Fatoumata Coulibaly : Au début des années 1990, le Mali faisait en effet figure d’exception au sud du Sahara. Pionnier du mouvement de démocratisation qui a touché le continent africain dans les années 1980-1990, il apparaissait comme l’un des seuls États où l’espoir des conférences nationales du début des années 1990 n’était pas retombé.
Depuis 1992, le Mali a organisé des élections globalement concurrentielles, multipartistes, et dont les résultats incertains ont été acceptés par les perdants. De plus, la présidentialisation du régime malien (confirmée en 2007) s’est accompagnée d’un mouvement original de décentralisation.
Naguère modèle de démocratie africaine, le Mali s’enfonce dans l’instabilité politique depuis le coup d’Etat perpétré par la junte militaire en 2012. Et bien avant la tentative d’invasion djihadiste qui a éclaté ensuite dans le nord du pays, la situation suscitait déjà de vives critiques et de nombreuses interrogations. Beaucoup dénonçaient alors la montée croissante de la corruption ou encore du népotisme, alors même que les populations faisaient face à d’importantes difficultés socio-économiques.
A partir de là, la République s’est trouvée confrontée à une crise sans précédent dont elle peine encore à sortir. Et malgré la signature en 2015 d’un accord de paix à l’issue du processus d’Alger, la crise, qui comporte également une forte dimension internationale, perdure non seulement dans le nord du pays, mais s’étend désormais aux régions du centre.
Aujourd’hui, l’État remplit avec difficultés ses fonctions régaliennes et ne parvient plus totalement à donner une image cohésive du pays qui engloberait toutes ses composantes sociales et culturelles.
[…] Les militaires ne semblent pas avoir anticipé la mutinerie ; c’est sans doute la raison pour laquelle ils ne disposent pas d’un projet cohérent pour organiser la transition politique.
Fatoumata Coulibaly, enseignante-chercheuse à l’Université des sciences sociales et de gestion de Bamako
TV5MONDE : Comme lors du coup d’État de mars 2012, les militaires responsables du putsch actuel promettent le retour du pouvoir aux civils. Les deux situations sont-elles similaires ? Et selon vous, le risque terroriste est-il plus accru aujourd’hui ?
Fatoumata Coulibaly : Dans le fond les deux situations sont différentes, même si elles présentent quelques similitudes. En 2012, Amadou Konaré, le porte-parole du CNRDRE, le Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État, a justifié le coup d’État par « l’incapacité du gouvernement à donner aux forces armées les moyens nécessaires de défendre l’intégrité de notre territoire national ».
Il avait alors précisé que le CNRDRE prenait « l’engagement solennel de restituer le pouvoir a un président démocratiquement élu dès que l’unité nationale et l’intégrité territoriale seront rétablies ».
Après le coup d’État militaire qui a entraîné la démission du président malien Ibrahim Boubacar Keïta, de nombreuses questions restent en suspens et les putschistes sont plus que jamais sous la pression de la communauté internationale. Enseignante-chercheuse à l’Université des sciences sociales et de gestion de Bamako, Fatoumata Coulibaly analyse pour nous la situation et esquisse les contours d’une sortie de crise pérenne.
TV5MONDE : Le Mali a longtemps été présenté comme le bon élève du processus de démocratisation. Comment expliquez-vous que le pays soit aujourd’hui englué dans une crise multiforme et durable ?
Fatoumata Coulibaly : Au début des années 1990, le Mali faisait en effet figure d’exception au sud du Sahara. Pionnier du mouvement de démocratisation qui a touché le continent africain dans les années 1980-1990, il apparaissait comme l’un des seuls États où l’espoir des conférences nationales du début des années 1990 n’était pas retombé.
Depuis 1992, le Mali a organisé des élections globalement concurrentielles, multipartistes, et dont les résultats incertains ont été acceptés par les perdants. De plus, la présidentialisation du régime malien (confirmée en 2007) s’est accompagnée d’un mouvement original de décentralisation.
Naguère modèle de démocratie africaine, le Mali s’enfonce dans l’instabilité politique depuis le coup d’Etat perpétré par la junte militaire en 2012. Et bien avant la tentative d’invasion djihadiste qui a éclaté ensuite dans le nord du pays, la situation suscitait déjà de vives critiques et de nombreuses interrogations. Beaucoup dénonçaient alors la montée croissante de la corruption ou encore du népotisme, alors même que les populations faisaient face à d’importantes difficultés socio-économiques.
