui faire dire sur le sujet.
L’impossibilité de tenue du scrutin présidentiel du 28 juillet 2018 soutenue par des cas de reports expressément prévus par la Constitution :
La non tenue de la présidentielle de 2018 pourrait bien résulter d’un report décrété par la Cour constitution dans les conditions prévue par la Constitution elle-même.
Ainsi, le délai constitutionnel futur du 28 juillet 2018 peut ne pas être respecté. Comme on le sait, dans le contexte électoral actuel, ce délai découle de la lecture croisée des articles 32 et 37 de la Constitution. L’article 32 dispose que « les élections présidentielles sont fixées vingt et un jours au moins et quarante jours au plus avant l’expiration du mandat du Président en exercice ». Selon l’article 37, « le Président élu entre en fonction quinze jours après la proclamation officielle des résultats ».
Le pays peut se trouver dans des situations où la date constitutionnelle de la présidentielle fixée au 28 juillet 2018 pourrait être constitutionnellement écartée.
Ces cas de figure qui sont énumérés à l’article 33 de la Constitution ont pour conséquence juridique d’ouvrir la voie au report du scrutin présidentiel et à la reprise de l’ensemble des opérations électorales à une autre date.
Dans la première situation, « …Si dans les sept (07) jours précédant la date limite de dépôt des présentations de candidature une des personnes, ayant moins de trente (30) jours avant cette date, annoncée publiquement sa décision d’être candidate, décède ou se trouve empêchée, la Cour Constitutionnelle peut décider du report de l’élection ». La Constitution semble ici, par cette formulation, laisser une marge à la Cour constitutionnelle qui « peut » décider ou non du report en cette circonstance.
Dans le second cas de figure, « Si avant le premier tour, un des candidats décède ou se trouve empêché, la Cour Constitutionnelle prononce le report de l’élection ». Dans cette hypothèse, le report paraît inéluctable et la Cour ne peut que le prononcer.
La troisième situation est relative au décès ou à l’empêchement de l’un des deux candidats les plus favorisés au premier tour : « En cas de décès ou d’empêchement de l’un des deux candidats les plus favorisés au premier tour avant les retraits éventuels ou de l’un des deux candidats restés en présence à la suite de ces retraits, la Cour Constitutionnelle décidera de la reprise de l’ensemble des opérations électorales… ». Il est évident qu’on ne saurait juridiquement parler de transition en cas de non tenue du scrutin présidentiel du 28 juillet 2018 pour report consécutif à la survenance de l’un ou l’autre des cas prévus à l’article 33 de la Constitution que nous venons d’évoquer. En revanche, la question paraît plus problématique dans les hypothèses d’impossibilité de tenue du scrutin présidentiel du 28 juillet 2018 qui ne seraient pas soutenus par des cas de reports expressément prévus par la Constitution.
L’impossibilité de tenue du scrutin présidentiel du 28 juillet 2018 non soutenue par des cas de reports expressément prévus par la Constitution
Ces cas renvoient naturellement au spectre de la jurisprudence de l’Avis 2012-003 du 31 mai 2012 qui soulève la question suivante : qu’a-t-on déjà fait dire à la Constitution à ce sujet ?
Mutatis mutandis, ces hypothèses ne peuvent objectivement être examinées en faisant fi de l’expérience de 2012 sous la Présidence intérimaire de Dioncouda TRAORE. Voici un Président par intérim à l’époque, constitutionnellement enfermé presque à clé par l’article 36 de la Constitution lui intimant d’organiser l’élection présidentielle dans un délai de 21 jours au moins et 40 jours au plus à compter de la notification de l’Arrêt de constatation de vacance n°2012-001/CC/ Vacance du 10 avril 2012. Il n’a pas été capable de le faire. Il décide alors à travers son Premier ministre, d’adresser à la Cour constitutionnelle une demande d’avis portant prorogation de délai de la durée de son mandat de Président de la République par intérim pour raison de faits de rébellion et d’une crise institutionnelle. Sa prétention prorogative se limitait à deux (02) petites semaines supplémentaires. La Cour constitutionnel jugeant sans doute le Président par intérim trop frileux, va cependant lui concéder sur un plateau d’argent, une présidence intérimaire quasi illimitée : « Considérant que ce scrutin n’ayant pu se tenir pour des raisons de circonstances exceptionnelles et de force majeure invoquées par le saisissant, le Président par intérim assume ses fonctions jusqu’à l’élection du Président de la République » !
Imaginons que le régime actuel, prétextant des éléments matériels de « circonstances exceptionnelles » et de « force majeure » exhibés dans les interventions du ministre SY et du Doyen Seydou Badian, décide en 2018 de saisir la Cour constitutionnelle pour se dédouaner de la responsabilité de la non tenue du scrutin présidentiel de 2018. Que va-t-il se passer ?
