Bamako, 23 juin (AMAP) « Ne ye a bla a dala », en français : « je le vend au prix coûtant », « Venez voir, il ne me reste plus que ce seul sac et il est à 4000 Fcfa seulement », lance une dame, debout près du sac de gombos en vente. Une autre, de l’autre bout de la chaussée, répète en échos : « Ne ye a bla a dala. Ne be promo la, aye na », littéralement : « Je vends au prix coûtant. Mes produits sont en promotion, Venez ! ». Ici, c’est le marché du ‘Wonida’ qui approvisionne presque tous les marchés environnants. Il n’est pas encore 6 heures du matin mais on se croirait en plein jour. Ambiance de marché et vacarme se conjuguent partout, avec odeurs et senteurs des légumes et des fruits. Des marchandises tous azimuts. Des sacs ou paniers de tomates, de gombos, d’aubergines par-ci et d’autres d’oignons et de concombres par-là. Pour ne citer que ceux-ci ! Sinon, on trouve toutes sortes de légumes dans ce marché.
Les deux voies, dans le sens aller, sont prises d’assaut par ces vendeuses qui détiennent le monopole de la vente sur ce marché. Elles ne se soucient même pas des véhicules ou autres deux-roues qui passent à quelques centimètres d’elles. Elles étalent leurs marchandises en pleine chaussée, devant les boutiques qui sont momentanément fermées. Il faut, quand même, préciser que les seuls véhicules, qui viennent, jouent également un rôle dans ce marché. Les taxis, les tricycles et les Sotrama (véhicules de transport en commun) sont utiles. Ils transportent les commerçantes et leurs colis. Les porteurs, eux, acheminent les marchandises vers les véhicules. Ces produits viennent de villages des environs de Bamako.
UN MARCHÉ TRÈS MATINAL – Une vendeuse de poivrons, qui se tenait presque au milieu de la voie, nous a confié que ce marché se réveille depuis 4 heures du matin. En effet, le constat est vite fait à notre arrivée. De nombreuses revendeuses qui, avaient déjà fini leurs achats, négociaient des taxis. Autre constat : de la Commune I jusqu’en Commune III, les minicars de transport en commun (Sotrama) étaient uniquement remplis de femmes. Il était 5 heures du matin, en ce moment. Sûrement, elles partaient également s’approvisionner.
Notre première interlocutrice, la vendeuse de poivrons, nous dit que ce que nous voyons ne doit pas nous impressionner. Elle prétend que c’est chaque jour ainsi et depuis des années. La dame, du nom de Fatoumata Diarra, ajoute qu’elles et ses collègues sont obligées de venir très tôt, afin que celles qui revendent dans les différents marchés puissent avoir leurs marchandises, avant le lever du soleil. Elle avait de gros tas de poivrons qu’elle cédait à 1000 F. Ce sont ces poivrons qui nous sont vendus dans nos marchés entre 25 à 50 F l’unité.
Bintou Gassama mettait ses aubergines africaines dans un sachet blanc. Elle nous a confié être arrivée depuis 5 heures pour avoir ses marchandises. Depuis 10 ans, cette bonne dame quitte Sirakoro Méguetan, dans la lointaine banlieue de Bamako, pour venir au ‘Wonida’. Elle dit avoir obtenu son sac d’aubergines africaines à 12 500 Fcfa. Mariam Sininta, quant à elle, se rendait chez sa cliente. Elle vient dans ce marché depuis 5 ans et tient son propre commerce à Samé. Après ses achats, elles sollicitent l’aide d’un porteur pour se rendre à la gare de Samé.
En ces heures, l’endroit est tellement sale qu’on se croirait dans un dépotoir d’ordures. En passant, on est obligé de marcher sur les ordures. Ce sont des feuilles, des plastiques, des détritus de piments ou de tomates jetés etc. C’est juste après que le marché se forme à l’intérieur. Les marchandes quittent enfin le bitume. C’est un marché non stop. Il tourne du matin jusqu’à minuit. Dans ce marché, les petites bagarres ne finissent pas. C’est trop souvent avec les jeunes qui transportent les marchandises. Ces derniers sont si chargés qu’ils ne voient pas ce qui se trouve devant eux. Ils mettent deux sacs sur leur dos et se courbent pour marcher. A leur passage, ils cognent non seulement les passants mais aussi renversent les petits paniers de produits des marchandes sur leur chemin. Si les passants se limitent à leur dire de faire attention, les marchandes, elles, leur crient dessus. De nombreuses fois, on peut entendre : « Qu’est-ce cela veut dire ? Viens ramasser ce que tu as renversé. Tu sais à combien je l’ai acheté. Tu veux détruire mon commerce ». Mais rares sont les fautifs qui s’arrêtent ou se retournent. Ceux qui le font s’excusent vaguement. Il faut reconnaître que le poids sur leur dos, les empêche de faire des arrêts. De la voiture, ils veulent foncer vers leur destination.
UNE AFFAIRE DE FEMMES – Au Mali, beaucoup de femmes quittent, très tôt le matin, leur maison pour faire leur commerce. Elles passent toute la journée dehors et ne reviennent que tard dans la nuit. Elles n’ont pratiquement pas de vie de famille. Leur vie ne se résume qu’à leur petit commerce qui leur permet de subvenir aux besoins de la famille. Elles représentent, en quelque sorte, les piliers de la maison. Au marché « place koro » ou wonida », nombreuses sont les femmes qui sont dans ces cas-là. Ici, tous les âges sont représentés. Elles sont jeunes, adultes et âgées. Elles vendent pratiquement les mêmes choses : des légumes frais.
