« Un retrait sans délai de la MINUSMA ». C’est ce que la junte militaire au pouvoir au Mali réclame à l’ONU. Et, c’est Abdoulaye Diop, le ministre des affaires étrangères et porte-parole du gouvernement malien, qui a annoncé de vive voix cette demande hier, vendredi 16 juin 2023, devant le conseil de sécurité des Nations Unies.
Il assure que la situation sécuritaire au Mali en 2013 (lors de la création de la MINUSMA) est bien meilleure à celle que le pays connaît aujourd’hui (après 10 ans de travail de la Minusma sur le terrain). « Le réalisme impose le constat de l’échec de la MINUSMA dont le mandat ne répond pas aux défis sécuritaires… Pour le Gouvernement du Mali, le constat est clair : la MINUSMA n’a pas atteint son objectif fondamental », a-t-il martelé.
Le chef de la diplomatie malienne a aussi déclaré que « les options proposées par le Secrétaire général [des Nations Unies] dans son rapport sur l’examen interne de la MINUSMA ne répondent pas aux préoccupations et aux attentes maintes fois exprimées par le Gouvernement et les populations du Mali ». Abdoulaye Diop a également déploré le fait que la MINUSMA n’a pu apporter des réponses sécuritaires adéquates au Mali.
« Nous n’avons d’autre choix que de parvenir aux conclusions objectives du bilan des 10 années de présence de la MINUSMA qui n’a pu apporter les réponses adéquates à la situation sécuritaire au Mali et dont les perspectives de maintien ne répondent pas aux impératifs de sécurité des Maliennes et des Maliens. Ni les propositions du Secrétaire général, encore moins le projet de résolution en cours de négociation par les membres de ce Conseil, n’apportent de réponse appropriée aux attentes des Maliens. Ce projet de résolution conforte la récusation de la France en tant que porte-plume tant son contenu est hostile au Mali. Au regard de tout ce qui précède, le Gouvernement du Mali demande le retrait sans délai de la MINUSMA. Cependant, le Gouvernement est disposé à coopérer avec les Nations Unies dans cette perspective », a-t-il déclaré.
Guineematin.com vous propose ci-dessous l’intégralité du discours de Abdoulaye Diop, le ministre malien des affaires étrangères.
NEW YORK, LE 16 JUIN 2023
- Madame la Présidente,
- Mesdames et Messieurs les membres du Conseil de sécurité,
Je voudrais, avant tout propos, féliciter les Emirats Arabes Unis pour la présidence du Conseil de sécurité.
Le Gouvernement du Mali prend note du rapport du Secrétaire général sous examen et je remercie Monsieur El-Ghassim WANE, Chef de la MINUSMA, pour sa présentation et les mises à jour. Les observations détaillées du Gouvernement du Mali ont fait l’objet du Mémorandum communiqué à votre Conseil. Pour ma part, je voudrais formuler les observations majeures suivantes.
Je commence par la situation politique, notamment l’évolution du processus de Transition. Il vous souviendra que l’une des priorités assignées au Gouvernement de transition était de conduire des réformes politiques et institutionnelles, qui puissent garantir un avenir meilleur à nos populations à travers une stabilité institutionnelle durable au Mali. Cette demande légitime de nos compatriotes est sur le point de devenir une réalité.
En effet, le Gouvernement de transition, dans le cadre d’une démarche inclusive et largement consensuelle, a pris des mesures fortes et irréversibles pour le retour à un ordre constitutionnel apaisé et sécurisé, dans les délais convenus.
Le Gouvernement de transition s’attèle à l’organisation réussie du scrutin référendaire, prévu le 18 juin 2023, afin de doter le Mali d’une nouvelle Constitution, conformément aux aspirations profondes du peuple malien, exprimées lors des Assises Nationales de la Refondation. Le bon déroulement du processus de vulgarisation du projet de Constitution et la campagne électorale y relative augurent un scrutin référendaire apaisé et crédible.
