Quelque 69 millions d’électeurs sont appelés aux urnes samedi pour les élections présidentielle et législatives au Nigeria. Mais le pays, en plein conflit avec Boko Haram, est-il en mesure d’assurer un bon déroulement du scrutin ?
Le 17 mars, Goodluck Jonathan, le président nigérian sortant, a lancé son “dernier assaut” contre Boko Haram. Quelques jours plus tôt, il l’avait promis : le pays serait débarrassé de la secte islamiste d’ici à la fin du mois de mars. À en croire les dernières déclarations du gouvernement, l’armée nigériane –appuyée par des troupes régionales tchadiennes, camerounaises et nigériennes – serait bel et bien en train d’éradiquer la secte islamiste de son territoire. Goodluck Jonathan n’a d’ailleurs pas hésité à vanter ces succès militaires et répéter à l’envi que 36 localités avaient été libérées du joug des islamistes, dans les États de Borno, Yobe et Adamawa.
L’avancée de l’armée était une condition sine qua non pour assurer la tenue samedi des élections présidentielles et législatives, déjà repoussées une première fois. Ces succès militaires – qu’ils soient réels ou bien stratégiques afin de rassurer les futurs votants – vont-ils pousser les Nigérians vers les bureaux de vote ? C’est là l’une des grandes inconnues de ce scrutin qui s’annonce également comme le plus serré depuis l’indépendance. Quatorze candidats sont en lice, dont une femme, la première à briguer la fonction suprême, Remi Sonaiya.
La crainte sécuritaire : les attentats-suicides
La sécurisation du scrutin est l’inquiétude majeure du gouvernement nigérian. Car “même si ses combattants de Boko Haram sont en perte de vitesse ces derniers temps”, la menace de la secte plane en permanence sur le pays, explique Philippe Hugon, spécialiste de l’Afrique à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Et pour cause, la secte islamiste a récemment promis de perturber les élections qu’elle juge non conformes avec la charia. Une promesse prise très au sérieux : si les jihadistes de Boko Haram ne sont pas capables militairement de s’emparer de nouveaux territoires, ils peuvent en revanche préparer des missions suicides dans les bureaux de vote.
“C’est là que les risques sécuritaires sont très inquiétants. Les combattants de Boko Haram sont capables de privilégier ponctuellement une stratégie de guérilla, d’attentats kamikazes. À ma connaissance, les forces armées seront sur le front et aucun déploiement de forces internationales n’est prévu pour assurer la sécurité des lieux publics”, ajoute Philippe Hugon.
Une immense partie de la population privée de vote
À cette crainte d’attentat s’ajoute surtout la problématique des réfugiés, des déplacés, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays. “Il sera très difficile pour ceux qui ont fui la zone d’aller voter. C’est une des questions centrales de ce vote. À ce niveau-là, il y a une désorganisation notoire du scrutin”, avance le spécialiste. L’insurrection islamiste a fait, en effet, environ 1,5 million de déplacés depuis 2009. Et près de 200 000 Nigérians se sont réfugiés dans les trois pays frontaliers, le Cameroun, le Niger et le Tchad, selon l’ONU.
En raison des violences, peu devraient revenir dans les semaines à venir. Quand bien même, que retrouveraient ces réfugiés en rentrant chez eux si ce n’est une misère et une grande pénurie alimentaire ? Il y a dans ces zones non cultivées depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, un énorme “déficit de nourriture”, a souligné Robert Piper, adjoint aux Nations Unies et coordinateur humanitaire pour le Sahel. L’opposition a pourtant prévenu que les résultats seraient peu crédibles si les millions de déplacés du Nord ne peuvent pas voter. Officiellement, un nouveau report de la présidentielle est exclu : la cérémonie de passation de pouvoir a déjà été fixée au 29 mai.
La crainte politique : l’embrasement post-électoral
Dans ce contexte précaire, les experts redoutent des violences à caractère politique. Jonathan, très critiqué ces derniers mois pour son incapacité à juguler les violences de Boko Haram, affronte un opposant populaire, notamment dans le Nord musulman, Muhammad Buhari. Après trois candidatures infructueuses, il ne semble pas prêt à accepter une nouvelle défaite. Ses partisans non plus. Lors de la précédente élection présidentielle en 2011, durant laquelle Buhari avait été battu par Goodluck Jonathan, des affrontements post-électoraux avaient éclaté. Les musulmans du Nord étaient furieux que la présidence ne revienne pas à l’un des leurs. On dénombra un millier de morts.
“Il y a plusieurs facteurs qui laissent présager une crise”, ajoute Philippe Hugon. Les querelles ont déjà commencé. Le Parti démocratique populaire (PDP), au pouvoir, a ainsi critiqué le trop faible nombre de cartes d’électeurs distribuées et le recours à une nouvelle technique biométrique pour le vote. De son côté, le Congrès progressiste (APC) de Muhammad Buhari accuse le gouvernement de manœuvrer pour revenir au traditionnel vote papier, qui selon lui facilitait le bourrage des urnes.
Difficile de prédire le futur vainqueur. On pourrait croire que le mandat “peu convaincant” de Jonathan, incapable d’assurer la paix et la sécurité de son pays, laisse présager d’une victoire de son rival. Seulement, la désertion d’électeurs des territoires du Nord-Est, de ces dizaines de milliers de voix dont va se priver Buhari, devrait jouer en faveur du président sortant. “La tradition électorale au Nigeria voudrait qu’il y ait une alternance politique : après un homme du Sud, un homme du Nord”, rappelle Philippe Hugon. “Et je crains que les déçus du Nord ne réagissent violemment si Goodluck Jonathan venait à remporter une nouvelle fois le scrutin.”
Source: France24