Le constat actuel du Premier ministre malien est une analyse tout aussi valable pour les élections de 2013, dans la mesure où cette année-là, le Mali sortait également d’une période de transition à la suite du coup d’État de 2012. Il s’agissait pour le Mali et la communauté internationale de nommer une figure consensuelle, incarnée par le président actuel, Ibrahim Boubacar Keïta, élu grâce à un fort soutien populaire avec 78% des voix au second tour, et appuyé par la diplomatie française et les mouvements signataires de l’Accord d’Alger en 2015. Ce sentiment d’union sacrée, illustré par ce soutien massif, était essentiel pour permettre au Mali de se relever.
Mais le pays est paradoxalement dans une situation encore plus préoccupante qu’en 2013 au niveau sécuritaire, alors que l’opération Barkhane est opérante depuis, que la MINUSMA (la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) est bien mieux implantée, et que le G5-Sahel est mis progressivement en place. Mais avec peu d’effets. La MINUSMA, tout comme une grande partie de la communauté internationale, ont insisté sur le développement de la paix au nord du Mali, territoire d’implantation premier des groupes djihadistes. Or celle-ci dépend grandement de la situation politique à Bamako qui n’est toujours pas stabilisée et qui est très polarisée. On peut ainsi mesurer l’importance des élections à venir.
Quels sont les défis et enjeux actuels du Mali ?
Un des défis majeurs du Mali est de parvenir à une réconciliation nationale, non seulement entre les groupes armés qui ont signé les Accords d’Alger en 2015 avec le reste du pays, mais entre toutes les communautés vivant au Mali, que ce soit les tranches les plus fortunées que les plus démunies. Le pays connaît une forte croissance démographique, avec une déconnexion entre les centres urbains et les périphéries, appuyée par un exode rural toujours en vigueur.
Au niveau sécuritaire, le Mali est profondément impacté par la présence de mouvements armés, aussi bien djihadistes que communautaires. Le pays est dans une situation dans laquelle la division est tellement forte que sa survie elle-même est en jeu.
Le pays possède de nombreuses richesses, avec en tête le produit des mines d’or, du coton et de l’élevage. Mais toutes les potentialités du Mali n’arrivent pas à se dévoiler, car le pays est dans une situation où politiquement et sécuritairement une ligne claire n’est pas définie. Malgré des chiffres de croissance en hausse, les inégalités restent fortes et la morosité sociale est de mise. C’est dans le délabrement de ces contextes que la vulnérabilité aux différentes formes de radicalisation (ethnique, nationaliste, religieux et djihadiste, etc.) peut naître. Les radicalisations sont multiples, et toutes sont source d’insécurité.
La question récurrente lorsque le Mali est mentionné aujourd’hui au sein des instances internationales est de savoir si le pays peut devenir un rempart sécuritaire contre le djihadisme, objectif qui a clairement été annoncé par les autorités maliennes. Mais dans la mesure où les capacités opérationnelles sont largement insuffisantes, l’insécurité impacte l’économie et la politique du pays, et consolide les inégalités. Le développement du Mali est ainsi conditionné à sa capacité de s’extraire de ces questions sécuritaires.
Quelle analyse faites-vous de la place du Mali au sein de la région du Sahel, et plus largement en Afrique ? Quid du G5 Sahel ?
Pour des raisons historiques, le Mali a été l’un des poumons de l’Afrique, étant à l’origine de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) au moment des indépendances durant les années 1960, devenue l’Union africaine (UA) en 2002. C’est également un pays qui s’est illustré au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), en fournissant avec constance du personnel administratif aux sommets. Le Mali a toujours possédé de la légitimité afin de partager une vision pour l’avenir de la région. D’une certaine manière, la crise politique en 2012 a été un séisme pour l’ensemble de la sous-région, voire du continent. Si le Mali est une démocratie imparfaite, c’est un pays perçu par ses voisins comme novateur, par exemple au niveau de la décentralisation ; ou encore, même s’il s’agit d’un des pays les plus pauvres à l’échelle du continent, il arrive à payer ses cotisations aux organisations internationales. Cette force politique et d’influence doit revenir de nouveau au Mali afin de permettre l’essor d’une nouvelle union sacrée autour de Bamako. Le soutien du Mali à l’ONU, à l’UNESCO, ou dans la francophonie, repose largement sur ces acquis, par ailleurs.
Au niveau stratégique, le Mali a une position particulière et est souvent perçu comme le « maillon faible » dans la chaîne sécuritaire du Sahel. Du fait de sa situation géographique, le pays est à la fois connecté au Nord et à l’Ouest de l’Afrique, ce qui lui permet d’entretenir des liens forts avec la Côte-d’Ivoire et la Guinée notamment. Le Mali est un espace charnière entre des univers différents, et cette force le rend également vulnérable. Les réseaux de trafiquants de drogues exploitent cette faiblesse, utilisant l’espace malien comme un territoire de passage entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Nord pour le transit de leur commerce. De plus, le Mali a été pénétré depuis une vingtaine d’années par les groupes terroristes, qui ont établi des alliances avec des forces locales afin de s’installer dans des endroits stratégiques au Nord, transformant le Mali en plaque tournante de ces réseaux criminels.
Depuis l’intervention française en 2013 au Mali, il y a eu des efforts continus pour renforcer la légitimité des actions autour du pays et appuyer sa stabilité politique, notamment avec la création du G5 Sahel. Il y a un récit du Mali comme dernier rempart, qui est diffusé, pour permettre de mieux y investir en termes de sécurité, mais aussi dans l’économie. De ce fait, il y a un intérêt à mettre en avant la capacité du pays à se gérer lui-même et à marcher de manière ordonnée et transparente, en évitant l’écueil de la philosophie de l’ingérence internationale.
Malheureusement, la force conjointe du G5 Sahel tarde à se mettre en place pour des raisons principalement politiques. Il y a la question de la collaboration entre les États du Sahel qui se pose, ayant chacun leur agenda, mais aussi la définition des politiques de sécurité et de défense propres à chaque pays. Le Mali est aujourd’hui sur plusieurs fronts, les espaces sont importants, les acteurs de l’insécurité nombreux. Malgré l’appui des partenaires internationaux pour former l’armée malienne, elle ne possède toujours pas une doctrine claire et adaptée. De plus, des exactions sont régulièrement commises par des soldats de l’armée nationale, notamment sur des civils peuls accusés d’accointances avec les groupes armés opposés à l’État. Cela contribue à rendre la coopération civilo-militaire précaire. Or, le succès du G5 Sahel, aussi bien pour la sécurité que pour le développement, dépendra en grande partie de la capacité d’appropriation de la mission par les populations locales. Le G5 Sahel est quotidiennement remis en question. Il y a là un risque de faire croître son impopularité. Jugé trop couteux en dépenses et en ressources humaines, sa survie est en jeu, alors même qu’on lui cherche de nouveaux projets et des financements.
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