Quelle garantie avons-nous que la Cour constitutionnelle ne va pas accorder, à l’instar de l’Avis 2012-003 du 31 mai 2012, la caution constitutionnelle à une éventuelle défaillance dans le respect du délai constitutionnel normal de tenue du scrutin présidentiel de 2018 ? Qu’on ne tente surtout pas dans l’exercice dont il s’agit, de se cacher derrière le doigt comme quoi le Président en exercice serait différent du Président par intérim et ne saurait de ce fait prétendre à la même mansuétude de la part du juge constitutionnel.
Il suffit, pour s’en convaincre, de se référer à l’Avis 2012-003 du 31 mai 2012 dont l’argumentaire, ou plutôt les arguties, visent moins la qualité intérimaire du Président que les « circonstances exceptionnelles et de force majeure » qui l’empêchent d’honorer ses obligations constitutionnelles. Il est peu vraisemblable que la Cour constitutionnelle à la solde du régime du Président IBK s’embarrasse dans ces conditions de l’argument d’une quelconque différence de statut entre le Président par intérim et le Président élu en exercice.
En tout état de cause pour notre part, il ne serait pas surprenant que la Cour constitutionnelle de Manassa DANIOKO se fondant sur l’Avis 2012-003 du 31 mai 2012, ne soit tenté de donner au Président de la République par voie consultative, ce qui lui a été vertement refusé lors de sa tentative de tripatouillage de la Constitution du 25 février 1992 : à savoir la possibilité de proroger son mandat au-delà de la durée fixée par le constituant. Comme quoi a priori, l’échec cuisant de la tentative de constitutionnalisation du mandat présidentiel sans limite réelle, pourrait ne pas constituer en soi une garantie absolue contre les dérives de l’Avis pervers n°2012-003 du 31 mai 2012 de la Cour constitutionnelle.
Les failles de la jurisprudence de l’Avis inconstitutionnel n°2012-003/CC/ du 31 mai 2012
En vérité, du point de vue de son opportunité politique, l’Avis 2012-003 du 31 mai 2012 qui a bricolé au profit de Dioncouda TRAORE une présidence intérimaire quasiment ad vitam aeternam, était tombé comme du pain béni dans la bouche des adeptes de la pseudo-constitutionnalité en 2012.
Les circonstances exceptionnelles et la force majeure n’ont finalement servi que de prétexte à la Cour, non pas pour expliquer sainement une disposition constitutionnelle, mais plutôt pour draper d’un faux habillage constitutionnel un arrangement politico-institutionnel grossier. L’on sait pertinemment qu’aussi bien dans la forme que dans le fond, il soulève un profond doute quant à sa constitutionnalité y compris dans le contexte de la présidence intérimaire de l’époque.
L’Avis dénature complètement l’article 36 de la Constitution en privant le délai maximum de 40 jours de la présidence intérimaire de son caractère impératif, pour en faire une simple date indicative. Une pareille flexibilité qui annihile tout caractère impératif des délais expressément institués, ne peut à notre sens prospérer dans une Constitution. Le maintien, sur la base des circonstances exceptionnelles et de la force majeure, du Président intérimaire au-delà des quarante jours, sans qu’il ne lui soit opposable aucune autre contrainte de temps, ne paraît pas conforme à la Constitution. Contrairement à l’avis de la Cour, les délais expressément mentionnés dans une Constitution ne peuvent pas être réduits à l’état de simples détails dont on se débarrasse à la moindre circonstance dite exceptionnelle.
Au-delà de ce questionnement global, des questionnements spécifiques achèvent de remettre en cause la pertinence juridique de l’Avis.
Une première question légitime serait de se demander si le premier ministre était fondé à requérir l’Avis de la Cour constitutionnelle sur la question de la durée de la présidence intérimaire qui ne figure pas sur la liste des matières susceptibles d’une procédure consultative auprès de la Cour Constitutionnelle. De notre point de vue, l’avis relatif à la durée du mandat du Président par intérim manque de fondement constitutionnel expressément établi.
Un deuxième questionnement serait de savoir l’on peut demander à la Cour constitutionnelle de proroger par simple avis, un mandat présidentiel dont la durée est constitutionnellement fixée. Une telle demande revient simplement à suggérer indirectement à la Cour d’enfreindre la Constitution dans la mesure où ce qui lui est demandé ne fait pas partie de ses prérogatives constitutionnelles. La Cour n’a pas le pouvoir constitutionnel de proroger directement ou indirectement un mandat présidentiel. Lui faire une telle demande équivaut en réalité à un acte de reconnaissance implicite d’un vide constitutionnel qu’on lui propose de combler, tout en sachant pertinemment qu’elle n’a pas de pouvoir constituant.
