Le Président directeur général de l’Office du Niger, Mamadou M’Baré Coulibaly, nous a accordé un entretien exclusif, à Ségou. Le créateur du riz Gambiaka sait de quoi il parle. Il a abordé le lancement de la campagne 2019-2020, les stratégies de développement de l’entreprise, les retombées de la subvention des intrants agricoles, les problèmes d’approvisionnement en engrais et semences…
L’Essor : M. le PDG, vous avez procédé au début du mois au lancement de la Campagne agricole 2019-2020 à l’Office du Niger. Est-ce que l’hivernage a commencé dans toute la zone ?
Mamadou M’Baré Coulibaly : l’hivernage a effectivement commencé, partout, en zone Office du Niger. Mais la campagne agricole, comme d’habitude, a déjà été lancée au mois d’avril. Cela s’explique par le fait que l’Office a un programme annuel d’entretien des réseaux hydrauliques. Ce programme qui s’appelle ‘’le calendrier cultural’’ démarre avec l’entretien de l’ensemble des trois réseaux (primaire, secondaire et tertiaire). Il est validé non seulement par la Direction générale de l’ON, mais aussi par le Conseil d’administration. Aussi, dès que les réseaux sont entretenus, nous procédons à la mise en eau des réseaux primaires qui desservent les autres réseaux.
En résumé, avant le lancement de la campagne, tous les réseaux sont fournis en eau. Les préparatifs englobent la pré-irrigation. En même temps, les dispositions sont prises avec les associations des paysans pour mettre à leur disposition les intrants, surtout les semences. Les priorités pour la nouvelle campagne sont la fourniture d’eau pour l’irrigation, la bonne gestion de l’eau et la formation des exploitants agricoles au respect des normes d’irrigation. Il y a aussi l’approvisionnement à temps des producteurs en engrais subventionnés afin d’éviter les désagréments de l’année dernière. Il faut expliquer que les problèmes de l’année dernière étaient dus au changement du système de distribution de l’engrais.
Si la campagne a débuté en avril, quel est alors l’intérêt du lancement du 7 juillet
dernier ?
Cette deuxième étape de la campagne, qui a généralement lieu après l’organisation de la Journée du paysan, est très importante pour nous. Elle permet non seulement de présenter aux autorités le bilan des activités de l’année écoulée, mais aussi les projections pour la campagne 2019-2020. Cette tradition a pour objectif d’encourager les paysans. Ainsi, chaque année, un concours du meilleur producteur est organisé. Les trois premiers sont primés. D’autres sont encouragés. Les meilleurs agents de l’encadrement reçoivent également des prix.
Par ailleurs, c’est aussi l’occasion pour l’ON d’exposer ses problèmes à la tutelle et pour les producteurs d’expliquer leurs préoccupations au ministre de l’Agriculture. Cette année, les paysans ont expliqué de vive voix au ministre que l’engrais qui leur a été proposé ne permet pas d’atteindre les objectifs fixés pour 2019. En résultat, l’Etat a ajouté 2 milliards de FCFA aux 2,132 milliards de FCFA prévus pour les engrais. Raison pour laquelle l’engrais est actuellement disponible partout à l’Office…
Quels sont les objectifs de production que l’Office s’est fixés en 2019 ?
En 2019-2020, nous prévoyons de produire 873.774 tonnes de riz paddy, 275.725 tonnes d’échalote sur 8.210 hectares avec un rendement moyen de 33,58 tonnes à l’hectare. Dans le cadre de la diversification des cultures, la production attendue est de 94.826 tonnes. Le maïs est très prometteur en zone Office du Niger et la production attendue est de 11.255 tonnes.
L’année dernière, les paysans s’étaient sérieusement plaints de la distribution tardive des engrais. Qu’en est-il cette année ?
L’année dernière, il y a effectivement eu des problèmes avec l’engrais parce que le système d’approvisionnement a changé. Le problème a été résolu avec les bons d’achat. Malgré cette situation, l’Office a réalisé un record de production en 2018, avec une production de 819 000 tonnes, soit une augmentation de 9,4% par rapport à 2017. Il convient de souligner que c’est la caution qui a été remplacée par le bon d’achat. La caution n’est autre que le document que l’on donne au paysan pour pouvoir enlever l’engrais. Elle dépend de la facture que le paysan paye par hectare pour la redevance eau. Il n’y a pas une grande différence entre la caution et le bon d’achat. Le montant de la redevance eau varie entre 67.000, 55.000 et 45.000 FCFA par hectare.
Les semences sont-elles aussi disponibles ?
L’approvisionnement en semence ne pose aucun problème parce que ce secteur est l’un des mieux organisés en République du Mali. Les paysans producteurs de semence s’approvisionnent directement au niveau du Centre régional de recherche agronomique de Niono qui a un programme de multiplication des semences de base. Ensuite, ils font les semences commerciales R1 et R2. Il y a même des privés qui se sont installés dans le domaine des semences.
Quelle est la contribution de l’ON à la production agricole nationale ?
