Il est courant d’entendre de la part de presque tous nos compatriotes qui s’autorisent à prendre: « nous sommes des Maliens, nous sommes des enfants de ce pays, le Mali nous appartient tous ».
C’est souvent dit sur un ton martial tout de vocifération, avec quelquefois de la bave aux commissures des lèvres pour bien faire comprendre qu’ils ne blaguent pas. S’il est vrai que nous sommes tous des enfants du Mali, donc que le Mali est notre (en l’occurrence la mère patrie), alors d’où nous vient l’idée que le Mali nous appartient. Donc s’il est vrai que nous sommes les enfants du Mali, c’est nous qui appartenons au Mali comme les enfants appartiennent à leur mère. Cette précision nous semble importante dans la mesure où c’est souvent au nom du fait que nous pensons que le Mali nous appartient que nous nous autorisons toutes les dérives. L’exemple le plus récent est l’actuelle campagne référendaire. Nous assistons à toutes sortes de violations de la loi. Nous parlions de la mobilisation du ban et de l’arrière-ban du gouvernement.
Les ministres courent dans tous les sens, au dedans et au-dehors, pour disent-ils procéder à la vulgarisation du projet de constitution. Le hic, est que tous appellent à voter OUI avant même l’ouverture de la campagne. Le Mali leur appartient, donc ils font comme bon leur semblent. Et comme nous sommes dans un pays qui nous appartient, nous sommes les enfants d’un pays où nous aimons faire comme les pintades, c’est-à-dire, qui aiment suivre leur devancière, alors nous suivons les pratiques du gouvernement. Bonnes ou mauvaises, légales ou illégales, ce n’est pas notre problème; dès lors que c’est le gouvernement, c’est que forcément c’est une bonne pratique. Ces derniers temps, on assiste à une sorte de compétition.
C’est à celui qui sera le premier à demander à voter OUI massivement à la clôture de leur fameuse vulgarisation. C’est ainsi qu’on voit les femmes leaders, les jeunes leaders, des partis politiques, des syndicats dont l’UNTM, etc. qui appellent leurs militants à voter massivement pour le OUI. Il y a du tout dans ce monde : ceux qui ont des positions à défendre ; ceux qui attendent des promesses de manière impatientes depuis le deuxième coup d’Etat ; ceux qui aspirent à être mieux vus dans la perspective des échéances futures, etc. Quand on prend par exemple le cas de l’UNTM, il ne viendrait à l’idée de personne qu’elle prendrait une position autre que celle qu’elle a annoncée, c’est-à-dire un vote massif en faveur du OUI, avant même l’ouverture de la campagne. Rappelons que la notion de participation responsable figure dans l’ADN de l’UNTM. Pour ce qui est de l’Adéma, c’est plus ou moins, la même chose. Sauf qu’ici, ce sont des professionnels ; nul besoin de se presser. On peut même donner l’impression d’être contre le projet. Ce qui fut le cas au tout début de cette affaire. Les naïfs ont pu confondre stratégie et ruades. On a pu avoir l’impression que l’Adema se dresserait comme des millions d’abeilles pour dire, pas touche.
Ensuite il y a eu la phase qui consiste à annoncer que l’Adéma consulte sa base avant de décider. Enfin la phase où on annonce ce qui n’était ignoré de personne, c’est-à-dire un appel massif à voter OUI. A l’Adéma, il y a quelques directions générales soigneusement occupées et qui méritent d’être défendues, il y a cette envie toujours robuste d’être présent quitte à jouer les utilités. Ce n’est donc pas le moment de poser un acte inconsidéré. « Nous ne sommes pas des locataires ». Tout ce que nous avons décrit se passe sur nos jambes. Et à chaque fois que quelques bonnes âmes demandent à comprendre, souhaitent que tout le monde reste dans les clous, elles sont passées à la tronçonneuse. Partant du fait que nous appartenons au Mali et que tout ce qui se passe les intéresse et les interpelle même, ces bonnes âmes cherchent à comprendre et à se faire entendre à défaut d’être écoutées. Nous avons vu par exemple la perplexité exprimée par Bittar qu’on pourrait difficilement assimiler à un opposant exalté à la Transition.
Il s’étonnait pour ne pas dire, s’inquiétait qu’aucun appel d’offres n’ait été lancé, à sa connaissance pour la fabrication des cartes d’électeurs. Tout porte à croire qu’il restera longtemps dans l’ignorance, dans la mesure où il nous est revenu que le marché a été attribué à quelqu’un qui se trouve dans les bonnes grâces des autorités. Qui dit bonnes grâces dit forcément tous les raccourcis possibles et imaginables. Nous ne voudrons pas jouer les mauvaises langues mais l’expertise et l’expérience de l’acquéreur resteraient à faire tout simplement, pas à parfaire. Nous ne sommes pas les seuls à avoir l’information, mais il faut craindre que les Maliens n’aient perdu jusqu’à leur capacité d’indignation.
Autre temps, autres mœurs. Du bon vieux temps de la démocratie, tout était passé au peigne fin. Sur des marchés de ce genre, aussi bien les opérateurs économiques que les partis politiques veillaient à ce que tout se passe dans les règles (appel d’offres, réception des dossiers, ouverture des plis, attributions du marché, exécution du marché, etc.). Mais nous constatons comme une sorte de lassitude. Nous préférons lassitude parce que nous n’osons pas imaginer la peur chez tous ces intrépides combattants de la démocratie et de la justice sociale. « Nous ne sommes pas des locataires ». Nous sommes chez nous.
