Me Malick Coulibaly est l’actuel Président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme. Désigné par ses pairs, depuis le 5 janvier 2018, à occuper ce poste suite à la nomination de la présidente comme ministre, il est conscient du défi à surmonter. Dans une interview qu’il nous accordée, le lundi 9 avril au siège de la CNDH sis à l’ACI 2000, il a non seulement évoqué les objectifs et les missions de la CNDH, ses difficultés mais s’est aussi prononcé sur les cas de violations des droits de l’homme dans notre pays.
Le Pays : Nous avons appris que c’est vous qui êtes à la tête de la Commission Nationale des Droits de Homme. Quel sentiment vous anime à présent ?
Me Malick Coulibaly, Président de la CNDH : Comme vous l’avez dit, depuis le 05 janvier 2018, le lourd fardeau du président de la CNDH est sur moi. Mes collègues, pairs commissaires ont jugé utile de nous confier cette responsabilité. Pour nous, c’est à la fois beaucoup de fierté et un sentiment de responsabilité au regard de la tâche qui est aujourd’hui la nôtre. Donc, nous sommes vraiment très fiers d’assumer ces fonctions. En même temps, nous sommes saisis par une certaine appréhension au regard de l’immensité des attentes, nous sommes convaincus que la tâche sera la plus ardue mais nous sommes prêts à livrer le combat qu’il faut pour que la CNDH puisse véritablement marquer le territoire de la protection des droits de l’homme.
Pouvez nous exposer les missions qui vous sont assignées ?
Je voudrais préciser que la CNDH est différente des Organisations de Défense des Droits de l’Homme dont l’AMDH qui est une association parce que l’amalgame est souvent fait. La CNDH est une autorité administrative indépendante qui a été créée par la loi 2016, 037 du 06 juillet 2016 Portant création de la Commission Nationale des Droits de l’Homme. L’institution n’est pas nouvelle, elle a été créée en 1989 avant même l’avènement du processus démocratique. Cependant, avec la loi de 2016, le mandat se trouve renforcé.
Trois missions essentielles sont conférées à cette institution : la protection des droits de l’homme, la promotion des droits de l’homme et la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels ou inhumains. Le mandat est renforcé en ce sens que nous sommes habilités à recevoir des requêtes individuelles ou collectives ; de mener des investigations ; de visiter les prisons de façon régulière ou inopinée et nos pouvoirs sont étendus du fait que nos rapports annuels sont adressés au Président de la République, au Premier ministre et aux chefs des autres institutions et surtout débattus en session plénière de l’Assemblée nationale. Donc c’est une institution renforcée à la faveur de la loi de 2016. Et notre prétention, c’est d’avoir au plus vite possible le Statut A qui est décerné aux institutions nationales des droits de l’homme crédibles, qui font preuve d’indépendance et qui ont les ressources et les capacités nécessaires. L’ancienne CNDH était accréditée au statut B mais la perspective pour nous, avec cette nouvelle loi et cette composition resserrée autour des neuf commissaires, c’est d’être à mesure de décrocher ce statut A et nous nous dédions à cela.
Est-ce que vous rencontrez des contraintes des fois dans vos missions ?
Bien sûr. C’est une institution qui, dans le nouveau paradigme, commence à s’opérationnaliser et qui dit opérationnalisation, dit difficulté de démarrage. Nous avons des difficultés mais elles ne nous empêcheront d’évoluer vers l’atteinte des objectifs que la loi nous assigne. Nous avons un budget mais le décret qui détermine les salaires et autres avantages des commissaires n’a pas été pris à ce jour alors que nous avons prêté serment depuis mai 2017. Et surtout la loi nous impose une incompatibilité d’exercer toute autre profession excepté l’enseignement et la recherche. A ce point, nous avons des difficultés. En ce qui concerne l’environnement, le contexte des droits de l’homme au Mali est une difficulté supplémentaire. Il y a beaucoup de violations des droits de l’homme : les allégations d’exéutions sommaires sont récurrentes, les prisons sont surpeuplées, les plus démunis n’ont pas un accès facile à la justice, le droit à la santé, à l’éducation (des milliers d’enfants ne vont plus à l’école) et au bien-être n’est pas garanti à une très grande franche de la population etc. Quand on est appelé à être sur tous les fronts, ce n’est pas aisé mais nous faisons face aux difficultés et plaise à Dieu, les Maliens vont sentir la nouvelle Commission des droits de l’homme.
Avez-vous quelques mots à dire par rapport à la non évolution du dossier des ex putschistes, Amadou Haya Sanogo et coaccusés ?
Il faut préciser que nous sommes différents de l’institution judiciaire. L’institution judiciaire est indépendante comme nous le sommes. La loi ne nous confère pas le mandat de juger le travail de l’institution judiciaire mais nous savons qu’il est question de délai raisonnable de détention provisoire puisque les gens sont sous mandat de dépôt depuis un certain nombre d’années. Eux-mêmes, selon la presse, ont saisi les juridictions compétentes à l’effet de statuer sur la nécessité de leur mettre en liberté à défaut de les juger. Il y a eu une décision de justice que la CNDH ne peut et ne doit commenter ; encore moins réformer.
Par rapport à la crise du nord, trois coupables d’actes inhumains ont été traduits devant les juridictions compétentes, au Mali et à la CPI. Quel est votre avis par rapport à des gens connus de tous comme commanditaires de la situation du nord qui sont en train de déambuler dans les grandes villes du Mali ?
La CNDH est contre toute forme d’impunité. Tous ceux qui ont posé des actes doivent répondre de leurs agissements. Ceux qui ont suscité, ceux qui ont fourni les moyens et ceux qui ont servi de bras séculiers à l’exécution de ces actes, chacun a son niveau de responsabilité doit répondre. Vous savez qu’à la faveur des différentes négociations, il y a eu des mesures de confiance qui ont mis en mal la nécessité d’arriver à zéro impunité. Notre message, c’est de dire que la paix passe par la justice ; la paix passe nécessairement par la sanction de ces violations gravissimes des droits de l’homme. La justice a certainement son agenda mais il faut que justice se fasse. Le professeur de procédure pénale peut rappeler cette règle d’or : en procédure pénale le temps qui passe est la vérité qui fuit. Il faut qu’on arrive à juger tous ceux qui ont une parcelle de responsabilité dans la perpétration de ces actes gravissimes des violations des droits de l’homme.
Quel est votre dernier mot à l’endroit de l’Etat du Mali, de la communauté internationale et des citoyens maliens?
Pour nous, les droits de l’homme ne constituent pas un aboutissement mais un processus. Les droits de l’homme ne sont pas non plus une destination mais une trajectoire. Je peux assurer les uns et les autres que dans ce processus, la commission Nationale des Droits de l’Homme du Mali jouera sa partition. L’Eta doit jouer pleinement sa partition en dotant la justice des moyens adéquats ; à des missions doivent répondre des moyens. Si la justice n’a pas les moyens de ses missions, elle ne sera pas à mesure de faire correctement le travail qui est le sien. J’ai coutume de dire que la justice n’a pas vocation à se débrouiller or, elle se débrouille au Mali. Il faudrait que cela soit compris par les décideurs, les pouvoirs publics et aussi la population.
A la population, j’ai envie de rappeler ce que disait le juriste sociologue Allemand Yering à savoir que : « le droit de tous ne serait respecté que si chacun tient à ce que le sien le soit ». Donc, j’appelle les Maliens à se lever pour leurs droits, à se battre pour leurs droits car c’est de là que le droit de tout le monde sera préservé.
Réalisée par
Boubacar Yalkoué
Boureima Guindo
Le Pays