La chanteuse malienne a entamé une grève de la faim dans sa cellule de Fleury-Mérogis. Mercredi sera étudié sa demande d’extradition.
Ecrou numéro 456567 à la prison de Fleury-Mérogis en banlieue parisienne… Depuis le 10 mars, la chanteuse malienne Rokia Traoré est incarcérée là et en grève de la faim pour alerter sur son sort. Ce dimanche 15 mars, son avocat Me Kennet Feliho doit lui rendre visite. Ce dernier se disait très inquiet, samedi après-midi, de l’état dans lequel il craint de trouver sa cliente.
Chanteuse et guitariste de renom, l’artiste franco-malienne qui se produit sur la scène mondiale, est notamment connue pour son engagement en faveur des réfugiés et pour avoir été nommée en 2016 ambassadrice de bonne volonté par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Cette dernière a été arrêtée à sa descente d’avion à Paris où elle faisait escale, avant de se rendre à Bruxelles pour plaider sa cause.
Mandat d’arrêt international
Rokia Traoré est sous le coup d’un mandat d’arrêt européen émis par la justice belge et lié à un litige sur la garde de sa fille, née d’un père belge dont elle est séparée. L’avocat de la chanteuse, Me Kenneth Feliho, joint par Le Monde Afrique, a confirmé cette information que Radio France internationale (RFI) avait dévoilée dès jeudi soir. Le Monde, qui avait invité l’artiste à participer à un événement sur les femmes africaines pionnières, au Quai Branly, savait le poids qui pesait sur cette mère.
Un juge d’instruction de Bruxelles est, en effet, à l’origine du mandat d’arrêt qui la vise, a affirmé à l’AFP le parquet de la capitale belge, sans autre précision. Selon RFI, le tribunal de première instance de Bruxelles avait décidé de confier « la garde exclusive » de l’enfant au père ; une décision que la chanteuse a contestée « dès le départ », d’après Me Feliho, du barreau de Bruxelles, puisqu’elle avait interjeté appel du jugement de première instance. Rokia Traoré refuse de remettre sa fille à son ex-compagnon, ce dernier, défendu par Me Yves Berton, étant visé par une plainte pour attouchement sexuel sur l’enfant en France et au Mali. L’avocat du père dénonce, pour sa part, une offensive médiatique pour détruire la réputation de son client.
Audience ce mercredi à Paris
Aujourd’hui Rokia Traoré estime ses droits de mère bafoués. « J’ai entamé une grève de la faim (…) afin que me soit accordé un procès équitable en Belgique et pour que le mandat d’arrêt européen ne soit pas injustement appliqué », explique l’artiste dans un message publié sur son compte Facebook, et dans une lettre relayée par son avocat via cette plate-forme. L’artiste continue plus que jamais de dénoncer la décision du tribunal de Bruxelles qui a accordé à l’ex-compagnon belge de la chanteuse la garde exclusive de leur petite fille et s’insurge contre le fait que cette non-présentation d’enfant ait été transformée en un chef d’accusation incluant « séquestration, prise d’otage et enlèvement » pour permettre l’émission d’un mandat d’arrêt international.
Une audience est désormais prévue à Paris le 18 mars pour examiner la demande de remise de la chanteuse à la Belgique. Une procédure d’extradition étant lancée, pour cette femme qui a la double nationalité française et malienne et qui, en Belgique, risque cinq ans de prison.
Vendredi après-midi, une pétition en ligne à l’initiative du collectif des Mères veilleuses (Mères monoparentales de Belgique) pour exiger la libération de Mme Traoré avait recueilli près de 11 000 signatures. La pétition dénonce, entre autres, « les dysfonctionnements de notre justice belge à l’égard des mères monoparentales, (…) sans cesse tenues pour responsables du désintérêt et du désinvestissement des pères à l’égard des enfants ». Le texte estime que « l’histoire de madame Traoré, démontre qu’un père absent, et qui ne contribue pas financièrement aux besoins de l’enfant, garde son droit parental ». Auparavant, le hashtag #FreeRokia avait été lancé sur Twitter et très largement relayé.
Au Mali, le gouvernement a réagi samedi après-midi par la voix de son porte-parole, Yaya Sangaré. Il a assuré suivre « avec attention la situation judiciaire de Mme Rokiatou Traoré » qui « bénéficie de l’assistance des autorités maliennes depuis plusieurs mois ». Il a exprimé sa « solidarité » avec l’artiste, assurant « que les services consulaires et diplomatiques sont mobilisés pour un heureux dénouement ». De son côté, la blogueuse malienne Awa s’est indignée sur le site Benbere d’un « traitement injuste » dénonçant l’incarcération immédiate de Mme Traoré alors que d’autres mesures moins extrêmes auraient pu êtres trouvées. Elle y voit aussi la marque d’un « racisme qui ne dit pas son nom ». « Nous ne sommes pas égaux en droit international, poursuit-elle. Les droits d’un ressortissant d’un pays en développement pèsent moins sur la balance devant ceux d’un « développé » », avant de dénoncer la « faiblesse » de la réponse du gouvernement malien « peu en mesure de protéger ses citoyens ».