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Mali Tribune : Comment se porte l’économie malienne ?
Modibo Mao Makalou : L’économie malienne est résiliente malgré les difficultés conjoncturelles. Vous savez que le monde ne se porte pas très bien, et l’économie mondiale non plus, à cause des facteurs géopolitiques et géostratégiques. Il y a beaucoup de turbulences au niveau de l’économie mondiale et cela nous affecte aussi parce que nous sommes assujettis à des chocs exogènes. Nous subissons la hausse du prix du pétrole, la sécheresse, les inondations, l’insécurité… Nous avons un pays qui dépend beaucoup du commerce international. Plus de 60 % de notre produit intérieur brut (PIB), c’est-à-dire l’activité économique dépend de nos importations qui sont les biens et services que nous achetons à l’extérieur, et de nos exportations, les biens et services que nous vendons à l’extérieur.
Dans ce cadre-là, pour se prémunir contre tout cela, il faut transformer davantage nos produits locaux, surtout nos exportations et consommer une partie de ce que nous produisons, surtout au niveau des denrées alimentaires puisque nous sommes un grand producteur céréalier, mais nous ne transformons pas beaucoup. Nous sommes un grand producteur de bétail et nous ne produisons pas de lait, de peaux, de cuirs et de la viande.
Le coton aussi qui constitue notre première culture d’exportation, nous le transformons très peu, environ 1 %. L’or, qui est la première recette d’exportation, nous ne le transformons pas non plus en le raffinant. Tout cela fait qu’il y a beaucoup de manque à gagner pour l’économie. Parce que quand un pays transforme, il ajoute de la valeur aux biens et services et c’est cela qui fait que les revenus augmentent et qui crée aussi de l’emploi.
Mali Tribune : Donc on peut dire que l’économie malienne se porte de moins en moins bien ?
M M. M. : Au regard des hypothèses du ministère de l’Economie et des Finances, le projet de Loi des finances 2025 est fait sur la base de l’hypothèse d’une croissance économique de 5,5 %. Je pense que c’est très optimiste. Je pense aussi que nous serons entre 3 et 4 %. Le taux d’inflation est maîtrisé, par contre, il y a un petit problème avec le taux d’inflation, parce qu’il mesure le prix d’un certain nombre de biens et de services.
Toutefois, le bien qui m’importe est l’alimentation surtout avec le ramadan qui est une période de grande consommation qui approche à grands pas. Malheureusement, les prix des aliments ne sont pas bien maîtrisés et cela pèse sur les citoyens maliens. Dans cette partie de l’Afrique, nous dépensons une large proportion de nos revenus sur l’alimentation parce que nous sommes des familles nombreuses et les revenus ne sont pas élevés. Vous savez, quand le prix du pétrole augmente, tout augmente, y compris les prix du transport, de l’énergie, de l’habitation et de l’alimentation.
Mali Tribune : C’est dans ce contexte difficile que le gouvernement a décidé d’augmenter la taxe sur l’accès au réseau des télécommunications et les boissons alcoolisées pour financer des projets phares de l’Etat. En tant qu’économiste et gestionnaire financier, comment justifiez-vous cette augmentation ?
M M. M. : Dans le projet de la Loi des finances 2025, l’Etat malien a bien précisé que son objectif est de consolider les finances publiques et de les ramener vers la viabilité budgétaire et économique. Vous savez, notre pays commence à connaître un taux d’endettement assez important et un solde budgétaire élevé aussi, c’est-à-dire que nos dépenses budgétaires sont supérieures à nos recettes budgétaires. L’encours de la dette publique par rapport au PIB est en train d’augmenter.
Aujourd’hui, nous sommes à presque 55 %, alors qu’en 2008 nous étions à 28 %. Certes, il ne faut pas comparer ces deux périodes, mais ces quatre dernières années on a remarqué que la dette publique est en train de prendre une proportion plus importante en termes non seulement de dette intérieure mais aussi de dette extérieure. L’idée de cette mesure, c’est de réduire le déficit budgétaire. Dans la Loi des finances rectificative 2024, le déficit budgétaire était de 683 milliards de F CFA. Il s’agit surtout de le ramener à 581 milliards de F CFA dans le projet de Loi des finances 2025, soit une baisse de 102 milliards de F CFA. C’est aussi pour faire baisser le ratio de l’endettement public. Pour cela, il faut plafonner les dépenses et augmenter les recettes. L’objectif dans le projet de Loi des finances 2025, c’est d’augmenter les recettes fiscales nettes de 263 milliards de F CFA. C’est pourquoi vous avez ces différentes taxes qui apparaissent maintenant.
Mali Tribune : Quel impact cette taxe a-t-elle sur les consommateurs de services télécoms et d’alcool ?
M M. M. : La taxe sur l’accès au réseau des télécommunications ouvert au public (Tartop) est prélevée sur le chiffre d’affaires des opérateurs de télécommunication (les compagnies qui bénéficient de licence de télécommunication). Ce n’est pas une nouvelle taxe. Elle existait depuis 2012. D’ailleurs, elle apparaît même dans la Loi des finances de 2013.
