L’arrivée d’un groupe de personnes 86 dans les locaux de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), le 28 juillet dernier, a mis au jour l’ampleur d’une pratique sinistre dans la région de Kayes : l’esclavagisme.
Je n’aurais jamais pu imaginer que dans un coin du Mali, des personnes pouvaient être encore réduites à l’esclavage. Mais, c’était sans compter sur la volonté de certains individus à vouloir toujours en maintenir d’autres sous leur joug. C’est malheureusement ce qui se passe dans certaines localités de la première région administrative, Kayes, située à environ 600 km de Bamako, la capitale, dans le nord-ouest.
« La personne humaine est sacrée et inviolable. Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne », stipule pourtant l’article 1 de la Constitution malienne du 25 février 1992. Le 2è article va plus loin : « Toute discrimination fondée sur l’origine sociale, la couleur, la langue, la race, le sexe, la religion et l’opinion politique est prohibée ».
Tous sur le même pied d’égalité ! C’est exactement ce que l’ensemble des Maliens ont voulu en adoptant, il y a 27 ans, la Constitution. Alors, qu’est-ce qui empêche les autorités d’agir, au mieux de sanctionner ceux qui réduisent d’autres Maliens à l’esclavage.
Des scènes insoutenables
Dans la région de Kayes, ceux qui sont considérés comme esclaves n’ont aucun droit. Ils sont violentés au su et au vu des forces de l’ordre. « Desdizaines de gaillards s’en sont pris à mon cousin, l’ont roué de coups tout en filmant la scène. Son seul crime : refuser d’assumer qu’il est esclave », explique Daouda Traoré, habitant de Nioro du Sahel, dans la région de Kayes. Pire, le sexagénaire Youssouf Sissoko a été convoqué chez le préfet. Le verdict est sans appel : ses enfants doivent obligatoirement travailler et sans contrepartie dans le champ de ses maîtres tous les samedis.
Au lieu de sanctionner, le premier représentant de l’État aurait plutôt cautionné. Ceux qui s’y opposent sont emprisonnés. « J’ai alerté, je suis tout le temps sur les antennes, j’ai même été emprisonné pendant 27 jours, et même là ma vie est en danger », explique Cheik Oumar Diarra, un ressortissant de la région, basé à Bamako. Pour lui, cette pratique perdure parce que les autorités n’agissent pas. « Ils en sont complices par leur passivité ».
Diakaridja Coulibaly travaille à Nioro depuis 6 ans. Il décrit la cruauté avec laquelle les supposés descendants d’esclaves sont traités : « Oui, il y a bien des personnes qui sont considérées comme esclaves ici. Chaque grande famille à Nioro du Sahel possède des esclaves. Les hommes sont leur portefaix, qui font tout. Les femmes, des fois, sont des objets de plaisir sexuel. Ils couchent avec elles comme bon leur semble », témoigne ce charpentier.
Plusieurs personnes affirment avoir été interdites d’enterrer leurs parents au cimetière : ils sont obligés de les inhumer dans leur concession où ils habitent. Ceux qui refusent de se soumettre sont persécutés et forcés à l’exil. J’imagine à peine l’existence de telles pratiques sous nos cieux.
Risque de révolte
L’État doit être le justicier entre le fort et le faible, appliquer la loi comme il se doit. Sinon à quoi bon appartenir à un État qui ne protège pas lorsque les droits les plus fondamentaux sont violés ?
Aujourd’hui, l’État à travers ses démembrements doit s’employer à lutter contre ce phénomène. Mais la société doit également cesser de se taire face à ces pratiques, qui sont de nature à mettre à mal le vivre ensemble. Des pratiques qui peuvent pousser les opprimés à prendre des armes contre leurs bourreaux.
Le gouverneur de la région avait promis un forum sur la question. Le ministre de la Justice a aussi ouvert une enquête. Mais les lignes n’ont pas bougé. Pour maintenir le peu de cohésion sociale qui existe entre les communautés, l’État doit agir, et la population se mobiliser.
Source: Benbere