Un petit rappel historique sur ce lieu qui ne désemplit presque pas. Mme Koné Kiatou Konaté est la deuxième femme du créateur de ce marché. Selon cette dernière, c’est son mari, feu Sékou Koné, qui a initié le « Wonida ». Il y a environ 30 ans, que ce dernier est venu s’installer sur ce site. Sa famille vit toujours en plein cœur dudit marché. On appelait donc le lieu « Sékou ka Wonida » d’ou le nom « Wonida ». Mme Koné raconte qu’au fil des ans, un marché se développa devant la concession de ce dernier. Elle se souvint qu’il y a eu des représailles pour interdire le marché. Mais son mari fut son possible pour permettre aux marchandes, principalement composées de veuves, de pouvoir exercer.
AMAZONE DU WONIDA – Habillée d’un complet en wax avec un foulard très mal noué, et son porte monnaie traditionnelle autour de sa taille, Mme Togola Korotoumou Sidibé est une vraie battante. Sur son pagne, elle porte un autre de couleur, sans doute pour protéger le premier. Du haut de ses 60 ans, notre dame est très dynamique et passe presque toute la journée debout. Au milieu de ses marchandises, elle n’a qu’un petit espace pour se muuvoir et ranger ses tomates. Un tour dans le grand panier pour choisir une ou deux tomates pour ensuite les mettre dans un autre panier. La tomate n’est pas le seul légume que vend notre brave dame. Elle en a une variété : aubergines africaines, gombos et choux. Les légumes sont disposés sur des étals en bois et à même le sol dans des paniers différents selon le prix. Le plus petit pour les tomates est cédé à 500 Fcfa, le moyen à 1000 Fcfa et le plus grand à 2500 Fcfa. Les aubergines africaines sont disposées par tas et cédées à 500 Fcfa. Une grande assiette contient des haricots verts.
Il faut préciser que l’étal de Mme Sidibé varie selon les moments ou, disons, les saisons. En plus de ces légumes, elle offre également à ses clients des fruits comme le melon, la liane goane, communément appelée « zaban » et la goyave.
« Na, anw be ben a la », « Viens, on va s’entendre », dit-elle à une dame qui passe. Elle ne l’a laissa pas partir. Elle fit en sorte que la cliente revienne sur ces pas. « Viens voir, il y a de belles tomates bien rouges à moindre prix ». Après avoir fini de vendre, elle nous confia qu’il faut parfois harcéler les clientes. « Les temps sont durs de nos jours et il nous faut nourrir la famille », a t-elle expliqué. Et pourtant, Mme Togola gagne bien sa vie. Par jour, elle peut gagner au minimum 50 000 Fcfa. Mère de 5 enfants dont aucun ne travaille, Korotoumou assure toutes les dépenses de la famille avec le revenu tiré de son commerce. Au marché, ce n’est pas du tout difficile de retrouver notre dame. Dès qu’on franchit le seuil du marché, on tombe sur elle. Elle tient son commerce tout au bord de la voie bitumée.
Mme Togola Korotoumou Sidibé est une ressortissante de Dioila. Mais elle habite à Magnambougou projet. Korotoumou a le commerce dans le sang. Elle nous a confié que depuis sa tendre enfance, elle fait du commerce. « Depuis toute petite, je vends des oranges. A Dioila, je me rendais dans des vergers pour me procurer des oranges et les revendre en ville », a se souvient la sexagénaire.
Après son mariage, Mme Togola a rejoint son mari dans la capitale. Elle habitait dans un petit appartement, à Torokoroboubou. Après 15 ans de vie commune, elle perdit son mari. C’est donc après le décès de son époux que Mme Togola fut obligée de trouver un moyen de subsistance pour elle et sa progéniture. Avant cela, elle faisait du petit commerce pour aider son mari enseignant à faire face aux dépenses de la famille. Elle se rappelle avoir debuté son commerce par la vente de poisson fumé. Elle se réveillait très le tôt le matin pour aller prendre sa marchandise au marché ‘Soukounicoura’, puis la revendre dans son quartier. Mais ce commerce ne dura pas longtemps, à cause d’une mésaventure. C’est ainsi qu’elle est venue au marché ‘Wonida’. Là, elle commença d’abord par prendre des légumes pour les revendre au détail. Petit à petit, son commerce se fructifia et elle obtint une place dans ce marché.
Mme Togola Korotoumou Sidibé ne connait pas de pause ni de repos. Elle travaille du matin au soir et 7 jours sur 7. Son travail débute toujours à 4 heures du matin et se termine à 20 heures, le soir. Etonnant : elle ne s’en plaint pas du tout. Elle a souligné ne rater le marché que quelques rares fois, quand elle a un mariage ou autre évènement social incontournable. Dans ces cas-là, c’est sa belle-fille qui la remplace. Si elle tombe malade pour manque de repos ? Elle répond qu’elle est habituée á ce rythme soutenu et trépidant.
FN/MD
Source: AMAP