Les dépenses récurrentes de fonctionnement et les procédures de passation des marchés se poursuivront. Une autorisation écrite préalable du chargé de projet est requise pour les autres activités
La Banque mondiale déplore des tentatives éhontées et malsaines de manipulation de l’opinion visant à faire croire qu’elle a suspendu temporairement ses opérations et sa coopération avec le Mali. « Ce n’est pas un communiqué. C’est un e-mail non confidentiel du responsable des opérations adressé aux coordinateurs des projets pour leur annoncer une pause temporaire concernant les décaissements et leur dicter la conduite à observer en la matière le temps d’avoir en face un interlocuteur (ministre de l’Économie et des Finances) pour une reprise normale des activités.
Quelqu’un a repris ce courrier, qui a été sorti de son contexte pour faire croire à l’opinion que la Banque mondiale a suspendu ses opérations au Mali, en le mettant sur les réseaux sociaux notamment WhatsApp à cet effet», précise un responsable de la Banque mondiale contacté par nos soins.
Cela est d’autant vrai que le dernier communiqué de presse diffusé sur le site internet de la Banque mondiale : www.banquemondiale.org (au moment où nous mettions sous presse), datant du 4 juin dernier, était relatif au Maroc.
Notre interlocuteur indique que l’institution de Bretton Woods avait déclenché la même «procédure» à la suite des événements d’août 2020 au Mali, et récemment au Tchad après la prise du pouvoir par les militaires suite au décès du président Idriss Itno Deby. Le responsable local de la Banque mondiale se dit alors surpris de voir et d’entendre maintenant tout ce bruit autour de cette procédure normale.
Précisant que cette procédure n’a rien de politique, il dit s’en tenir à cette déclaration : «Le double objectif de la Banque mondiale est de mettre fin à l’extrême pauvreté et de promouvoir une prospérité partagée. À cet égard, elle s’efforce d’aider le peuple malien à avoir un meilleur accès aux services de base, afin qu’un plus grand nombre de personnes puissent sortir de la pauvreté. Conformément à la politique de la Banque mondiale applicable à des situations similaires, elle a temporairement mis en pause les décaissements au Mali, pendant qu’elle suit et évalue de près la situation ».
Le courrier détourné de son contexte adressé aux coordinateurs de projets et signé par le responsable des opérations de la Banque au Burkina Faso, Tchad, Mali et Niger, Kofi Nouve, est très précis. « À la suite des évènements du 24 mai 2021, nous avons demandé à nos services de décaissement d’observer une pause temporaire des décaissements, jusqu’à ce que la situation soit plus claire.
Cette pause se traduit par le non-traitement des demandes de décaissements reçues après le 24 mai, et de celles reçues mais non traitées avant le 24 mai », souligne le responsable des opérations dans sa note d’information, tout en priant les destinataires de « noter qu’il ne s’agit que des mesures temporaires qui, nous l’espérons, n’affecteront pas fondamentalement les efforts louables déployés pour assurer un taux moyen de décaissement satisfaisant pour le compte de l’année fiscale 2021».
ANALYSE DES MESURES- Il a donc été demandé aux coordinateurs, dans le cadre de la mise en œuvre de leurs projets et « dans le but d’assurer un suivi fiduciaire approprié du portefeuille durant la période de la pause, de suivre « les mesures transitoires ci-dessous relatives à la gestion financière et à la passation des marchés ». Mesures dont l’analyse permet de savoir qu’il s’agit bien d’une pause des décaissements et non une suspension des opérations.
La première se rapporte à la gestion financière. À ce niveau, seules les dépenses récurrentes de fonctionnement (loyer, honoraires/salaires, frais de gardiennage et de sécurité, téléphone, internet, fournitures et consommables de bureaux, carburant) sont autorisées.