A partir de là, la République s’est trouvée confrontée à une crise sans précédent dont elle peine encore à sortir. Et malgré la signature en 2015 d’un accord de paix à l’issue du processus d’Alger, la crise, qui comporte également une forte dimension internationale, perdure non seulement dans le nord du pays, mais s’étend désormais aux régions du centre.
Aujourd’hui, l’État remplit avec difficultés ses fonctions régaliennes et ne parvient plus totalement à donner une image cohésive du pays qui engloberait toutes ses composantes sociales et culturelles.
[…] Les militaires ne semblent pas avoir anticipé la mutinerie ; c’est sans doute la raison pour laquelle ils ne disposent pas d’un projet cohérent pour organiser la transition politique.
Fatoumata Coulibaly, enseignante-chercheuse à l’Université des sciences sociales et de gestion de Bamako
TV5MONDE : Comme lors du coup d’État de mars 2012, les militaires responsables du putsch actuel promettent le retour du pouvoir aux civils. Les deux situations sont-elles similaires ? Et selon vous, le risque terroriste est-il plus accru aujourd’hui ?
Fatoumata Coulibaly : Dans le fond les deux situations sont différentes, même si elles présentent quelques similitudes. En 2012, Amadou Konaré, le porte-parole du CNRDRE, le Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État, a justifié le coup d’État par « l’incapacité du gouvernement à donner aux forces armées les moyens nécessaires de défendre l’intégrité de notre territoire national ».
Il avait alors précisé que le CNRDRE prenait « l’engagement solennel de restituer le pouvoir a un président démocratiquement élu dès que l’unité nationale et l’intégrité territoriale seront rétablies ».
L’actuel coup d’Etat est avant tout lié à un véritable problème de gouvernance. Mais dans les deux cas, les militaires ne semblent pas avoir anticipé la mutinerie ; c’est sans doute la raison pour laquelle ils ne disposent pas d’un projet cohérent pour organiser la transition politique.
La situation me paraît donc complexe et délicate, au moment même où l’ennemi terroriste est partout, au nord, au centre, voire au sud du pays. J’ajoute que les populations locales n’ont pas oublié la dictature militaire du général Moussa Traoré (au pouvoir de 1968 à 1991, ndlr). Je ne suis donc pas certaine qu’elles soient disposées à laisser des militaires au pouvoir.
Et dans un tel contexte, le danger terroriste est bien sûr accru ; la situation de fragilité dans laquelle se troupe le pays à l’heure actuelle pourrait en effet inciter les terroristes à s’engouffrer dans les failles qui peuvent apparaître ça et là. D’où la nécessité d’un retour immédiat à l’ordre constitutionnel.
TV5MONDE : Contrairement aux militaires, le M5-RFP, le mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques, emmené par l’imam Mahmoud Dicko, n’est pas parvenu à faire partir le président Ibrahim Boubacar Keïta, malgré des semaines de manifestations populaires. Comment sortir de cette crise politique aujourd’hui ?
Fatoumata Coulibaly : Précisons pour commencer que si le M5-RFP, mouvement par essence hétéroclite constitué de leaders politiques, religieux ou encore de la société civile, est parvenu à se mettre d’accord sur le mot d’ordre du départ du président Ibrahim Boubacar Keïta, c’est la preuve que le pays vivait une réelle crise de gouvernance.
Il n’est d’ailleurs pas étonnant que le gouvernement ait eu tant de mal à dialoguer avec le M5-RFP. Là, les militaires ont rencontré l’imam Mahmoud Dicko, ce qui suppose probablement que l’on pourrait se diriger vers une réelle transition politique avec notamment l’implication de la société civile.
Par ailleurs, dans son discours à la télévision publique malienne, le porte-parole des putschistes a mentionné l’ouverture de discussions avec les acteurs de l’accord d’Alger. Une annonce qui à ce stade montre la volonté des putschistes de travailler à la mise en oeuvre d’un processus qui est au point mort depuis huit ans.
Mais pour sortir de cette crise de façon pérenne, il faut d’abord un retour à l’ordre constitutionnel, notamment à travers l’organisation d’élections libres et transparentes – présidentielle et législatives. Ensuite, il faudra sans doute une mise à plat du système politique malien, ce qui suppose d’aller vers une quatrième république et une refonte de la Constitution.
TV5MONDE