Au Mali, il ne fait pas bon critiquer le capitaine Sanogo. La preuve en est, l’arrestation, le 6 mars dernier, du directeur du journal Le Républicain, qui avait publié une lettre ouverte de soldats contre l’ancien chef putschiste. Un an après son coup d’Etat, le capitaine Sanogo est-il toujours l’homme fort de Bamako ? Depuis Dakar, Gilles Yabi, directeur du projet Afrique de l’Ouest de l’ONG International Crisis Group (ICG), analyse la situation.
RFI : « Pas touche au capitaine Sanogo », disent les autorités maliennes. Un journaliste de Bamako l’a appris à ses dépens. Est-ce que le chef putschiste ne reste pas l’homme fort de Bamako ?
Gilles Yabi : Je ne pense pas. Il y a quand même eu beaucoup de développement depuis le coup d’Etat de mars 2012. Aujourd’hui, le capitaine Sanogo a perdu une partie significative de son influence. Mais évidemment, réduction de l’influence ne veut pas dire élimination de l’influence et neutralisation politique totale du capitaine Sanogo et de la junte qui a fait le coup d’Etat l’année dernière.
L’arrestation du directeur du journal Le Républicain, Boukary Daou, n’est-elle pas la preuve qu’il a toujours la main sur l’appareil sécuritaire ?
C’est la preuve que son influence existe toujours. Mais il ne faut pas oublier que le capitaine Sanogo a nommé les chefs d’état-major des différents corps des forces maliennes, qu’il a également nommé les chefs du service de renseignements, la fameuse sécurité d’Etat à Bamako. Ces personnes lui sont donc toujours redevables. Forcément, on est également dans un contexte où le président Dioncounda Traoré a certes été renforcé par l’intervention militaire française, mais il cherche toujours à ménager le capitaine Sanogo dans cette phase de la transition.
Beaucoup disent que pour l’instant, le capitaine Sanogo fait profil bas, mais qu’en réalité, il ne renonce pas et que dès que les troupes étrangères seront parties, il tentera de reprendre la main.
Le coup d’Etat était davantage la conséquence d’une crise de la gouvernance du secteur de la sécurité et de la gouvernance du pays pendant des années, que, au fond, l’élément déclencheur de cette crise. Le résultat, c’est qu’aujourd’hui la classe politique civile est décrédibilisée. Tant que la classe politique n’occupe pas l’espace politique, cela laisse la possibilité au capitaine Sanogo et à d’autres militaires d’occuper cet espace et de s’opposer à l’alternative à la classe politique. Cela peut effectivement toujours donner une place aux militaires.
Cela étant, le capitaine Sanogo, contrairement à d’autres capitaines dans la région qui ont pu prendre le pouvoir, est conscient de la réaction des partenaires internationaux et régionaux qui lui sont extrêmement hostiles, qui ne vont pas accepter qu’il puisse revenir, en tout cas au premier plan politique, à court ou à moyen terme.
Il paraît qu’entre eux, les lieutenants du capitaine Sanogo se disent : « En Mauritanie et au Niger, nos frères d’armes putschistes ont pu gouverner pendant au moins un an et se constituer un petit capital, pourquoi pas nous ? On n’a pas fait tout cela pour revenir au point de départ. »
Il y a des frustrations très claires aujourd’hui au sein de l’ex-junte. Elles sont liées au sentiment d’avoir fait un coup d’Etat, d’avoir dénoncé les responsables politiques – notamment l’ancien président Amadou Toumani Touré, mais également tous les acteurs politiques principaux des dernières années -, et finalement de voir revenir au premier plan ces acteurs politiques-là et y compris le président intérimaire Dioncounda Traoré.
Evidemment, il y a aussi la perception de risque que les élections organisées rapidement n’induisent finalement pas un changement important au niveau de la classe dirigeante du pays. Il y a donc cette frustration. Mais, à nouveau, on est dans un processus malien qui est quand même très internationalisé maintenant, avec une opération de maintien de la paix de l’ONU qui va se mettre en place. Dans ce dispositif-là, il sera difficile au capitaine Sanogo et aux éléments de la junte de résister et d’imposer leur vision.
Mais cette force internationale, dans un an ou deux, sera partie. Est-ce que d’ici là la Misma n’a pas intérêt à neutraliser les quelque 400 militaires qui sévissent au camp militaire de Kati ?
Bien entendu. De toute façon, il y a beaucoup de défis qui se posent aux partenaires internationaux du Mali. Parmi ces défis, il y a la réforme du secteur de la sécurité. Ce n’est pas un comité militaire de réformes qui va faire cela et certainement pas un comité dirigé par le capitaine Sanogo. Tout dépendra de l’accompagnement international qui sera mis en place. Il y a aujourd’hui la possibilité de neutraliser progressivement l’influence de la junte.
La communauté internationale compte beaucoup sur la future élection présidentielle pour qu’arrive au pouvoir un président légitime qui s’imposera naturellement à tous. Mais est-ce qu’elle ne se trompe pas ?
C’est une question délicate. Je crois qu’il y a vraiment de solides raisons pour parvenir à des élections rapidement. En même temps, les élections rapidement, ce n’est pas à n’importe quel prix. L’échéance de juillet pour organiser ces élections me semble très ambitieuse et pas très réaliste, et peut-être pas très souhaitable. Mais évidemment, l’échéance pourrait être simplement trois mois plus tard, peut-être à la sortie de la saison des pluies.
Cela pourrait laisser davantage de temps, non seulement pour la sécurisation du territoire du nord du pays qui n’est pas totale, mais également laisser du temps pour créer des conditions psychologiques qui soient favorables à l’organisation d’une campagne électorale et pour que les populations maliennes sentent réellement que les élections font partie du processus de sortie de crise. C’est un pays, tout de même, où les taux de participation aux élections ont été beaucoup plus bas que ce qu’on observe dans les pays voisins d’Afrique de l’Ouest.
Est-ce qu’il faut réconcilier les communautés avant les élections ou peut-on faire les deux choses en même temps ?
Il faut réconcilier dès maintenant. Il faut entreprendre dès maintenant. Et surtout il faut s’assurer qu’on ne fasse rien qui aggrave la rupture de confiance qui existe déjà entre les communautés. C’est pour cela que la mise en place de cette Commission dialogue et de réconciliation est extrêmement importante. Il est nécessaire d’avoir très rapidement la composition de cette Commission et d’entreprendre un travail qui pourrait commencer à la base, localité par localité. Car il y a des différences importantes d’une région à l’autre, et même d’un cercle de régions à l’autre, en terme de crispations et en terme d’évolution des rapports de forces entre les communautés pendant les neuf mois d’occupation par les forces du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) d’abord et ensuite par les forces jihadistes.
Par Christophe Boisbouvier