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Mozambique : une guerre civile si évitable…

Le pays connaît apparemment, tous les cinq ans depuis 1994, des élections pluralistes que la communauté internationale déclare « justes et libres » ou parfois seulement « libres ». Il en fut ainsi même en 1999, malgré de graves soupçons d’inversion informatique des résultats au plus haut sommet, permettant la « réélection » de Joaquim Chissano, au grand soulagement des partenaires économiques du Mozambique, contre Afonso Dhlakama, l’inamovible président et candidat de la Renamo. Il s’en était suivi, pour les élections suivantes, des taux d’abstention très importants dans les régions traditionnellement favorables à l’opposition.

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Le 15 octobre 2014 cependant, pour les sixièmes élections générales, le taux de participation a fortement augmenté, provoquant une croissance parallèle de l’opposition. Insuffisante néanmoins pour assurer la victoire, compte tenu d’une fraude cette fois-ci « décentralisée » dans les districts où les partis d’opposition avaient eu du mal à fournir suffisamment de scrutateurs qualifiés.

Néanmoins, la croissance de l’opposition – surtout de la Renamo : le Mouvement démocratique du Mozambique (MDM), un petit parti non armé, ne confirmant pas ses bons résultats aux élections municipales de 2013 dans quelques villes – faisait suite à deux années d’incertitudes et d’affrontements militaires entre le gouvernement et les « forces résiduelles » de la Renamo.

La « garde présidentielle » de la Renamo

Cette dernière en effet n’avait jamais complètement désarmé ses troupes, considérées comme la « garde présidentielle » de son président et compte tenu du fait que l’intégration de ses hommes dans l’armée et la police prévue par les accords de Romme (1992) n’avait jamais été complète. Mais depuis 1992, ces éléments armés étaient restés totalement inactifs. En réalité, un profond mécontentement régnait parmi les anciens combattants de la Renamo qui, contrairement à ceux du Frelimo, ne touchent ni subsides ni aides à la réinsertion dans la vie sociale et économique, pour laquelle la carte du parti au pouvoir est le sésame obligé.

Leur pression sur le président de la Renamo s’était accentuée depuis 2007, alors que, suivant son déclin électoral, la Renamo était de plus en plus appauvrie. En 2008, elle avait perdu les municipalités qu’elle avait gagnées en 2003. Son président décida alors de quitter la capitale pour s’installer à Nampula, la grande ville du Nord – un sacrilège au pays de l’« unité nationale » où la capitale est censée représenter la nation entière. Mais il fut peu à peu rejoint par des centaines d’anciens combattants sans arme, dormant dans les rues avoisinant sa résidence. La police du régime essaya de les en chasser en se servant de ses armes, se heurtant alors à une réaction également armée d’éléments de la garde présidentielle de la Renamo et provoquant plusieurs morts parmi la police. Dhlakama se réfugia dans le massif montagneux de Gorongosa.

Suite à une tentative ratée de le capturer ou de le tuer, il « disparut » pendant plus d’une année, pendant que sa représentation civile et ses députés à Maputo demandaient inlassablement des négociations pour une nouvelle loi électorale, une intégration des forces résiduelles de la Renamo à la police, une revalorisation de ses militaires intégrés à l’armée en 1992-94 mais rapidement marginalisés, une « départidarisation » de l’appareil d’État et un « meilleur partage des richesses du pays ». Or ces revendications ont été populaires dans un pays constatant chaque jour la fusion à nouveau complète du parti Frelimo et de l’Etat depuis l’élection d’Armando Guebuza en 2004 et sa réélection avec des scores hégémoniques en 2009 alors que le mécontentement, notamment urbain, s’aggravait (émeutes de 2008 et 2010) ; constatant chaque jour que les richesses minérales découvertes (gaz, pétrole, charbon, métaux rares) ne profitaient qu’à une mince élite liée au cercle présidentiel.

La tactique défensive de la Renamo

Le gouvernement, intransigeant en un premier temps, est alors apparu comme l’agresseur. Les incidents se sont multipliés en 2013 et en 2014, malgré une médiation internationale en cours. La Renamo a systématiquement adopté une tactique défensive, ce qui a augmenté sa popularité d’autant plus que les troupes gouvernementales échouaient dans leurs tentatives de le capturer, ne remportaient aucun succès militaire lors des affrontements, connaissaient un massif phénomène de désertion et de gros problèmes de recrutement provoquant des émeutes de jeunes dans la ville de Beira. Bref, Dhlakama, grâce à son habileté tactique et à ses succès militaires, réussit à reconquérir l’aura d’un chef, dans une société dont la culture politique reste marquée par le fait de n’avoir jamais connu de période démocratique.

