L’accession de proches du président de la république (PR) à des mandats électifs, ses nombreux déplacements à l’étranger, les arrestations et poursuites judiciaires en cours, le dossier de Kidal et les négociations avec le MNLA, le remaniement ministériel toujours attendu après les élections législatives, les luttes d’influence supposées ou réelles entre le Premier Ministre (PM) et des caciques du RPM, les récentes informations parues dans le journal « Le Monde », sont des sujets qui défraient actuellement la chronique. Autant certains chroniqueurs épinglent sans ménagement le PR et le gouvernement, autant d’autres sont plus mesurés évoquant le temps et les urgences du moment. Exercice normal de la liberté d’expression pourrait-on dire, sauf que les débats pourtant si hautement politiques se sont transportés dans la presse et dans les « grins », ces regroupements de fait très actifs mais sans impact légal. Une opposition politique responsable, celle qui prétend représenter une alternative crédible au pouvoir, se doit d’aider l’opinion à se forger en adoptant une posture de vigilance, de prise de parole dans un esprit républicain au lieu de céder la place à la rumeur. En effet, les débats de « grins » volent tellement haut ou tellement bas entre l’utile et le futile qu’il est difficile de s’y retrouver.
La rumeur : moyen de diversion ou de déstabilisation ?
En politique comme à la guerre, la communication reste l’arme la plus redoutable et les fautes de communication sont difficiles à rattraper. La bonne communication permet d’anticiper sur le cours des évènements pour ne pas avoir à les subir, de prendre une longueur d’avance sur l’opposition pour mieux contrôler les débats. Aujourd’hui, tout finit par se savoir et ne pas prendre les devants, c’est laisser le terrain à d’autres qui pourraient orienter l’information au service d’objectifs peu avouables. L’opinion publique est généralement versatile dans les jeunes nations démocratiques et à force d’entendre certaines informations, le doute finit par s’installer chez même les partisans les plus aguerris. Il faut prendre au sérieux les attaques et se garder de les balayer d’un simple revers de la main au motif qu’il s’agit d’un tissu de mensonges. La résistance au changement est aujourd’hui tangible et elle emprunte les voies les plus perfides pour s’attaquer au cœur du système.
A quoi doit-on s’attendre si l’on choisit de faire monter tout le monde sur l’arbre de la transparence ? Que ceux dont les fonds de culotte sont troués applaudissent ? En décidant que le dossier du MNLA sera traité en interne dans un cadre national, que peut-on attendre de ceux qui rêvent d’en tirer des retombées? De grands bouleversements étant en cours, tout sera mis en œuvre par ceux qui se sentent menacés pour desserrer l’étau. Malgré leurs déclarations en faveur de l’unicité du Mali, les parrains du MNLA maintiendront le mouvement en vie pour les besoins d’un chantage dont les contours sont désormais nettement visibles. Il faut se donner les moyens d’y faire face sereinement, sans faiblesse et sans état d’âme parce que telle
est la volonté de la majorité des Maliens.
