Les militaires patrouillaient dans le nord de Ménaka, dans le nord-est du pays, lorsque leur véhicule a été touché par un engin explosif. Un mode opératoire très courant des groupes jihadistes.
L’année commence comme elle s’est tristement terminée pour les forces françaises en guerre au Sahel. Deux militaires sont morts samedi matin dans l’explosion d’une mine artisanale au passage de leur véhicule, dans le nord-est du Mali. Un autre soldat est soigné, sans que ses jours soient en danger. A peine cinq jours plus tôt, le 28 décembre, trois militaires avaient été tués, selon le même mode opératoire : un engin explosif contre leur blindé léger (VBL). D’après le porte-parole de l’état-major des armées, Frédéric Barbry, les investigations sont encore en cours pour déterminer si cet engin était commandé à distance ou s’il se déclenchait automatiquement.
Les mines, et plus rarement les véhicules piégés, sont la principale cause de mortalité des soldats français déployés dans la région, hors accident comme celui, spectaculaire, qui avait coûté la vie à treize militaires participant à une opération en novembre 2019. Paris y voit la preuve que sa stratégie fonctionne : handicapés par la présence française, les groupes jihadistes n’auraient d’autre choix que de recourir à ces stratégies d’évitement, via ces «armes du pauvre», relativement simples à fabriquer. Le nouveau porte-parole du ministère des Armées, Hervé Grandjean, a ainsi dénoncé ce dimanche matin un «mode d’action pernicieux et lâche employé par ces terroristes [qui] devant leurs nombreux échecs tentent de nous déstabiliser par l’utilisation de mines artisanales».
Sophistication croissante
Cette inclination à refuser le combat frontal au profit de moyens de harcèlement est loin d’être nouvelle. Déjà en 2018, les nombreux soldats de l’opération Barkhane que nous avions interrogés au Mali citaient spontanément les IED («improvised explosive device», c’est-à-dire engins explosifs artisanaux en français) comme première menace.
Contrairement à d’autres zones de conflit, les engins déployés au Sahel demeurent pour l’heure rudimentaires. Aucune attaque par «drones kamikazes» artisanaux ou associant plusieurs IED explosant les uns après les autres, techniques que le groupe Etat islamique a développées en Syrie et en Irak, n’a pour l’heure été observée dans cette partie du Sahel. Mais la sophistication augmente, signalaient dès 2018 des officiers de Barkhane.Ces mines font d’autant plus mal quand elles frappent les cibles sensibles : les blindés de transport sanitaire, désormais banalisés, ou les blindés légers. Ce sont ces derniers qui ont été mortellement touchés le 28 décembre et samedi, mettant Barkhane face à une équation complexe : privilégier la protection et le blindage avec des véhicules plus lourds ? Ou favoriser la mobilité face à un adversaire qui connaît le terrain et se déplace à moto ou en pick-up ? Les VBL se veulent une réponse intermédiaire, mais ils sont vieillissants (environ 22 ans d’âge moyen) et sont en cours de modernisation avant leur remplacement prévu dans la décennie qui vient.
Le matériel ne fait pas tout. L’IED du 28 décembre a touché un véhicule intégré à un convoi logistique, ces longues files de camions et de blindés, prévisibles et visibles et loin, mais indispensables pour ravitailler les différentes bases éparpillées sur le grand territoire couvert par l’opération. L’explosion s’est produite dans les environs de Hombori, une localité entre Gao et Mopti. La coalition jihadiste affiliée à Al-Qaeda, le Jnim (en français «Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans»), l’a revendiquée, invoquant, pêle-mêle, la présence militaire française dans la zone, la publication des caricatures de Mahomet et la politique du gouvernement à l’égard des musulmans en France.
Théâtre d’une opération d’ampleur
Samedi matin, c’est une patrouille de reconnaissance et de renseignement qui a été frappée. La sergente Yvonne Huynh, 33 ans, et le brigadier Loïc Risser, 24 ans, appartenaient tous deux au deuxième régiment des hussards de Haguenau. Yvonne Huyng est la première femme à mourir au Sahel depuis le début de l’intervention en 2013, et la première à mourir au combat, toutes opérations confondues.
Lorsqu’ils ont été mortellement atteints, ils se trouvaient au nord de Ménaka, une ville à l’est de Gao, non loin du Niger et de la région dite des trois frontières, qui concentre les efforts de Barkhane depuis le sommet de Pau, il y a un an. La zone a la particularité d’abriter à la fois des groupes liés à Al-Qaeda et à l’Etat islamique au Grand Sahara, deux organisations en guerre ouverte.
Au mois d’octobre, elle avait été le théâtre d’une opération d’ampleur mobilisant jusqu’à 1 600 des 5 100 soldats de l’opération Barkhane, et 1 400 militaires alliés : maliens, nigériens, mais aussi britanniques, américains et danois. Une préfiguration de ce que pourrait devenir l’intervention française. Paris tente en effet d’attirer des partenaires européens. La task force «Takuba» associant des forces spéciales de plusieurs pays de l’Union européenne a commencé ses activités sur la base de Ménaka, qui devait servir de vitrine à l’intervention française, lancée le 11 janvier 2013.