À l’exception de ces dépenses de fonctionnement, les coordinateurs doivent obtenir « une autorisation écrite préalable du chargé de projet (TTL) (deuxième mesure) » concernant l’exécution de toute autre activité « même celles approuvées dans le Plan de travail et de budget annuel, ainsi que tout paiement autre que ceux cités au point 1». Aussi doivent-ils transmettre « la liste de tous les contrats en cours aux TTLs respectifs ». Le but est, selon le responsables des opérations, « de définir les contrats dont l’exécution pourra continuer et ceux dont l’exécution pourra faire l’objet d’un arrêt temporaire tout en respectant les dispositions réglementaires relatives à la gestion des contrats en vigueur. »
Toutefois, Kofi Nouve assure que les activités de passation de marchés (troisième mesure) se poursuivront. Pour lui, les processus de sélection continueront dans la mesure où la situation permet la participation des soumissionnaires. Au besoin, les réunions préparatoires et les visites de site, etc., pourront aussi être organisées, précise-t-il. « Pour les contrats en cours de mise en œuvre, leur exécution continuera sans conséquence particulière », insiste l’économiste senior à la Banque mondiale.
À ce niveau, certaines activités ne pourront faire l’objet de paiement tant que la pause sur les décaissements reste effective. Pour ces activités, « les procédures d’appel d’offres ou de sélection devront être suspendues ». Il en sera de même pour « les contrats signés qui devront être suspendus en concertation avec les TTLs et les équipes de passation des marchés et de gestion financière».
Cela, ajoute la note, se fera conformément au mécanisme et aux clauses et conditions régissant les cas de suspension notamment les cas de force majeure prévus dans les contrats. «Les déclarations de cas de force majeure et de suspension des contrats devront requérir l’avis de non-objection de la Banque », insiste-t-il.
Il faut rappeler que le portefeuille de la Banque au Mali comprend 30 projets actifs évalués à 1,69 milliard de dollars (938,87 milliards de Fcfa). Il s’agit de 21 projets nationaux de 1,27 milliard de dollars (environ 699 milliards de Fcfa et neuf projets régionaux de 0,42 milliard de dollars (plus de 231 milliards de Fcfa) avec une taille moyenne de projets de 60,5 millions de dollars (33,61 milliards de Fcfa), une durée moyenne de 4,1 ans. Le ratio de décaissement est de 16,9% pour les projets nationaux et 7,3% pour les projets régionaux. Le cumul du montant décaissé est estimé à 770 millions de dollars (environ 388,879 milliards de Fcfa).
LA MAIN DE LA FRANCE- Si la Banque mondiale jure que cette pause n’a rien de politique, des observateurs avertis soutiennent que la France qui a ouvertement enclenché un bras de fer avec les autorités actuelles, usera de tous les moyens à sa disposition pour arriver à les faire plier. « L’Union européenne ne tardera pas à suivre. Et comme cela petit à petit, notre pays sera asphyxié économiquement et financièrement. Et tous les autres éléments du puzzle (sécuritaire, politique, social) tomberont les uns après les autres.
D’ailleurs, les récents soubresauts des (ex) groupes rebelles ne sont pas étrangers à cette stratégie de fléchissement de nos autorités rondement menées depuis l’extérieur. Et ce n’est pas une coïncidence. D’ailleurs ce mot n’existe pas en géopolitique encore moins en géostratégie. Il y a des opportunités ou des menaces, à saisir ou à neutraliser », prévient un expert en géopolitique internationale.
Maintenant qu’elle a décidé de ne plus manœuvrer à bas bruit, la France ne reculera que lorsqu’elle sera persuadée que ses intérêts sont préservés et même renforcés, insistent certains observateurs. Motif ? Les résultats du président Macron en terre africaine du Mali compteront en partie pour son deuxième mandat. Et, analysent nos experts, il sait qu’un échec ou un faux pas ici signerait le glas à ses ambitions électorales.
Pour arriver à faire face à ces adversités, il faut que les Maliens soient conscients de cette réalité.
« Qu’ils oublient, l’instant d’un sursaut national, les querelles et frictions endogènes, pour faire bloc derrière les institutions du pays. C’est la seule et unique façon d’agir et d’interpeller l’opinion publique française et la communauté internationale sur le danger qui guette notre pays, et au-delà tout le Sahel », plaident les observateurs, de façon presque unanime.
Si nous avons réellement le souci de sortir le pays de l’ornière, comme nous le clamons, il ne reste plus qu’à nous unir autour de l’essentiel.
Cheick M. TRAORÉ