Nous avons de grandes potentialités en terres irrigables. Même le Nigeria qui est le 1er producteur de riz dans la sous-région n’a pas autant de surfaces propices. En 2017- 2018, l’Office a contribué à plus de 45% à la production totale de riz. En 2019, nous envisageons d’atteindre environ 50% du riz. Il y a eu aussi une très grande production d’échalote, d’oignon et de tomate. La valeur de l’échalote commercialisée à l’Office est estimée à plus de 27 milliards de FCFA par an.
Toute cette production est-elle consommée au Mali ?
Non. D’importantes quantités d’échalote sont transportées par camions pour approvisionner le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée.
Et la culture de contre saison ?
A ce niveau, nous avons des problèmes. En principe, nous devons mettre 10% des superficies, que nous cultivons en hivernage, en culture de contre saison. Par exemple, en 2019, nous allons produire sur 140 000 hectares. Donc, nous devons produire sur 14.000 hectares en contre saison. Cela est impossible, parce que l’hydraulicité ne le permet pas en période d’étiage. Il n’y a pas assez d’eau dans le fleuve pour faire le riz. Donc au lieu de 14 000 hectares, nous allons travailler sur 3500 hectares cette année. L’année dernière, on a cultivé 9000 hectares parce que les conditions étaient favorables. C’est pourquoi, la politique de l’Office consiste à diminuer la culture du riz en contre saison et à encourager celle des produits moins consommateurs d’eau comme l’oignon ou l’échalote, mais le problème qui se pose, c’est le manque d’unité de transformation. A cet effet, nous avons fait recours à l’entreprise Baramusso qui a construit deux unités à N’débougou et Molodo. La construction d’une très grande usine est également prévue à M’Bewani pour la transformation des produits maraîchers.
Le gouvernement attribue depuis une décennie, 15% du budget de l’Etat au secteur de l’agriculture. Quel est l’impact de cette mesure sur l’Office du Niger ?
Il faut rappeler que la subvention a commencé avec l’Initiative riz pour ensuite s’étendre aux autres produits. Elle a eu un impact positif sur nos activités. Ainsi, de 2008 à aujourd’hui, la production a augmenté d’environ 12%. Par ailleurs, le Contrat-plan est géré par la subvention qui permet d’aménager les superficies agricoles et de diminuer le prix de l’engrais. Le sac de 50 kg d’engrais qui était vendu à 17 000 FCFA est aujourd’hui cédé à 11 000 FCFA. Il permet surtout au paysan d’avoir l’engrais à temps. Les producteurs bénéficient d’équipements (motoculteurs, tracteurs) cédés à moitié prix, c’est-à-dire à 50% du prix normal. L’ensemble de la production a connu une amélioration.
Quelles sont les grandes difficultés auxquelles l’Office du Niger est aujourd’hui confrontée ?
La grande difficulté, c’est l’insécurité qui est générale au Mali. Nous gérons l’eau et il faut être partout, alors que les gens ne peuvent pas aller dans certains endroits. Les agents sont souvent menacés. Cela crée la psychose. Heureusement que les paysans ne sont pas inquiétés. L’autre grande difficulté, c’est le retard dans la dotation budgétaire alors que l’entretien du réseau primaire dépend de ce budget. Il y a aussi le problème de transformation et de l’insuffisance des équipements agricoles. Les paysans sont équipés à environ 30%. A cela, il faut ajouter le problème de main d’œuvre, parce que les bras valident vont vers les zones aurifères au détriment de la culture du riz. Il y a aussi le problème d’eau. A l’Office, sont installées trois usines de sucre et la canne à sucre utilise beaucoup d’eau (2 fois plus que le riz). En 2017, l’oignon et l’échalote ont souffert du problème d’eau.
L’Office prélève-t-il l’impôt sur le foncier ?
Non. Les terres appartiennent à l’Etat et c’est l’Etat seulement qui peut demander de payer des droits. Nous ne sommes que de simples gestionnaires, maître d’ouvrage délégué pour l’Etat. Nous sommes sur un titre foncier de l’Etat et les terres sont uniquement à vocation agricole. Nous avons en charge la gestion de l’eau, parce que l’ON entretient les réseaux hydrauliques et offre l’eau aux producteurs. Ce qui fait que les producteurs paient ce qu’on appelle la redevance-eau. Les taxes foncières sont du ressort des Domaines et je crois qu’il y a une décision qui a été prise par rapport à l’impôt sur les terres.
Quelle est votre stratégie de développement à court et moyen termes ?
La stratégie consiste à intensifier la culture locomotive qui est le riz. Le niveau de rendement est acceptable, mais on peut faire mieux en utilisant de nouvelles variétés. Avec la recherche, nous travaillons sur les hybrides de riz pour contribuer à la sécurité alimentaire. Il s’agit aussi de développer le maraîchage en mettant à la disposition des paysans des moyens de transformation. Puisque l’Office est basé sur les exploitations familiales, il faut moderniser ces exploitations, utiliser et intensifier les techniques innovantes et installer les grands privés. Il faut veiller à l’entretien du barrage afin qu’il fonctionne correctement et former les agents pour mieux gérer l’eau au niveau des paysans. Puisque l’eau se fait rare, il faut encourager la culture des légumineuses. Je souhaite que l’ON devienne le grenier de l’Afrique. Il s’agit de transformer les objectifs en réalité.
Propos recueillis par Fatoumata MAÏGA
Source : L’Essor