Les contre-feux allumés ainsi que les tentatives de déstabilisation sont des moyens tout indiqués pour ceux dont les intérêts sont menacés. Vouloir s’affirmer et affirmer l’indépendance de son pays comporte effectivement des risques. S’affirmer et prôner la bonne gouvernance, c’est fatalement porter un coup d’arrêt à de nombreuses ambitions et pratiques. Affirmer l’indépendance de son pays, c’est refuser de suivre aveuglément les prescriptions des grands donneurs d’ordre et donc contrarier des intérêts importants. Ce qui se passe en ce moment n’est peut-être que le premier coup de semonce. Leurs relais médiatiques viennent d’emboucher les trompettes de Jéricho contre le président IBK en attendant la prochaine attaque. La vigilance doit être de mise car une minorité active disposant de moyens acquis Dieu seul sait comment peut avoir une grande capacité de nuisance en cette période délicate où plusieurs fronts ont été ouverts en même temps par le gouvernement, notamment ceux des anciens dignitaires, des magistrats et des militaires. Il ne faut ni minimiser les attaques, ni snober leurs auteurs parce que l’eau qui tombe goutte après goutte finit par percer le rocher le plus dur. La bataille engagée est d’abord la bataille pour le retournement de l’opinion et il faut y faire face avec tout le sérieux requis, le concours d’hommes et de femmes rompus à ce type d’exercice. Que les critiques portent sur la compétence et la moralité des responsables peut se comprendre mais vouloir trouver des poux sur la tête d’un chauve en plein jour relève de la sorcellerie. Ceux qui ont décidé de faire fondre la citadelle des 77% de voix ne s’arrêteront certainement pas en si bon chemin. C’est pourquoi, il faut veiller à ce que le PM ait une bonne maîtrise de toute son équipe dans le cadre d’un gouvernement de combat bien soudé pouvant créer autour du PR un véritable bouclier, et dont le credo sera : travailler sans cesse, bien travailler et le faire savoir.
Le profil du bon premier ministre
A partir de son accession à la magistrature suprême, le candidat élu cesse d’être l’homme d’un parti. Il doit rester au dessus de la mêlée pour se consacrer à l’orientation et au contrôle de l’action gouvernementale dans la perspective de la mise en œuvre du programme sur la base duquel il a été élu. La réalisation de ce programme est confiée au gouvernement, ce qui fait du PM un homme clé en cette situation de sortie de crise et de rupture de gouvernance. Celui-ci doit obligatoirement remplir certaines conditions : être compétent, rassurer les institutions financières, rassurer les Maliens par sa bonne moralité et avoir un poids politique.
Le parti du président dispose-t-il d’un cadre présentant un tel profil ? Sans y répondre directement, on notera qu’en choisissant le PM actuel, il a donné sa préférence à un homme en dehors de sa famille politique qui remplit effectivement les trois premières conditions. Economiste, banquier, cadre de haut niveau de la BCEAO, il fait l’affaire des bailleurs de fonds qui trouvent en lui un interlocuteur avisé et il ne semble traîner aucune casserole dans ce Mali des affaires purulentes auquel le PR veut justement s’attaquer. Il y a cependant un hic. Le PM est un nain politique alors que la pratique gouvernementale malienne fait la part belle aux politiques dans l’attribution des portefeuilles ministériels. Presque tous les membres des gouvernements successifs ont été des responsables bien en vue des formations politiques. C’est donc au manque d’armature politique du PM, son véritable talon d’Achille, que le PR doit s’attaquer dans l’urgence. Plusieurs éventualités existent au nombre desquelles lui trouver au moins une place de vice-président dans le Bureau. Les responsables du parti présidentiel placés devant leurs responsabilités proposeront en interne une personne avec le bon profil ou ils soutiendront à fond le choix du PR pour que le PM ne soit plus perçu comme un intrus. Celui-ci disposerait ainsi des moyens politiques nécessaires à sa mission, occuperait la première ligne de défense pendant que le PR apparaîtrait comme le garant moral de l’action gouvernementale. Si les Etats eux-mêmes accordent couramment leur nationalité à des non nationaux jugés aptes à leur apporter des services éminents, pour ce qui est de l’obtention de la carte d’un parti politique, une proposition du président appuyée par le Bureau devrait suffire.
L’opposition politique doit prendre toute sa place en se prononçant régulièrement sur les grands dossiers. A défaut, elle ferait le lit de la rumeur qui a ceci de pernicieux que ses victimes se comptent aussi bien dans le camp majoritaire que dans les rangs de l’opposition. Laisser prospérer la rumeur comme moyen de mettre un adversaire politique en difficulté relève de la cécité politique parce qu’en définitive, on ne gagne jamais au change.
Mahamadou CAMARA
camara_m2006@yahoo.fr
SOURCE: Canard Déchainé