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Modibo Mao Makalou à propos de la lutte contre la corruption : « Il faut aller vers la récompense du mérite et la sanction de la faute »

Depuis le lendemain du coup d’Etat du 18 août, les nouvelles autorités ont exprimé leur volonté de mener une lutte implacable contre la corruption. Ces derniers, cette volonté se traduit de plus en plus à des actes concrets à travers des interpellations et des arrestations pour corruption. A cet égard, nous avons sollicité un entretien avec l’éminent économiste, Modibo Mao Makalou. Pour parler de ce combat enclenché par la Transition, les conséquences économiques de la possible prolongation de la Transition et bien d’autres. A Torokorobougou en Commune V du District de Bamako, il nous a reçus dans sa belle résidence aux berges du fleuve Niger. Lisez !

 

Focus : Les autorités de la Transition ont engagé une lutte contre la corruption. Quelle analyse faites-vous de cette lutte, surtout ses avantages et ses inconvénients ?

Modibo Mao Makalou : Depuis 61 ans que nous sommes indépendants, tous les régimes qui se sont succédés ont engagé une lutte contre la corruption et la délinquance financière. Mais, pour quel résultat ? Quel est l’objectif de cette lutte ? Est-ce pour contrer la déperdition, la dilapidation des ressources, le vol, la collision, la surfacturation ou pour régler des comptes politiques ? Il y a eu des états généraux sur la corruption. Il y a eu également un grand rassemblement contre la corruption assorti d’un plan d’action. Tout cela est resté sans effet. L’instauration du Bureau du Vérificateur général comme une structure de contrôle additionnelle a eu lieu pour contrer la corruption. Malheureusement, les rapports n’ont pas été suivis d’effets. Ils n’ont pas été transmis au Procureur ou n’ont pas fait l’objet d’un traitement conséquent. L’on se demande s’il y a une volonté politique réelle de lutter contre la corruption dans notre pays.

Nous sommes un pays dont les ressources sont maigres. Depuis 60 ans, nous dépensons plus que ce que nous avons comme ressource budgétaire. Ce déficit budgétaire doit être comblé soit par des emprunts, soit par l’assistance extérieure ou l’aide extérieure. A travers le budget national qui fixe les priorités nationales, l’Etat n’arrive pas à satisfaire les besoins des populations parce qu’il n’a pas assez de ressources. Dans ce contexte, doit-on permettre à quelques uns de s’approprier de ces maigres ressources qui sont pour tous les Maliens ? Dans un pays où certains n’arrivent pas à avoir trois (3) repas par jour, d’autres n’arrivent pas à se soigner, envoyer leurs enfants à l’école, se trouver un logement, est-ce qu’on devrait laisser certaines personnes mener une vie de faste avec les ressources publiques ? Ce n’est pas juste, ni pas équitable dans une République où la caisse de l’Etat est publique et appartient aux citoyens. C’est en Monarchie que les caisses de l’Etat appartiennent au roi. L’exécution du budget doit se faire sous le contrôle du Parlement qui a pour rôle de s’assurer de l’exécution correcte du budget.

Malheureusement, la corruption est palpable un peu partout dans le monde, y compris les pays développés. C’est un phénomène mondial. Même dans les pays les moins corrompus, il y a la corruption. Mais, il faut un système de redevabilité, l’obligation de rendre compte. L’être humain n’est pas vertueux par lui-même. Il doit être dans un espace de contrainte où il ne peut pas tout faire, où il doit justifier tout ce qu’il fait.

Focus : Alors, c’est notre système qui favorise la corruption ?

Modibo Mao Makalou : Bien sûr ! Notre système est caractérisé par l’impunité au niveau de la déperdition des ressources publiques, la collision, l’affairisme, le népotisme. Le vol à ciel ouvert, le siphonnage budgétaire sont devenu un support national au Mali, surtout depuis que nous sommes dans le régime démocratique.

En matière de lutte contre la corruption, il y a la prévention et la répression. On doit prévenir et après la prévention, on doit pouvoir sanctionner. Il faut que nous allions vers la récompense par le mérite et la sanction de la faute. C’est comme cela qu’on peut niveler haut notre pays. Si nous ne faisons pas cela, ça pas va poser beaucoup de problèmes. Au lieu de réprimer, on doit faire en sorte que les gens ne puissent pas avoir accès à l’argent physique. J’étais coordinateur administratif et financier d’un projet d’un gros bailleur de fonds. J’avais une petite caisse de 500 000 FCFA qui était gérée par une caissière. La caissière utilisait ce fonds mais devait passer des écritures à chaque utilisation. Mais, le contrôle de cette petite caisse se faisait de manière inopinée par le bailleur. A tout moment, il pouvait passer vérifier la caisse. Quelqu’un qui gère ce genre de caisse ne va jamais s’amuser avec le fonds. Nous devons aller vers ces genres de système vertueux au lieu de laisser les gens en contact avec l’argent liquide.

Focus : Actuellement, des campagnes se multiplient pour demander la prolongation de la Transition. Or, le pays risque d’encourir des sanctions de la part des partenaires internationaux en allant à cette prolongation. Selon vous, quelles peuvent être les conséquences économiques de cette probable prolongation ?