- Madame la Présidente,
Sur la situation sécuritaire, je rappelle encore une fois que depuis l’intervention militaire en Libye en 2011, les populations de mon pays et celles de la région du Sahel vivent un véritable drame. Hélas, nos pays et nos populations attendent encore et ce, depuis plus d’une dizaine d’années, une réponse internationale à la hauteur de cette menace créée et de ses conséquences humanitaires préoccupantes pour la région. Pour ne parler que du cas spécifique de mon pays, je dois dire que les prescriptions internationales, notamment celles prodiguées par la MINUSMA depuis sa création en 2013 ont bien montré leur limite. Sinon comment expliquer que la situation sécuritaire au Mali en 2013 soit bien meilleure à celle que nous connaissons de nos jours ? Le réalisme impose le constat de l’échec de la MINUSMA dont le mandat ne répond pas aux défis sécuritaires.
Pour sa part, le Gouvernement de transition n’a jamais perdu de vue que la responsabilité première de la défense du territoire national et de la protection des populations ainsi que des biens relève avant tout de l’Etat malien. C’est la raison pour laquelle il a donné une place de choix au renforcement des capacités et à l’équipement des Forces de Défense et de Sécurité Maliennes, afin de leur permettre d’accomplir leurs missions régaliennes. Grâce à ce choix judicieux, nos Forces continuent de remporter contre les groupes armés terroristes, des victoires décisives, reconnues et appréciées par le peuple malien. Je sais que cette montée en puissance des Forces de Défense et de Sécurité maliennes suscite beaucoup de commentaires, voire des campagnes hostiles, de désinformation et de déstabilisation dont le Mali est malheureusement l’objet depuis 2021, y compris à travers l’instrumentalisation et la politisation de la question des droits de l’homme.
C’est l’occasion pour moi de répondre à certains commentaires et déclarations concernant le rapport du Haut-Commissariat aux droits de l’homme sur les événements de Moura. Il était de notoriété publique que la ville de Moura et ses villages environnants étaient assiégés par des organisations terroristes depuis de nombreuses années. Pendant cette longue période, aucune force, pas même les forces internationales déployées, n’avait accès à cette localité, abandonnant les populations à leur triste sort. Je me demande au passage où étaient en ce moment les voix qui s’élèvent aujourd’hui, lorsque les terroristes infligeaient des traitements inhumains et dégradants à nos populations civiles sans défense, lapidaient les femmes, brûlaient des villages et des récoltes et emportaient du bétail, comme ce fut le cas à Ogossagou, Sobane Da, Diallassagou, pour ne citer que ceux-là.
Aussi, sur la base de renseignements fiables et précis faisant état de la présence, à Moura, des principaux chefs terroristes pour collecter le fruit des rackets contre les populations, organiser et planifier des attaques d’envergure, les Forces de Défense et de Sécurité du Mali ont pris la décision de mener une opération d’opportunité aéroterrestre à la hauteur de cette menace, afin de mettre un terme à la souffrance de nos populations.
Les premières unités déployées par nos moyens aériens, tout comme les renforts ont subi des tirs, confirmant la présence terroriste. S’en sont suivis des affrontements autour et dans la ville de Moura, soldés par un bilan de 203 combattants terroristes neutralisés, une importante quantité d’armes et de munitions saisies, plus de 200 motos détruites et plusieurs présumés terroristes interpellés et mis à la disposition de la justice. Malheureusement, huit de nos valeureux soldats sont également tombés au champ d’honneur dans cette opération, qui a permis de libérer les populations du joug des terroristes.
À la suite d’allégations d’exactions, les autorités compétentes ont immédiatement ouvert des enquêtes. Un transport judiciaire a été effectué sur les lieux, par une équipe composée des parquets de Mopti et de Bamako, d’enquêteurs de la Gendarmerie nationale, de la police technique et scientifique et d’un médecin légiste. Les enquêtes continuent conformément aux procédures et délais en vigueur. Les conclusions seront rendues publiques.
