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Mali, l’armée française s’enlise

Soupçonnée par les mouvements rebelles du nord d’être impliquée dans l’assassinat d’un chef militaire touareg, l’armée française fait face à une impopularité croissante dans la zone. Le tout sur fond d’enrayement du processus de paix.

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Cibles d’attaques terroristes régulières dans le nord du Mali, les militaires français de l’opération Barkhane sont désormais sous le feu d’une campagne de dénigrement explosive.

A Kidal, fief des ex mouvements rebelles, les manifestations d’hostilité vis-à-vis de la France se multiplient depuis deux semaines. Sur les murs de la ville, des slogans anti français ont fait leur apparition à l’instar d’un « C’est la France les terroristes ». Dimanche 16 octobre, des habitants de la localité ont par ailleurs défilé dans les rues pour demander le départ des troupes françaises.

Des soupçons contre Barkhane

Critiquée à plusieurs reprises auparavant, l’armée française fait cette fois l’objet d’une polémique particulièrement venimeuse au nord du pays. Les ex mouvements rebelles et plusieurs franges de la population de Kidal la soupçonne en effet d’être impliquée dans l’assassinat du leader touareg Cheikh Ag Aoussa le 8 octobre. Tué dans l’explosion de son véhicule au sortir d’une réunion tenue dans le camp de la Minusma à Kidal, la mort de cette figure militaire très respectée, chef d’état-major du Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) et membre de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), a fait l’effet d’un séisme dans la communauté touareg.

L’hypothèse – très relayée aujourd’hui à Kidal – d’une mise en cause de Barkhane dans cet attentat est née des circonstances troubles de la mort d’Ag Aoussa. Des enquêteurs de la CMA ont notamment rapporté avoir retrouvé, sur le véhicule calciné, une base magnétique qui aurait servi a fixé un engin explosif. De quoi étayer la thèse d’une attaque ciblée affirment les leaders de la CMA. Or, précise une source sécuritaire, « ce type matériel ne peut provenir que de services étrangers ou de groupes terroristes très équipés ». « Les soupçons contre la France ont ensuite proliféré à cause des liens particuliers qu’il entretenait avec l’armée française » ajoute la même source.

Cousin du’Iyad Ag Galy, le chef terroriste d’Ansar Eddine, et membre de la tribu touareg des Ifoghas majoritaires à Kidal, Cheikh Ag Aoussa était connu pour sa proximité avec les militaires français auxquels ils fournissait des informations sur le terrain. Il aurait notamment contribué à localiser Iyad Ag Galy aux confins du Sahel tout en préservant ses liens avec plusieurs lieutenants d’Ansar Eddine. Une double casquette qui lui a valu des soupçons de complicité dans les deux camps. « Côté français, beaucoup pensaient qu’il protégeait en réalité son cousin » assure un fin connaisseur du nord Mali.

Répandues chez les ex rebelles de la CMA qui ont déploré que Barkhane, contrairement à la Minusma, n’ait pas réagi à la mort de Cheikh Ag Aoussa, les accusations contre la France n’ont pas tardé à être reprises ouvertement par les groupes terroristes actifs dans la zone. Quelques jours après l’attaque du 8 octobre, un communiqué attribué au chef terroriste de la katiba Al-Mourabitoune dirigée par Mokhtar Belmokhtar – dont la mort a plusieurs fois été annoncée sans jamais être prouvée – et diffusé sur internet accusait la France d’être responsable de la mort du chef touareg. Une stratégie destinée à attirer la confiance de tribus locales à l’heure où l’ex rébellion se montre de plus en plus méfiante à l’égard de l’armée française.

Le divorce avec les groupes du nord

Autrefois perçus comme des alliés des groupes du nord, les militaires de Barkhane ont en effet récemment multiplié les signes de rapprochement avec Bamako. Le 7 septembre dernier, des habitants de la localité de Ber, important bastion de la CMA à la croisée des routes de la drogue dans le Sahara, avaient vivement protesté contre Barkhane dont les responsables avaient exigé de laisser l’armée malienne pénétrer dans la ville. Une demande qui avait provoqué un vent de colère dans les rangs de l’ex rébellion.

