L’expulsion de l’ambassadeur de France au Mali, le 31 janvier dernier, marque un tournant dans le rapport du continent non seulement à l’Hexagone, mais aussi à l’Europe, au reste du monde et, surtout, à l’Afrique elle-même.
Depuis l’arrivée au pouvoir du colonel Assimi Goïta, les passes d’armes entre responsables maliens et français s’enchaînent, les manifestations d’hostilité se multiplient, la tension ne cesse de monter. L’expulsion récente de l’ambassadeur de France au Mali marque un tournant dans la relation entre les deux pays, et plus généralement dans le chapitre tumultueux des relations entre l’Hexagone et ses anciennes colonies africaines. Mais qu’est-ce qui se joue exactement dans cette affaire ?
Macron a perdu toute crédibilité
Si l’on en croit les autorités françaises, l’enjeu est le respect des normes démocratiques. Le colonel Goïta est un putschiste récidiviste dont la place est dans les casernes. Son refus de suivre les injonctions du président français et de ses obligés africains sont impardonnables. Pourquoi pas ? Le problème est que la ficelle est grosse.
Après avoir avalisé le putsch constitutionnel du fils Déby, le président français Emmanuel Macron n’a plus la moindre once de crédibilité sur la question démocratique. Pas un Africain ne pense que le respect des « normes démocratiques », le rejet des putschs, la volonté de promouvoir la souveraineté des peuples expliquent l’hostilité française à l’encontre des nouvelles autorités maliennes. Au contraire, le soutien indiscutable dont bénéficient ces autorités au sein des opinions publiques africaines exprime d’abord un rejet franc et massif de la France.
Les raisons sont connues : un passé, au Mali et ailleurs, qui ne passe pas et nourrit un ressentiment puissant; une campagne militaire qui, avec le temps, a pris les contours d’une occupation ; ce cynisme répugnant qui caractérise la politique africaine de la France et, plus généralement, la conviction, chez beaucoup de jeunes, que le point de non-retour est atteint avec Paris et que le seul sujet pertinent est celui des termes de la rupture.
« La souveraineté est une liberté »
Pourtant, le sommet Afrique-France d’octobre dernier devait marquer le point de départ d’une redéfinition des rapports entre les pays du pré carré et l’ex-puissance tutélaire. À cet effet, d’innombrables artifices de communication avaient été déployés pour convaincre Français et Africains qu’une page se tournait. Mais aucune page ne devait se tourner dans la mesure où la réalité avait été soigneusement tenue à l’écart de cette enceinte aseptisée où, on l’apprendrait par la suite, le moindre bâillement avait été approuvé par les équipes du président français. Quelle réalité ? Celle d’un monde redevenu tragique, où les droits humains ont laissé place au droit de la force ; celle d’un monde post-occidental et multipolaire ; celle d’une France assiégée dans ses positions, avachie, guettée par le déclin ; celle d’une Afrique qui, bien que fragile, n’en reste pas moins résiliente et incontournable.
EMMANUEL MACRON CRÉE EN GRANDE POMPE UN « FONDS POUR LA DÉMOCRATIE EN AFRIQUE », MAIS ASSUME D’OCCUPER MILITAIREMENT UN PAYS DONT LES CITOYENS EXIGENT LE RESPECT DE LA SOUVERAINETÉ
Ces mouvements tectoniques sont profonds, puissants, irrésistibles. En dernière ressort, ce sont eux qui, au Mali au Tchad, en Ukraine ou en Asie de l’Est, déterminent l’action du président français. Ce sont eux qui expliquent qu’il annonce en grande pompe la création d’un « fonds pour la démocratie en Afrique », mais assume néanmoins d’occuper militairement un pays dont les citoyens exigent à cor et à cri le respect de la souveraineté.
Pourtant, le plus illustre de ses prédécesseurs, celui dont toute la classe politique française se réclame, proclamait au début des années 1940 : « La démocratie se confond exactement, pour moi, avec la souveraineté nationale. La démocratie, c’est le gouvernement du peuple par le peuple, et la souveraineté nationale, c’est le peuple exerçant sa souveraineté sans entrave. »
Mais Emmanuel Macron ne contredirait certainement pas le général de Gaulle, lui qui rappelait avec force et talent dans son discours du 19 janvier 2022 devant le Parlement européen que « la souveraineté [était] une liberté ». Liberté si fondamentale qu’elle est « au cœur [du] projet européen » et qu’elle « est aussi une réponse aux déstabilisations à l’œuvre » sur [son] continent ». Dans l’esprit du président, ce principe qui vaut pour la France, pour l’Europe, pour le reste du monde, ne vaudrait donc pas pour l’Afrique. Qui, en 2022, accepterait une telle proposition ?
TANT QUE L’AFRIQUE RESTERA FAIBLE, ELLE SERA LA PROIE DE PRÉDATEURS IMPITOYABLES, QUEL QUE SOIT LEUR DRAPEAU
Pas la jeunesse africaine, plus informée et mobilisée que jamais dans l’histoire récente. C’est la bonne nouvelle. L’autre bonne nouvelle est que le temps de la France est compté au Mali. Pour le reste, la reconfiguration de l’ordre mondial, combinée aux logiques démographiques à l’œuvre, obligera tôt ou tard à une clarification.
Mais au-delà de la France, il convient de ne pas perdre de vue que tant que l’Afrique restera faible, elle sera la proie de prédateurs impitoyables, quel que soit leur drapeau. Et donc le nécessaire combat pour une souveraineté retrouvée doit aller de pair avec un combat tout aussi acharné contre la mal-gouvernance, l’extrême pauvreté, le tribalisme, la corruption, l’absence de méritocratie, tous ces maux qui nous avilissent, nous fragilisent, nous rendent si vulnérables…
Source: jeuneafrique