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Moumouni Guindo : « Il n’y a eu aucun jugement des comptes de 1960 à 2012 »

Le Président de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite (OCLEI) vient de faire paraître « Le contrôle des finances publiques au Mali. D’indispensables réformes ». En 516 pages, Moumouni Guindo examine l’évolution du contrôle de 1960 à 2020 et formule des recommandations.

 

Pourquoi avoir lancé ce livre ?

Ce livre est issu d’une thèse de doctorat que j’ai soutenue en décembre 2020 à Strasbourg. J’ai décidé d’examiner l’évolution du contrôle des finances publiques au Mali de 1960 à 2020. Étant donné mon expérience personnelle de magistrat, juge d’instruction, vérificateur et Président de l’OCLEI, il m’a semblé important de questionner l’évolution du contrôle de nos finances publiques pour identifier les faiblesses et formuler des recommandations.

Le Mali n’est pas avare en matière d’instruments de contrôle. Pourquoi les réformes précédentes n’ont-elles pas été efficaces ?

L’efficacité du contrôle des finances publiques au Mali est relative. Nous pouvons estimer que le système est efficace. Par exemple, mes travaux ont fait ressortir que, de 2005 à 2019, les structures de contrôle, dont notamment le Bureau du vérificateur général et le Contrôle général des services publics, ont identifié 1 264 milliards de francs CFA d’irrégularités financières. Cependant, cette efficacité révèle en même temps les faiblesses substantielles de notre système. Le fait que les structures de contrôle aient découvert ces 1 264 milliards de francs CFA d’irrégularités financières est la preuve de l’inefficacité du contrôle interne mis en place pour s’assurer que les recettes et les dépenses soient réalisés conformément aux textes et aux prévisions. L’une des raisons de ce dysfonctionnement, c’est l’absence de jugement des comptes publics, un dispositif extrêmement important. C’est le rôle de la Section des comptes de la Cour suprême, qui examine chaque année les comptes produits par les comptables publics pour s’assurer que les écritures et documents comptables ont été réalisés conformément à la réglementation. Lorsque le juge des comptes découvre qu’il y a des manquements, il prononce le débet, la somme mise à la charge du comptable public en raison de manquements découverts dans la tenue de ses comptes. Et la somme manquante identifiée par le juge des comptes doit être remboursée par le comptable public, sur fonds personnels, au Trésor public. C’est cela qu’on appelle la mise en débet d’un comptable public. Malheureusement, au Mali, de 1960 à nos jours, aucun débet n’a été exécuté. Cela parce qu’il n’y a eu aucun jugement des comptes de 1960 à 2012. Ce n’est donc qu’à partir de cette date que théoriquement les jugements ont commencé. Environ 1 000 comptes ont été jugés, mais le processus est toujours en cours. Donc, de 1960 à nos jours, les comptables publics n’ont jamais été appelés à rembourser les fonds qui ont manqué dans la tenue de leur caisse.

On continue de s’enrichir illicitement. L’OCLEI lui-même n’aurait-il pas besoin d’être réformé aujourd’hui, en lui donnant par exemple un pouvoir coercitif ?

Un pouvoir de coercition pourrait en effet rendre l’OCLEI plus efficace. Nous avons pu le constater dans les pays anglo-saxons, où les institutions nationales de lutte contre la corruption ont des pouvoirs de police judiciaire, ce qui inclut le droit de procéder à des perquisitions, à des saisies voire des arrestations en attendant de transmettre le dossier à la justice. Le Mali appartient au système juridique d’inspiration française qui marque une séparation nette entre l’administratif et le judicaire. C’est donc toute une révolution culturelle qu’il faudrait pour doter l’OCLEI de pouvoirs de police judiciaire.

Quelles sont les pistes de solutions que vous préconisez pour l’amélioration de la gestion des finances publiques au Mali ?

Il faut intensifier le jugement des comptes publics et appliquer les dispositions relatives au débet, pour que les comptables, contrôleurs financiers ou ordonnateurs de budgets, tous, sentent la nécessité de respecter la réglementation. Il faut aussi renforcer les ressources humaines des structures de contrôle. Je recommande de créer un corps des auditeurs publics au Mali. Il faut aussi et surtout élaborer une Stratégie nationale de contrôle des finances publiques, pour qu’il y ait une vision globale, que les structures de contrôle sortent de l’évaluation isolée et qu’on sache travailler ensemble. Je recommande aussi de généraliser l’audit interne public afin que tous les services qui en sont dotés voient leurs audits effectués de façon uniforme. Voici quelques recommandations-phares du livre.

Qu’adviendra-t-il de ces  recommandations selon vous ?

Elles sont adressées au gouvernement et je suis heureux déjà de noter que le ministre de la Refondation de l’État a déclaré qu’elles seront versées aux débats des prochaines Assises nationales de la refondation.

Propos recueillis par Boubacar Diallo

Source : Journal du Mali

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