Le Gouvernement rejette vigoureusement les conclusions hâtives du rapport biaisé du Haut Commissariat aux droits de l’homme. Nous voyons dans ce rapport orienté une volonté réelle de certains Etats, d’instrumentaliser notre Organisation commune pour nuire, voire punir le Mali pour ses choix souverains. Mieux, quel crédit peut-on accorder à un rapport qui tend désespérément à faire croire que les Forces de Défense et de sécurité ciblent des populations civiles qu’elles protègent, conformément à leur mission ? De plus, ce rapport comporte des images obtenues par l’usage de satellites, à l’insu des autorités nationales, ce qui constitue de l’espionnage. Nous devons être humbles et comprendre que personne n’aime le Mali plus que les Maliens et que personne n’aime les Maliens plus que les autorités maliennes.
Le Gouvernement n’est pas le seul à rejeter les conclusions fictives de ce rapport. De nombreux habitants de Moura, dont des femmes, ont fait le déplacement à Bamako pour démentir la teneur de ce rapport. Les témoignages des habitants de Moura, documentés et largement disponibles, démentent clairement les accusations sans fondement contenues dans le rapport et mieux, dénoncent les méthodes employées par les enquêteurs. Ces habitants ont témoigné que les Forces armées maliennes n’ont ciblé que des terroristes.
Dans la même dynamique, et dès les premières allégations formulées en avril 2022 par certains Etats et des organisations de défense des droits de l’homme, le Président de l’Association Tabital Pulaaku avait catégoriquement rejeté certaines des accusations portées à l’encontre des forces maliennes, notamment les accusations de viols de femmes.
En outre, le Président de l’Association malienne des Droits de l’Homme (AMDH) a vigoureusement dénoncé la méthodologie et les conclusions de cette enquête.
Ces prises de position fortes et librement exprimées, méritent d’être signalées car elles proviennent d’organisations et de personnes qui ont vécu les événements ou en ont reçu des informations crédibles et vérifiables.
Nous réitérons notre ferme opposition à toute tentative d’instrumentalisation et de politisation de la question des droits de l’homme et au traitement à géométrie variable de cette problématique. A cet égard, il est paradoxal de noter la célérité avec laquelle la mission d’établissement des faits a été mise en place alors qu’au même moment le Mali portait plainte devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 15 août 2022, sur les actes graves d’agression de la France contre la souveraineté et l’intégrité territoriale du Mali à des fins de déstabilisation.
- Madame la Présidente,
Concernant l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger, malgré la décision unilatérale de la CMA et de la Plateforme de suspendre leur participation aux mécanismes de suivi de l’Accord, je réaffirme ici, l’engagement du Gouvernement à poursuivre sa mise en œuvre efficiente et intelligente, notamment avec les Mouvements de l’Inclusivité. Nous restons toujours ouverts au dialogue avec nos frères des mouvements signataires, comme en témoigne, la visite à Kidal, le 12 mai 2023, du Ministre chargé de la réconciliation.
- Madame la Présidente,
- Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,
Je consacre ma dernière observation majeure à la MINUSMA. Au moment où les membres du Conseil de sécurité ont entamé les négociations autour du renouvellement du mandat de la MINUSMA, il me plait de faire un bref rappel sur l’évolution de la Mission au Mali, de sa création à nos jours. Permettez-moi tout d’abord de rendre hommage à toutes les victimes civiles et militaires tombées au Mali.
En 2013, les fondements qui ont servi à justifier la création de la MINUSMA étaient notamment l’appui aux autorités maliennes pour stabiliser la situation dans les régions du Nord du Mali, écarter les menaces et prendre activement des dispositions afin d’empêcher le retour d’éléments armés dans ces zones, particulièrement à travers le rétablissement de l’autorité de l’Etat dans tout le pays.