Nous appartenons au Mali. C’est pour cela que tout ce qui s’y passe nous intéresse et nous interpelle. Malheureusement, sur l’ensemble de leur œuvre, les jeunes militaires au pouvoir sont parvenus à intimider tout le monde. Chacun se cherche et déserte le terrain où, hélas semblent prospérer des pratiques qui ne sont pas dignes des Maliens. Il ne se passe pas un jour, sans que des accusations ne pleuvent contre nos forces de sécurité et ceux qu’il est bien convenu d’appeler hommes de Wagner (nous avons beau nié leur présence ou même annoncé que ce sont des instructeurs russes, le fait que le patron de Wagner, Evguéni Peigojine, lui-même reconnaît qu’il a ses éléments chez nous). Nous, nous ne les connaissons pas. C’est l’État qui est nôtre.
C’est lui qui nous doit protection. Franchement nous nous demandons si toutes ces accusations sont fausses. Mais pour avoir le cœur net, il faudrait mener des enquêtes sans état d’âme avec en tête, que seul l’intérêt du pays prime. Après MOURA qui a donné lieu à une enquête de l’ONU et à toutes les dénégations possibles, des exactions viennent d’être signalées dans la région de Tombouctou et dans la région de Ménaka. Et dans les deux cas, ce sont les FAMAs et les « instructeurs russes » qui sont accusés. Et comme à notre habitude, on pense que c’est le monde entier qui nous veut du mal; que c’est la jalousie qui étreint ceux qui vivent mal la montée en puissance de nos forces de défense et de sécurité; c’est le fait d’avoir retrouvée l’entièreté de notre souveraineté qui nous vaut toutes ces calomnies. Nous pensons que ça ne coûte rien de procéder à des enquêtes pour savoir exactement ce qui se passe.
Parce que ce serait étonnant que nos populations, que nos amis, que nos ennemis, que la terre entière soient contre nous. « Nous ne sommes pas des locataires ». Nous avons suivi sans surprise la réponse du gouvernement aux accusations du gouvernement américain concernant Moura (ça va nous coller aux semelles comme un morceau de chewing-gum). Contrairement au rapport de la commission des droits de l’homme de l’ONU, les Américains ne font ni dans la litote ni dans la demi-mesure. En effet, ils vont plus loin que le rapport en nommant ceux qu’ils pensent être les responsables pour ne pas dire les coupables: celui qui assure l’intérim à la tête du Bataillon armé des forces spéciales (la chose de Assimi)), celui qui commandait les Bérets rouges, et le représentant de Wagner ici au Mali. Il ne leur a manqué qu’une chose, nommer Sadio Camara et Assimi Goïta parce que les mis en accusant gravitent dans leur proche entourage.
Autant dire qu’ils ont senti le souffle du boulet. Nous ne nous trompons pas en affirmant qu’ils connaissent les Américains, soit pour avoir effectué une partie de leur formation chez eux, soit pour les avoir vus sur le théâtre de certaines opérations. Ils savent de quoi ils sont capables. Même quand ils se trompent, ils ne se trompent pas ou disons qu’ils ne reconnaissent leur erreur qu’après avoir accompli beaucoup de dégâts. Quand on a affaire à eux, il faut être très prudent, il faut être très précautionneux, savoir où poser le pied, peser les mots qu’on utilise. Parce que comme le dit la sagesse bamanan, il ne faut pas se laisser lécher par quelque chose qui pourrait t’avaler. La réponse du gouvernement était donc attendue.
Par-delà la rhétorique habituelle et le discours au ton martial, nous avons senti quand même un peu de prudence, comme si nos autorités marchaient sur des œufs. Il y’avait certes beaucoup de dépit dans le discours, mais c’est un discours à consommation locale ; ce n’est pas comme si on devait s’adresser à la « junte française » ou si on devait demander à l’ambassadrice de plier bagage. Elle a été appelée à donner des explications au ministre des Affaires étrangères mais certaine que cela s’est passé dans la bonne humeur et autour d’un bon petit café noir fumant. Même au sein de l’opinion, au sein des partisans fieffés de la Transition, on a senti qu’avec les Américains on jouait clairement avec le feu.
Donc pour ne pas se bruler les mains, on peut hausser le ton mais on se garde de tout acte malencontreux. Même le rappel du bombardement de Bounty n’a pas été du goût de certains amis proches de ceux qui nous dirigent. Il faut rappeler que c’est un communiqué de l’Etat-major général des armées du Mali qui avait blanchi la force Barkhane en confirmant la thèse de la mission conjointe contre des jihadistes. C’est l’enquête de la Minusma qui avait rétabli les faits. « Nous ne sommes pas des locataires ».
Nous sommes bien à notre place dans la maison commune. Pour ceux qui jactent à longueur de journée et qui éructent à tout bout de champ, nous rappelons que nous aussi nous sommes des Maliens, des faso den gnoumaw et que nous avons notre mot à dire, ne leur en déplaise. Nous avons le droit, et nous en usons, de dénoncer ceux qui veulent amener le Mali à leur niveau c’est-à-dire à ras de terre.
Le Mali mérite mieux que certains comportements et certaines postures. Le Mali mérite mieux que certains discours pompeux sans lendemains, sans prise sur la réalité. Le Mali mérite mieux que certains dirigeants responsables qui ne savent rien faire, qui ne sont au courant de rien, qui ne peuvent apporter aucune solution.
Tiégoum Boubèye Maïga
Source: Nouvelle République