Il tenait la corde depuis 2013 pour succéder aux frères Castro à la tête de l’Etat cubain. Miguel Díaz-Canel, déjà premier vice-président, a été élu ce 19 avril 2018 nouveau président de Cuba. Portrait d’un homme qui a construit pas à pas une carrière professionnelle et politique, d’abord dans l’ombre de Raùl Castro, avant d’apparaître à la lumière comme le dauphin désigné.
Discret et accessible mais peu souriant et modeste orateur… voilà comment les observateurs de la vie politique cubaine caractérisent le nouveau chef de l’Etat. Il est la partie émergée de l’iceberg d’une nouvelle génération de cadres du Parti communiste cubain, nés après la révolution de 1959. Mais à la différence d’autres figures comme Carlos Lage, ex-ministre de l’Economie ou encore Felipe Pérez Roque (évincés tous deux en 2009) et Roberto Robaina, ces deux derniers ex-chefs de la diplomatie cubaine, un temps présentés comme de possibles candidats à la succession des deux frères Castro, Miguel Díaz-Canel, lui, a su durer.
Né à Santa Clara dans la province de Villa Clara, au centre du pays, le 20 avril 1960 d’une mère institutrice et d’un père ouvrier, Miguel Díaz-Canel est ingénieur en électricité de formation. Un parcours scolaire sans faute, d’élève boursier à une carrière d’enseignant en université puis de ministre de l’Enseignement supérieur en 2009. Un parcours politique également sans faute puisqu’il gravit une à une toutes les marches de l’Union des jeunesses communistes jusqu’aux postes -stratégiques- de premiers secrétaires du parti d’abord dans sa province de Santa Clara (de 1994 à 2003), puis dans celle plus orientale de Holguín (2003-2009) où il est chargé de remettre de l’ordre.
Un vieux routier des instances du PCC mais un profil atypique
A Santa Clara, Díaz-Canel est l’enfant du pays. C’est d’ailleurs sous l’œil curieux des caméras de la presse nationale et internationale et « affectueux » de ses concitoyens de Santa Clara, rapporte l’agence espagnole EFE, qu’il a été vu faisant vingt minutes de queue pour aller voter aux législatives (indirectes) en mars dernier, en compagnie de sa seconde épouse. Les couples des hommes politiques sont traditionnellement peu documentés et photographiés à Cuba, notamment par les médias officiels.
Médias internationaux et cubains rapportent sa grande capacité de travail et sa décontraction. Quand il dirigeait la province, il délaissait volontiers la guayabera, la fameuse chemise brodée à petits plis, au profit de tenues plus informelles. On rapporte aussi que pendant la « période spéciale » (déclarée par Fidel Castro après la chute de l’URSS), alors que l’île est soumise à de multiples pénuries dont celles de carburant, il n’hésitera pas à mouiller la chemise, littéralement, et, abandonnant sa voiture de fonction, à circuler en bicyclette pour l’exemple. Autre anecdote, lors d’une coupure d’électricité, il prend la tête de l’équipe de secours en charge de rétablir le courant à l’hôpital, et fait la tournée des chambres pour présenter des excuses officielles aux patients. Parmi ses derniers, le dissident Guillermo Fariñas (Prix Sakharov 2010) alors en grève de la faim (il en a de nombreuses à son actif), qui a raconté amusé leur brève rencontre et comment Miguel Díaz-Canel s’était enquis de sa santé.
On le sait également amateur de rock (fan des Beatles, il accompagne dans sa ville la création d’un festival de rock), amateur de blue jeans et d’art contemporain, autant de témoignages de libertés prises avec la doxa communiste en vigueur sur le potentiel subversif de ces musiques et créations. C’est lorsqu’il dirigeait la province que s’est ouvert à Santa Clara El Mejunje de Silverio, sorte de peña ou centre culturel ouvert à la diversité, y compris sexuelle dans une île où l’homosexualité était réprimée. Connecté, favorable officiellement à un plus large accès à internet (quoiqu’on le voit mettre sur cette vidéo en garde contre ces portails et revues « apparemment inoffensifs » mais en réalité engagés dans une « guerre culturelle » contre Cuba), utilisateur de smartphone et de tablette, il a fait sensation en assistant muni d’un ordinateur à son premier Conseil des ministres.
Des gages aussi à l’aile conservatrice
Proche des frères Castro auxquels il aurait servi de garde du corps pendant son service militaire, Miguel Díaz-Canel devient en 2012, un des huit vice-présidents du Conseil des ministres avant le dernier saut, en février 2013, date à laquelle il est élu au Conseil d’Etat au poste de premier vice-président à la place de José Ramon Machado Ventura, vieux compagnon de route des frères Castro, âgé de 87 ans.
Il est alors adoubé par Raúl Castro, qui avait lui-même occupé ce poste avant de prendre la succession de Fidel, malade, en 2008, après un intérim de deux ans. « El compañero Díaz-Canel no es un novato ni un improvisado », ni un nouveau-venu ni un intrus, assure le numéro un cubain, le désignant ainsi officieusement comme son successeur puisqu’il annonçait à cette même occasion son intention de décrocher de la présidence en février 2018. La date a depuis été reportée de quelques semaines.
Du sommet pour le climat à Paris en novembre 2015 à une rencontre avec Kim Jong-un en Corée du Nord, avec le pape François, ou encore, aux côtés du couple Obama lors de cette visite historique de mars 2016, Miguel Díaz-Canel a représenté Cuba sur de nombreux fronts extérieurs et intérieurs. Faisant écho aux photographes des temps passés, la blogueuse et opposante Yoani Sanchez ironise : « celui qui bouge ne sera pas sur la photo ». Pour être sur la photo finale, il a fallu que Díaz-Canel donne des gages à l’orthodoxie et, selon elle, le nouveau président a donné tous les garanties nécessaires pour assurer la continuité de la politique et des réformes entreprises par son prédécesseur, notamment sur le plan économique. Des réformes au modeste bilan.
Raul Castro garde la main sur le parti et l’armée
Changement de dynastie, de génération donc mais il faut rappeler que Raúl Castro n’a pas annoncé son intention de quitter la présidence du parti, or c’est le parti qui imprime la politique du pays puisque la Constitution cubaine définit le PCC comme la « force directrice suprême de la société et de l’État, qui organise et oriente les efforts communs vers les nobles fins de la construction du socialisme ». Ni la tête de l’armée dont il gardera le commandement jusqu’en 2021.
Miguel Díaz-Canel est le premier civil à prendre les rênes d’un pays où l’armée détient nombre de leviers stratégiques et économiques à commencer par le lucratif secteur du tourisme. Et aux côtés de Raúl Castro, se tiennent des proches qui pourraient avoir un rôle à jouer, comme son propre fils, Alejandro Castro, colonel des Forces de sécurité du ministère de l’Intérieur, et chef opérationnel de la commission de défense et de sécurité nationale.
L’élection de Miguel Díaz-Canel amorce quoi qu’il en soit la fin d’une époque, celle des acteurs de la révolution de 1959, et l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération. « Le gouvernement que nous élisons aujourd’hui sera un gouvernement qui devra se consacrer au peuple, et le peuple participera aux décisions », déclarait le futur chef de l’Etat lors des dernières élections. Et les attentes du peuple cubain sont nombreuses.