Cette taxe, qui était initialement de 5 %, passe à 7 %. Evidemment, si on applique cela au chiffre d’affaires des compagnies de télécoms, elles vont répercuter cela autrement même si je ne saurais dire comment exactement, celles-ci vont faire payer cela aux consommateurs soit en réduisant la durée ou en baissant la qualité des services par exemple. En tout cas, d’une manière ou d’une autre, c’est le consommateur final qui va finir par payer.
Il y a le fonds de soutien au développement des infrastructures de base et du développement social qui sera alimenté par les recharges téléphoniques à hauteur de 10 % et les retraits via le mobile money à hauteur de 1 %. Ces deux sources de revenus vont alimenter le fonds de soutien qui sera utilisé par le gouvernement en cas d’urgence, mais surtout comme cela a été précisé dans l’ordonnance de création, il va surtout alimenter le secteur énergétique.
S’agissant de la deuxième taxe concernant la contribution spéciale sur l’alcool qui est produit localement et importé. Cet alcool est taxé au volume, c’est-à-dire par litre. Le taux de taxation va de 1000 à 6000 F CFA. Outre ces deux taxes, il y a aussi la contribution spéciale de solidarité qui est aussi une autre source de revenus qui a été décidée par le conseil des ministres le 5 février 2025. Cette contribution spéciale va être aussi prélevée sur le chiffre d’affaires de certaines entreprises. Le taux de cette taxe sera fixé à 0,5 % du chiffre d’affaires de toutes les entreprises assujetties aux bénéfices industriels et commerciaux (Bic) et aux impôts sur les sociétés.
Mali Tribune : Cette taxe affectera-t-elle les opérateurs de télécommunications et les vendeurs de boissons alcoolisées ?
M M. M. : Ça affectera tous les consommateurs des produits ciblés. Il faut préciser qu’une taxe est un prélèvement fiscal en faveur d’une administration publique en l’occurrence l’Etat cette fois-ci. Mais la contrepartie, c’est un service. Si ce sont les opérateurs de télécoms qui sont taxés, ce sont eux qui vont payer, mais ils vont faire payer cela aux consommateurs. Quand on prend l’alcool, c’est celui qui va consommer l’alcool qui va payer finalement, même si c’est le revendeur qui est taxé, c’est le consommateur final qui va payer. C’est différent de l’impôt sur le revenu où c’est vous ou moi qui payons, mais en fonction de nos revenus.
Mali Tribune : L’Etat doit-il redoubler d’efforts pour diminuer encore son train de vie ? Vous ne pensez pas ?
M M. M. : Je pense que l’Etat essaye de faire des efforts parce qu’il compte diminuer le déficit budgétaire de 102 milliards de F CFA, mais il pourrait faire des efforts supplémentaires pour réduire les dépenses budgétaires non essentielles. Actuellement, ce sont les dépenses ordinaires ou les dépenses de fonctionnement qui augmentent depuis dix ans au niveau de l’Etat, et cela comprend essentiellement les salaires et autres dépenses récurrentes. Les salariés ne sont pas suffisamment bien payés au Mali pour qu’on puisse envisager même un gel des salaires au niveau de la fonction publique.
La masse salariale entre la loi rectificative 2024 et le projet de Loi de finances 2025 n’a pratiquement pas varié. Par contre, la tendance observée à moyen et long termes est que le fonctionnement de l’Etat prend l’ascendance sur les dépenses d’investissement et il faudra nécessairement faire des économies au niveau des achats de matériel, de véhicules et du paiement de certaines indemnités… D’ailleurs, c’est cela qui est insidieux. Car c’est l’investissement qui permet à l’économie de croître, de produire davantage et de financer les dépenses publiques. Quand on taxe les populations en périodes d’activité réduite, cela devient moins compréhensible.
En période de boom, je pense que tout le monde devrait payer sa part d’impôt. Maintenant, quand les couches sont vulnérables, il ne faut pas les assujettir à ce genre de taxes sans concertations préalables et une sensibilisation bien élaborée et ciblée.
Mali Tribune : Comment les recettes générées par cette taxe seront-elles utilisées par le gouvernement ?
M. M. : C’est l’Etat, à travers la gestion des finances publiques, qui mobilise les recettes et les dépenses budgétaires et qui les effectue. En dehors des taxes, il n’y a que le fonds spécial qui va être alimenté par la taxe sur les recharges et le mobile money. Sinon, toutes les ressources financières de l’Etat que sont les impôts et les taxes sont des prélèvements fiscaux qui seront gérés par le Trésor public et le ministère des Finances, comme d’habitude, car cela va alimenter les recettes budgétaires dans l’exécution de la Loi des finances initiale 2025.
Propos recueillis par
Ousmane Mahamane
Source: Mali Tribune