On a toujours tenté de vendre cette imposture juridique de la Cour constitutionnelle sur le pseudo- fondement de cette compétence en tant qu’« organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics » et organe responsable de la gestion des « conflits d’attribution entre les institutions de l’Etat ». Or contrairement aux compétences liées au contrôle de constitutionnalité et à la régularité des élections présidentielle, législatives et des opérations référendaires, la Constitution et la loi organique sur la Cour constitutionnelle ne prévoient en tant que telles, aucune procédure spécifique ni en matière de « régulation du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics » ni en matière de « conflits d’attribution entre les institutions de l’Etat ». La Cour constitutionnelle qui tient son existence de la Constitution, ne peut se doter d’une procédure d’intervention qui n’est prévue ni par cette même Constitution, ni par la loi organique la concernant.
C’est pourquoi au vu de la pratique abusive consistant à requérir systématiquement l’avis de la Cour sur le fondement générique bateau de son statut d’organe « régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics », on peut se demander s’il ne se dessine pas là, la trajectoire d’une véritable dérive en la matière.
En tout état de cause, on observe le glissement progressif de la procédure consultative constitutionnellement organisée, vers une procédure consultative sauvage dont la Cour elle-même semble avoir pris goût. Dans cet exercice juridique douteux, la Cour s’autorise à opiner sur tout et n’importe quoi, au motif que l’alinéa 2 de l’article 85 de la Constitution en fait le gestionnaire des conflits d‘attribution entre institutions et l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics. Un alibi fourre-tout en somme !
Heureusement que les Avis de la Cour constitutionnelle, même lorsqu’ils sont émis en conformité avec la Constitution, ne s’imposent pas aux institutions qui les sollicitent ! Un avis émis par la Cour constitutionnelle n’a pas la force contraignante des décisions rendues en la forme juridictionnelle. C’est pourquoi l’Avis 2012-003 du 31 mai 2012 est privé de tout effet juridique direct et ne saurait en aucun cas servir de fondement juridique quelconque d’une prolongation éventuelle du mandat du Président IBK.
Tout vide constitutionnel est synonyme de fin de règne pour IBK et tout son régime
Il nous paraît naïf de croire à une entente cordiale autour d’une soi-disant « union sacrée » ou même d’une « transition consensuelle » qui serait en dehors du cadre constitutionnel.
Sursoir à l’organisation de l’élection présidentielle de 2018 ou se montrer incapable d’assurer convenablement son organisation matérielle et technique aux dates constitutionnelles échues, ne peuvent que s’assimiler à des actes de violation délibérée de la Constitution qui mériteraient la sanction la plus sévère du peuple malien à l’encontre des auteurs.
A ce titre, il est évident qu’une éventuelle transition créée de toute pièce pour occulter l’incurie gouvernementale et son échec monumentale sur les grands dossiers de la nation, revient en réalité à accorder une prime à la médiocrité d’un régime incapable de gérer le pays et à l’hypocrisie de sa vieille classe politique en mal de recyclage et qui est incapable de s’assumer.
Pourquoi les Maliens seraient-ils si incrédules au point de s’associer à une telle entreprise telle que proposée notamment par le Doyen Seydou Badian? Si transition il doit y avoir, ce doit être de notre point de vue une transition-sanction qui doit radicalement exclure de son champs le Président IBK et l’ensemble de son régime ainsi que cette vieille classe politique habituée à ces types de montages politico-institutionnels hypocrites.
S’aventurer aujourd’hui en dehors de la Constitution dans les conditions qu’on voudrait nous vendre, s’avère un cadeau empoisonné au peuple malien.
Ceux qui rêvent d’un vide constitutionnel organisé ou imposé doivent se rendre à l’évidence. Si vide constitutionnel il y a en 2018, il devrait avant tout contribuer à vider l’espace institutionnelle républicaine des tenants du régime actuel y compris le Président IBK et à mettre hors d’état de nuire et une fois pour toute, la vieille classe politique stérile de 1991 qui a tant usé et abusé du peuple malien et dont on est certain qu’elle ne lui apportera plus rien.
En d’autres termes, un éventuel vide constitutionnel doit être synonyme de fin de règne pour IBK et de retraite définitive de la vieille classe politique de 1991 au profit de la nouvelle génération. Il s’agit pour nous, de la condition sine qua non de toute nouvelle transition éventuelle qui doit être synonyme d’alternance pour le Mali. Toute autre combine ne peut être qu’une trahison de plus du peuple malien par ses leaders politiques.
Dr Brahima FOMBA
Université des Sciences Juridiques
et Politiques de Bamako(USJP)