Modibo Mao Makalou : La politique est une négociation constante. Rien n’est impossible en politique. Si vous devriez faire quelque chose, vous devriez pouvoir la justifier. Si vous voulez prolonger, vous devez donner des arguments pour cette prolongation. Mais, il ne faut pas prolonger parce que vous aimez le pouvoir, ses délices, ses fastes, ses honneurs, ses privilèges. Vous devez prolonger parce que vous avez un plan dont la mise en œuvre connait des contraintes. Tout cela doit se faire à l’unisson. C’est avec le peuple malien qu’on doit décider la prolongation. Comme nous sommes dans une Transition qui n’est pas légitime, il faut l’assentiment du peuple. Le dialogue doit être constant. Bien que nous soyons dans un régime militaire, les Maliens doivent dialoguer de manière participative et inclusive pour se projeter dans l’avenir. Si nous nous mettons d’accord, je ne vois pas pourquoi la communauté internationale va s’opposer à la prolongation. Parce que la paix et la sécurité sont les préalables à tout développement. Si vous savez que le pays sera à feu et à sang quelques mois après les élections, il n’y a aucune raison de les faire. Par contre, si vous voulez retarder les élections parce que vous pensez que vous devez passer quelques temps au pouvoir, sans plan ni assentiment du peuple, vous n’avez pas cette légitimité. Même ceux qui ont la légitimité sont contraints par la fin du mandat. Un chèque en blanc ne sera donné à aucun gouvernant dans ce pays. Le peuple y veillera. La communauté internationale aussi y veillera même si ce n’est pas de son ressort.

Focus : Notre pays est suspendu des instances de la CEDEAO depuis le coup d’Etat du 24 mai dernier. Quelles peuvent être les conséquences de cette sanction ?

Modibo Mao Makalou : Cela porte un coup à la réputation de notre pays. En plus, la CEDEAO est l’une des huit (8) communautés économiques régionales de l’Afrique. Elle est rattachée à l’Union africaine. Par principe de subsidiarité c’est la CEDEAO qui répercute au niveau de la Communauté internationale ce qui doit être fait dans une zone particulière. Ce sont les Chefs d’Etat de la CEDEAO qui se réunissent parce qu’au-delà de l’aspect économique, la CEDEAO a un objectif politique. C’est ainsi qu’une charte additionnelle lui a été établie pour la démocratie, la gouvernance et les élections. Dans cette charte, il est dit que le pays doit être suspendu lorsqu’il y a un coup d’Etat. C’est ce que les Chefs d’Etat ont appliqué. Même s’il n’y a pas de sanction économique, cela empêche notre pays de siéger au sein de certaines instances dirigeantes internationales. Quand la CEDEAO prend une décision, cela se répercute non seulement au niveau de l’Union africaine, mais aussi, au niveau de l’Union européenne et au niveau des Nations unies.

Focus : Nous faisons actuellement face à la vie chère et à l’insécurité alimentaire. Pour vous, quelles peuvent être les répercussions de ces deux maux sur la stabilité du pays ?

Modibo Mao Makalou : L’insécurité contribue à augmenter les prix, surtout des denrées alimentaires. Il y a beaucoup de mouvements des populations rurales à cause de l’insécurité. 60% de nos populations vivent en zone rurale et c’est là-bas où il y a la plus grande insécurité. Cependant, c’est là-bas aussi où il y a la culture vivrière ou même d’exportation. Ce sont les zones rurales qui nourrissent les zones urbaines. Nous avons vu le cas de la viande. Les animaux vivants, au lieu de venir à Bamako, se retrouvent dans les pays voisins à cause de l’insécurité. Et si Bamako n’est pas fourni en bétail, l’offre sera inférieure à la demande, forcément les prix vont augmenter.

Focus : Il n’y a pas longtemps, le Premier ministre a présenté au CNT son PAG qui se chiffre à plus de 2 mille milliards. Ne pensez-vous pas que ce Plan est trop ambitieux pour une période de la Transition ?

Modibo Mao Makalou : Non, je pense que le Plan d’action gouvernemental 2021-2022 est dans l’ordre normal des choses. Il y a déjà une loi de finance qui est en place. Le gouvernement n’invente rien. C’est la loi de finance qui est reconduite. Le PAG du gouvernement est tout à fait réalisable. C’est un budget qui se chiffre à 2050 milliards 600 millions. En réalité, tout cela est contenu dans la loi de finance.

Focus : Avez-vous un message à l’endroit des autorités de la Transition ?

Modibo Mao Makalou : Il faut une réelle volonté politique pour résoudre les maux de cette crise multidimensionnelle que nous vivons. Cela ne peut se faire que si nous pansions les blessures, si nous nous réconcilions entre Malien et qu’à l’unisson, nous décidons de sortir notre pays de ce gouffre sécuritaire, politique, social, économique, humanitaire, nutritionnel, alimentaire, sanitaire. Il faut l’union nationale. Il faut également que les dirigeants se comportent en exemplaire, qu’ils donnent la voie, qu’ils soient à l’écoute des populations et qu’ils veillent à ce que les aspirations des populations soient transformées en réalité.

Propos recueillis par Yacouba Traoré

Source : Focus

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