Dhlakama sortit de sa cachette le 5 septembre 2014 et commença immédiatement une campagne électorale qui fut trop courte pour lui permettre de visiter tout le pays, mais qui démontra une forte mobilisation et exaspération de sa base sociale dans les populeuses régions du centre et du nord. Malgré une augmentation de 50 % de ses scores par rapport à 2009, son parti, de même que le MDM, ne reconnut pas le résultat des élections du 15 octobre ni l’investiture du nouveau président de la République, Felipe Jacinto Nyusi, le 15 janvier 2015.

Sachant qu’il n’obtiendrait pas le recomptage des votes, Dhlakama demanda alors que soient déclarées « autonomes » les cinq régions dans lesquelles la Renamo avait obtenu la majorité. Dans un pays où la règle absolue est « le vainqueur prend tout » et où, quels que soient les résultats électoraux, c’est toujours le parti au pouvoir nationalement qui garde 100 % du pouvoir local et régional (sauf de rares municipalités), cette proposition lui fit l’effet d’une hérésie absolue. Néanmoins, le nouveau président, Filipe Nyusi, cherchait à élargir son espace d’autonomie face à l’aile de l’ancien président Armando Guébuza et chercha à négocier. C’est alors que fut assassiné à Maputo le constitutionnaliste franco-mozambicain Gilles Cistac, qui avait démontré que l’on pouvait, sans changement de constitution, transformer des provinces en « pouvoir local », satisfaisant ainsi la revendication de la Renamo. 130 jours après, l’enquête policière n’a toujours pas avancé.

Le Frelimo garde toujours la totalité du pouvoir

La Renamo s’est alors lancée dans une campagne « post-électorale », réunissant d’énormes meetings au cours desquels Dhalakama déclarait que « ici, grâce aux provinces autonomes, plus jamais le Frelimo ne gouvernera », provoquant des délires de joie auprès d’une population persuadée que le Frelimo ne se maintient que par fraude pour pouvoir continuer à concentrer les richesses.

Le projet de la Renamo a ensuite été refusé au parlement et quelques incidents militaires ont repris, la Renamo empêchant la concentration de forces gouvernementales aux abords de ses bases. Le président Nyusi, qui semble de nouveau soumis à l’aile dure du parti, dont on se demande si elle ne souhaite pas l’affrontement dans la croyance qu’elle pourra écraser une fois pour toute la Renamo, n’a plus pris d’initiative d’apaisement, même si la Renamo dit préparer une nouvelle mouture, améliorée, de son projet d’autonomie régionale. Un accord sur la « départidarisation » de l’Etat a été obtenu, même si le président de la République est aussi le président du Frelimo.

Le Mozambique est un morceau de territoire découpé à la fin du XIXe siècle lors des rivalités anglo-portugaises et ses vieilles zones d’implantation coloniale, dans le nord, ont été marginalisées lors du tournant économique du XXe siècle, quand le Mozambique est devenu un satellite de l’Afrique du Sud. Le Frelimo au pouvoir n’a pas modifié ces déséquilibres. Les populations du centre et du nord du pays voient la capitale, Maputo, comme un autre monde, un autre pays, et, parfois, le Frelimo comme un nouveau colonisateur.

Dans des régions où la majorité de la population vote toujours pour l’opposition, le fait que le Frelimo garde toujours la totalité du pouvoir (région, districts, postes, localités, chefs traditionnels, quasi-totalité des municipalités) provoque de vives tensions. Dhlakama, qui a failli perdre le pouvoir au sein de son parti après 2009, doit pouvoir donner quelque chose à sa base sociale, à ses anciens combattants et à ses « forces résiduelles » en forte croissance. En tant que chef relégitimé, il ne peut plus reculer, dans un contexte de forte mobilisation populaire dans certaines régions. Il serait facile de stopper l’engrenage en démocratisant le pouvoir régional. Le pouvoir saura-t-il comprendre que l’unité nationale peut passer par la diversité régionale ?
Source: Le Monde

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