La collaboration en matière de renseignements avec le Mouvement national de lutte pour l’Azawad (MNLA), en proie à d’intenses luttes intestines, s’est par ailleurs considérablement affaiblie ces derniers temps.

Côté français, on cache surtout de moins en moins l’exaspération suscitée par la duplicité de certains groupes du nord. Le HCUA tenu par d’anciens lieutenants du chef terroriste Iyad Ag Galy inspire de moins en moins confiance concède t-on à Paris. D’après une source sécuritaire, ces derniers ont d’ailleurs tout récemment intensifié leurs contacts avec Iyad.

Reste que cette prise de distance entre l’armée française et l’ex rebellion a contribué à intensifier les accusations en tout genre contre Paris désormais pointé du doigt dans un assassinat ciblé. Une situation périlleuse pour les militaires français pris en étau entre les groupes du nord et Bamako dont les autorités n’ont pas manqué de faire étalage de leurs nouveaux liens avec Barkhane dans la presse. Au risque d’alimenter les accusations de complicités de la France avec l’armée malienne et les milices qui lui sont rattachées comme le Gatia coupables d’exactions et d’arrestations arbitraires contre les populations de cette zone.

Une mosaïque de seigneurs de guerre

Aux déboires militaires s’ajoute l’enlisement profond du processus de paix dont chacun tente de récolter les dividendes économiques et territoriaux. Prévue par les accords signés à Bamako en juin 2015, la mise en place d’autorités intérimaires fait l’objet de controverses houleuses. Jugées non paritaires et largement favorables aux représentants des autorités centrales, les listes validées le 14 octobre par le ministre de la Décentralisation Mohamed Ag Erlaf ont suscité une levée de bouclier de la part de la CMA.

Cette dernière est elle-même totalement fracturée. Accusée de représenter majoritairement la tribu des Ifoghas au détriment d’autres groupes touaregs, la CMA a connu ces derniers mois de multiples désertions au point que de nombreux cadres la qualifient désormais de « coquille vide ».

Dernier né de cette fragmentation, le Congrès pour la justice dans l’Azawad (CJA) s’est donné pour mission de porter les revendications de la tribu des touareg Kel Ansar qui s’était jusqu’alors gardée de former son propre groupe d’intérêt. « Traditionnellement, les Kel Ansar se sont plutôt maintenus à l’écart des conflits. Le fait qu’ils créent leur propre mouvement en dit long sur la course à la représentation dans laquelle le nord du pays a basculé » note le chercheur Pierre Boilley, spécialiste du monde touareg.

Un paysage effrité et une multiplication d’acteurs qui brouille le dialogue et enraye tout tentative de coopération. Tandis que chaque mouvement cherche à s’auto promouvoir et à se doter d’une branche armée dont le pick up est devenu le référent indispensable, les intérêts individuels d’une mosaïque de seigneurs de guerre se substituent aux intérêts idéologiques.

Pour preuve, la multiplication des ralliements à Bamako d’anciens éléments du MNLA longtemps à l’avant garde des revendications en faveurs de l’indépendance de l’Azawad. Ex figure incontournable du mouvement, Nina Walet Intalou que le journal Le Monde avait qualifié en 2012 de « passionaria indépendantiste » a rejoint, en juillet dernier, le gouvernement malien dont elle est devenue ministre du Tourisme et de l’Artisanat. Un poste qu’elle dit avoir accepté afin d’oeuvrer plus efficacement pour la paix mais qui lui vaut les sarcasmes des militants qui l’accusent d’avoir tourné casaque. Le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) de Moussa Ag Acharatoumane, ancien pilier du MNLA dont il s’est désolidarisé en septembre pour créer sont propre groupe, a pour sa part passé un accord de non agression avec l’armée malienne.

Face à ce casse-tête auquel s’ajoutent désormais la montée de la violence djihadiste et des conflits intercommunautaires dans le centre du pays, l’hypothèse d’un retrait des troupes françaises fait craindre une escalade des tensions. En prallèle, les responsables socialistes français ont entamé une véritable course contre la montre à l’horizon du sommet France-Afrique qui doit se tenir à Bamako en janvier 2017, soit quelques jours seulement avant la primaire de la gauche. Objectif, empêcher tout dérapage violent d’entacher la success story de l’intervention française au Mali.

Source: Mondafrique

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