Après plusieurs années de déploiement des forces de la MINUSMA sur le terrain, la situation sécuritaire, qui concernait jadis le Nord du pays, s’est progressivement dégradée dans les autres régions du Mali, notamment le Centre. Pour le Gouvernement du Mali, le constat est clair : la MINUSMA n’a pas atteint son objectif fondamental.
Aujourd’hui les Maliens sont heureux de voir leurs Forces de Défense et de Sécurité, réaliser en toute autonomie, les missions de sécurisation des personnes et des biens ; de lutte contre la criminalité, le grand banditisme, la traite des personnes et le trafic de drogue ; les missions d’escorte des véhicules de transport ; de sécurisation des foires hebdomadaires dans les localités sensibles ; ainsi que les missions de sécurisation de frontières, grâce au renforcement de l’outil sécuritaire et de défense, conformément à la vision de Son Excellence Le Colonel Assimi GOITA, Président de la Transition, Chef de l’Etat.
Le Mali est parfaitement conscient que la lutte contre le terrorisme ne fait pas partie de la doctrine des Opérations de paix des Nations Unies, mais il avait toujours plaidé pour un changement de posture de la MINUSMA afin de lui permettre de s’acquitter convenablement de son mandat et d’asseoir des actions de soutien aux efforts du Gouvernement.
Le Mali a constamment coopéré avec les Nations Unies, en toute bonne foi. Dans cette approche constructive, nous nous sommes par exemple pleinement engagés avec le Secrétariat des Nations Unies dans le cadre de la revue interne de la MINUSMA afin de renforcer les capacités opérationnelles de la force onusienne dans la dynamique d’appuyer le Mali à se stabiliser.
Je regrette de réaffirmer aujourd’hui que les options proposées par le Secrétaire général dans son rapport sur l’examen interne de la MINUSMA ne répondent pas aux préoccupations et aux attentes maintes fois exprimées par le Gouvernement et les populations du Mali.
Nous n’avons d’autre choix que de parvenir aux conclusions objectives du bilan des 10 années de présence de la MINUSMA qui n’a pu apporter les réponses adéquates à la situation sécuritaire au Mali et dont les perspectives de maintien ne répondent pas aux impératifs de sécurité des Maliennes et des Maliens.
Ni les propositions du Secrétaire général, encore moins le projet de résolution en cours de négociation par les membres de ce Conseil, n’apportent de réponse appropriée aux attentes des Maliens. Ce projet de résolution conforte la récusation de la France en tant que porte-plume tant son contenu est hostile au Mali.
Outre la dimension sécuritaire, que nous assurons désormais par nos propres moyens, nous attendions légitimement de la MINUSMA qu’elle soit une Mission d’assistance et de soutien aux efforts du Gouvernement. Malheureusement, la MINUSMA semble devenir partie du problème en alimentant les tensions intercommunautaires exacerbées par des allégations d’une extrême gravité et qui sont fortement préjudiciables à la paix, à la réconciliation et à la cohésion nationale. Cette situation engendre un sentiment de méfiance des populations maliennes à l’égard de la MINUSMA, et une crise de confiance entre les autorités maliennes et la MINUSMA.
Au regard de tout ce qui précède, le Gouvernement du Mali demande le retrait sans délai de la MINUSMA. Cependant, le Gouvernement est disposé à coopérer avec les Nations Unies dans cette perspective.
- Madame la Présidente,
- Mesdames, Messieurs les membres du Conseil de sécurité,
Pour terminer, je tiens à exprimer la gratitude du Gouvernement et du peuple maliens à l’ensemble des partenaires, tant bilatéraux que multilatéraux, qui nous accompagnent dans la réalisation des chantiers importants pour la refondation du Mali.
Le Gouvernement du Mali reste disposé à coopérer avec les partenaires qui respectent sa souveraineté, ses choix stratégiques et les intérêts des Maliens. Fidèle à notre tradition d’hospitalité, le « diatiguiya », le Mali demeure ouvert à tous les peuples du monde.
Je vous remercie de votre aimable attention
Discours décrypté depuis Bamako par Malick Diakité
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