Coup d’État au Mali ! Sans surprise. Car, à maints égards, prédictible. Seule la Cedeao ne l’a pas vu venir. Et comme chacun sait, elle n’a pas de nez (organe olfactif) et moins encore de mémoire (siège de l’expérience).
La conjugaison des faits fut simple : au plus-que-parfait de l’indicatif. Comment donc ? Tout d’abord, pas une goutte de sang versée. Aucune gifle donnée. Nulle insulte entendue. Ensuite, parce que tous les protagonistes furent dignes : le peuple en liesse, et ce sans esprit de vengeance malgré la tuerie des 10 et 11 juillet derniers qui fera plus de onze morts et plus de 140 blessés ; les mutins, sereins et sûrs de leur acte militaire, et un Chef d’état arrêté mais placide et sans rancune. Un Premier ministre hagard, au regard faible et absent. Les pillages (en zone urbaine) ont été de très basse intensité et de courte durée.
Ainsi, dans la typologie des coups d’état en Afrique, cet «événement» constitue un véritable cas d’école. C’est, pourrait-on dire, et cela en un mot, un coup d’état élégant voire avenant. Sous ce rapport, un fait peu remarqué reste sublime et caractéristique : le protocole d’arrestation simultanée du Président de la République et de son Premier ministre n’eut presque pas de différence avec les règles du Protocole d’État. Un même protocole présida à deux faits de nature pourtant distincte et opposée. Bravo aux militaires ! Ils n’auront exécuté qu’un coup d’état digne, de bout en bout.
C’est que toute mise en œuvre d’un plan doit être art, tèchné, « savoir-faire ». Sun Tzu parle de stratégie. Ce coup d’état fut certes « parfait » mais, et bien plus encore, conjugué au plus-que-parfait de l’indicatif. D’une façon générale, dans un même ordre d’idées, le plus-que- parfait qualifie le lien (rapport) entre deux actions successives mais dont l’une est antérieure (intervalle de temps) à l’autre qui, elle-même, est déjà passée. Un exemple d’énoncé, parmi tant d’autres, au plus-que-parfait : «si IBK avait écouté le peuple malien, il serait toujours Président et non mis en sûreté».
Mais, usé par un état de santé précaire, dit-on, et harcelé par ses « têtes chaudes », il aura préféré écouter son Premier ministre et son redouté fils qui, trois fois hélas, n’entendent rien au fait que la conjugaison est la grammaire du verbe, comme dit l’adage. Gouverner, ce n’est pas seulement prévoir, comme on l’affirme généralement, mais plutôt savoir conjuguer. Car c’est dans la conjugaison que réside le ou tout «prévoir». Ce n’est pas sans malice que Bossuet, précepteur des Princes, insistera sur la science des temps. Une « oreille circoncise»
entend doublement sa fine formule : le temps, ici, est le temps politique (le kairos des Grecs) et aussi plus simplement quoique difficile le temps de la conjugaison.
En somme, le plus-que-parfait de l’indicatif décrit l’antériorité d’une action par rapport à une action passée. Qu’est-ce-à-dire, dans le cas qui nous occupe ? L’action antérieure est ici la série ordonnée des manifestations populaires, pacifiques et grandioses sous la conduite du M5 qui, en trois mois, a vidé l’État de toute substance et de toute crédibilité. L’État mis en place par le régime IBK n’était plus une instance éthique (Hegel) mais une coquille vide. L’action passée sera le renversement en douceur du régime IBK par les gradés militaires. En d’autres termes, dans «l’événement», selon le séquençage des faits, l’antérieur qui précède le passé est l’optique explicative qui rend compte du fait que les militaires n’ont pu procéder avec élégance que parce que le peuple avait achevé le régime en place. C’est un régime mort que les militaires ont porté en tombe. Un régime vicié dès le départ. Car, ne l’oublions pas, dès le début de son premier mandat le Président IBK faillira, en confondant famille et institutions. En effet, comme Président de la République et chef de l’État (donc de l’Exécutif), il eut l’incroyable faiblesse de faire élire le beau-père de son fils à la tête de l’Assemblée nationale : ainsi famille et État se confondirent dès le début, avec pour corollaire la corruption qui enrichira une poignée, appauvrissant une grande majorité et réduisant l’Armée à n’être qu’une vaste opportunité de gabegie. L’état fut privatisé. Dès cet instant-là, la république était mort-née.
C’est seulement au moment de leur arrestation que le Président et son Premier ministre prendront conscience de cela, c’est-à-dire du fait que tout était bien «fini» pour eux. Les militaires n’eurent pas à «balayer» un régime corrodé de l’intérieur même par les frasques et les délires d’un clan à la tête duquel était le fils choyé et qui avait, sous ses ordres, un Premier ministre immature qui crut, bien naïvement, que le président Emmanuel Macron ferait de lui le prochain Président malien : aucune résistance, nul appui. Le peuple malien et ses militaires ont montré que, désormais, c’est au Mali que se déciderait le sort du Mali.
Selon tous ces aspects protocolaires et populaires, on peut qualifier ce coup d’état de «parfait». Mais en quel sens ? Gabriel Naudé, auteur oublié des Considérations politiques sur les coups d’état, en a dressé une typologie qui va du coup d’état le plus banal au « parfait », qu’il définit comme celui où le renversement d’un régime implique le peuple comme acteur majeur, essentiel et déterminant. Cette antériorité et la participation directe du peuple malien a relevé un coup d’état ordinaire en une œuvre politique « parfaite ». C’est pourquoi le Cedeao n’a pas d’autre issue que de l’admettre en tant que tel même si, tétanisée au départ, elle finira par en admettre la justesse, la justice, l’habilité, la nécessité et l’élégance. Le président Ibrahima Boubacar Kéita comprendra bien avant cette institution sous-régionale la nature adéquate de ce coup d’état.
Au Mali, une révolution qui est en cours. Et comme le dira le député Isnard, formidable orateur lors des événements français de 1789, «un peuple en état de révolution est invincible». Un autre Mali semble naître, qui arrêtera sa partition secrète en quatre pays. Et c’est cela qu’il faut saluer ! Toute notre ovation au peuple malien. Une aube nouvelle perce la nuit en Afrique de l’ouest. Malheur à qui ne le comprend pas !
Dr. Pierre Franklin Tavares Épinay
Afrimag