Donné pour mort, le chef de la katiba Macina, Amadou Koufa, est réapparu dans une vidéo de propagande diffusée par le Web. Une illustration de la guerre multiterrain qui est livrée dans le Sahel.
Les terroristes du Sahel ne manient pas seulement le fusil. Ils utilisent aussi Internet pour gagner la guerre de propagande. Le chef djihadiste Amadou Koufa est de ceux-là. Annoncé mort avec une trentaine de ses hommes de la katiba Macina par la ministre française des Armées, Florence Parly, à l’Assemblée nationale après une opération commando française le 23 novembre dernier dans le centre du Mali, ce prêcheur âgé d’une soixantaine d’années est réapparu sur des sites islamistes en pleine santé. La tête ceinte d’un turban immaculé, lunettes en acier et barbe teinte au henné, l’allié d’Al-Qaïda pour le Maghreb islamique (Aqmi) qui cherche à entraîner dans le djihad la communauté peul partout en Afrique, a donné une longue interview à deux inconnus aux visages floutés, chargés probablement de la communication dans l’organisation clandestine. Aux questions en anglais, il répond non seulement en peul, mais aussi en arabe afin de se faire comprendre jusqu’au Moyen-Orient. Il affirme avoir arrêté un « espion » qui a donné la position de son groupe et permis l’attaque française.
En décembre, le chef d’Aqmi en Algérie, Abdelmalek Droukdel avait pourtant déjà démenti la mort de son frère d’armes Amadou Koufa. Il affirmait que Koufa n’était pas sur place pendant l’attaque et que seize djihadistes avaient été tués et non pas une trentaine. Une vidéo à l’époque peu reprise. Preuve que depuis ses caches dans le désert, il suit de près l’actualité française. Il accusait le gouvernement français de vouloir détourner l’attention de la population des manifestations des Gilets jaunes, en plein affrontement avec la police à ce moment-là, par les déclarations de Florence Parly devant les députés. Celle-ci y annonçait le « succès au Sahel » des forces Barkhane « concernant une action d’ampleur, complexe et audacieuse qui a permis de neutraliser un important détachement terroriste au sein duquel se trouvait probablement Amadou koufa, chef de la katiba Macina […] Le bilan est de 35 terroristes neutralisés et parmi eux, leur chef […] Nous nous attaquons au haut de la pyramide, car c’est la meilleure façon d’affaiblir les bases du terrorisme », ajoutait-elle.
À l’état-major à Paris, la prudence est aujourd’hui de mise. La mort de Koufa a été considérée comme probable, mais on reconnaît qu’elle n’a jamais été confirmée à 100 %, car aucune preuve tangible n’est venue confirmer la mort du terroriste. Sur le terrain, l’armée malienne avait annoncé le contraire, et à Bamako, le Premier ministre avait précisé que les terroristes avaient emmené leur chef blessé dans une forêt voisine où il était mort. En fait, il semble que le corps n’ait jamais été retrouvé et donc qu’aucune photo ni prélèvement ADN n’aient pu être effectués. Et pour cause, car Amadou Koufa n’était pas sur place au moment de l’assaut français.
Pour les forces africaines et françaises, vider un puits sans fond
Fin janvier 2019, une longue diatribe enregistrée par Amadou Koufa, déclaré mort depuis presque trois mois, circule dans la région de Nampala sans que les services de renseignements ne s’en émeuvent. Le chef terroriste répond, selon Jeune Afrique, à un marabout qui l’avait accusé de créer des problèmes dans la communauté peul en favorisant les mariages entre les jeunes. Une position peut-être destinée à ceux qu’il a enrôlés dans le djihad et qui sont privés de femmes. En février dernier, c’est le chef d’Aqmi au Mali, Yahia Abou Al-Hammam, qui est tué par des hélicoptères français avec onze de ses hommes dans un convoi de trois pick-up au nord de Tombouctou. « C’est un coup très dur pour les groupes terroristes agissant au Sahel. Concernant le Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans, il aura perdu trois de ses principaux chefs en l’espace d’une année », affirme Florence Parly. En fait, il n’y en a que deux. Amadou Koufa est toujours vivant. Faute de victoire claire qui n’arrivera probablement jamais dans ce type de guerre asymétrique où le faible donne l’impression de l’emporter face au fort, existe en fait la tentation de communiquer des succès à répétition pour masquer les difficultés des forces africaines et françaises qui donnent l’impression de vider un puits sans fond.
À l’heure où Daech a perdu le contrôle de son territoire en Syrie, Aqmi cherche en fait à démontrer qu’il étend le sien en opérant toujours plus au sud de l’Afrique en pratiquant des opérations au Niger et au Burkina Faso. Et que le retour mis en scène devant une caméra de Koufa citant des éléments postérieurs à sa « mort » semble bien établir qu’il ne s’agit pas d’un trucage. Un mauvais coup pour les autorités françaises dont la crédibilité pourrait être entamée chez les islamistes de tout poil qui adhèrent à la théorie du complot. Une manière pour Koufa de regonfler le moral de ses troupes qui prennent des coups à chaque raid de du dispositif Barkhane.
Florence Parly a affirmé que, depuis 2015, 600 terroristes ont été neutralisés, dont 200 en 2018. Un bilan très lourd que les responsables djihadistes essaient de minimiser, mais qui ne les empêche pas de poursuivre leurs attaques avec des techniques de plus en plus sophistiquées. Ils circulent à moto en se faufilant sur des sentiers entre les acacias et posent des mines artisanales au dispositif rustique de mise à feu importé d’Afghanistan qui touchent les convois de l’armée. Ils piègent désormais les cadavres de leurs frères tués au combat en les habillant d’une tenue militaire. Dans la province de Soum, au Burkina Faso, des soldats ont manipulé un corps déposé en février à l’entrée de la ville de Djibo. L’engin explosif improvisé dissimulé sous le corps a explosé. Bilan : un médecin militaire et son assistant ont été tués et six personnes blessées. Un nouveau tournant dans cette guerre contre le terrorisme où militaires africains et français sont engagés depuis déjà six ans.
Le Point