Le déploiement de troupes tchadiennes au Cameroun pour combattre Boko Haram témoigne d’une volonté de la région de s’unir pour lutter contre la secte islamiste. Mais la mise en place d’une force régionale coordonnée risque d’être difficile.
Ne pas rester les bras croisés. Telle est la volonté affichée, ces derniers jours, par les voisins du Nigeria, pays où la secte islamiste Boko Haram poursuit sa fulgurante et meurtrière avancée. Après les attaques sanglantes qui ont fait quelques milliers de morts les 7 et 8 janvier dans la région de Baga (nord-est), une représentante des Nations unies et le président de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont appelé à réagir. Alors que plusieurs pays concernés plaident pour la création d’une force armée régionale, seul le Tchad, à la demande du Cameroun, a déployé des troupes sur le terrain.
– Pourquoi le Tchad intervient-il ?
Dès samedi 17 janvier, 400 véhicules militaires (chars, véhicules blindés, pick-ups transportant des soldats) et des hélicoptères de combat tchadiens ont pénétré au Cameroun. Parti de la capitale tchadienne N’Djamena, le convoi a rallié Maltam, à 80 kilomètres au sud de Kousseri, la ville frontalière entre les deux pays.
La veille, au moins deux autres convois militaires avaient quitté N’Djamena en direction du Sud mais en restant en territoire tchadien, sans doute pour franchir ultérieurement la frontière près de Maroua. Une ville où, selon l’AFP, le Tchad a également déployé “plusieurs hélicoptères MI-24” de fabrication soviétique.
“Nous avons répondu à la sollicitation du président [camerounais] Paul Biya, a expliqué, vendredi, le président tchadien Idriss Déby Itno. Nous ne pouvons pas rester indifférents sur ce qui se passe chez nos voisins. Le Cameroun est la porte d’entrée et de sortie du Tchad sur le plan économique et donc nous sommes les plus proches et les plus concernés par ce qui s’y passe.”
De fait, N’Djamena n’a pas intérêt à ce que l’intégrité territoriale du Cameroun soit entamée. Le Tchad, qui ne dispose d’aucun accès direct à la mer, se sert en effet du littoral de son voisin. C’est par le port de Douala, capitale économique du Cameroun, que les marchandises en provenance de l’Europe arrivent à destination du Tchad. Corridor de transit qui lui permet également d’exporter ses produits pétroliers.
N’Djamena redoute, en outre, que les violences de Boko Haram ne poussent encore davantage de civils à trouver refuge sur son territoire. Selon des sources humanitaires citées par RFI, plus de 12 000 Nigérians ont déjà fui le nord de leur pays en direction du Tchad.
Le pays ne souhaite cependant pas être le seul à s’engager dans la lutte contre la secte nigériane. “Je lance un appel aux autres pays de la CEEAC [Communauté économique des États d’Afrique centrale] pour constituer une large coalition, afin de combattre Boko Haram”, a déclaré, toujours vendredi, Idriss Déby Itno. Le Cameroun ne doit pas faire face seul à cette nébuleuse qui a fait trop du mal aux populations innocentes du Cameroun comme du Nigeria.”
– Vers une coopération militaire de pays africains ?
Par le passé, le Nigeria, le Tchad, le Niger et le Cameroun ont déjà été amenés à coopérer. Mais, comme le rappelle l’hebdomadaire “Jeune Afrique”, les différentes initiatives communes ont rarement été suivies d’effets.
En octobre 2014, les quatre pays membres de la Commission du bassin du lac Tchad (Niger, Nigeria, Tchad et Cameroun) et le Bénin se sont engagés à mettre en place une force régionale de quelque 3 500 hommes dès le 1er novembre. Faute de coordination militaire, les troupes n’ont jamais été opérationnelles.
Créée en 1994 par le Nigeria, la Multinational Joint Task Force (MNJTF) constitue également une force régionale spécialisée dans l’antiterrorisme. Mais cette initiative, à laquelle étaient associés le Tchad et le Niger depuis 2012, a elle aussi montrer ses limites. Le 8 janvier, sa base militaire située à Baga est tombée aux mains de Boko Haram. En raison de différends stratégiques avec Abuja, N’Djamena et Niamey avaient retiré leurs soldats avant l’attaque des islamistes.
De son côté, le chef de l’État ghanéen, John Dramani Mahama, qui assure la présidence tournante de la Cédéao, milite pour que le prochain sommet de l’Union africaine (UA), prévu du 23 au 31 janvier à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne, donne naissance à “un plan d’action spécifique pour en finir avec le problème du terrorisme sur le continent”.
La mise sur pied d’une force placée sous l’égide de l’UA devrait toutefois prendre plusieurs mois, a précisé à Reuters le président ghanéen, notant que des questions clés comme son commandement, sa localisation et son financement n’avaient pas encore été tranchées.
Une fois l’entité opérationnelle créée, l’UA devrait demander un mandat auprès du Conseil de sécurité des Nations unies pour permettre une partie de son financement, comme cela s’est fait dans la région du Darfour, au Soudan.
En attendant que la machine UA se mette en branle, la situation sur le terrain impose la mise en place d’une coalition temporaire qui dépend, en grande partie, de la volonté du Nigeria. Or, pour l’heure, Abuja n’a fait preuve que d’un timide enthousiasme devant la perspective d’une intervention tchadienne sur son territoire. “Tout soutien à nos opérations sera bienvenu mais il doit se conformer à nos propres opérations en cours étant donné qu’il s’agit du territoire nigérian”, a déclaré, samedi, Chris Olukolade, porte-parole de l’armée nigériane.
Reste que pour nombre de spécialistes la stratégie adoptée par le Nigeria demeure inefficace. D’autant plus en cette période où l’activité politique est comme suspendue à l’élection présidentielle du 14 février. “Le pouvoir à Abuja est éloigné de la zone de combats. Et comme le président Goodluck Jonathan est obnubilé par sa réélection, il y a un vrai manque de volonté politique, commente à RFI, Marc-Antoine Pérouse de Montclos, professeur à l’Institut français de géopolitique à l’Université Paris-8. Le Nigeria est un pays peuplé, un État fédéral qui connaît des problèmes dans la chaîne de commandement. Goodluck Jonathan maîtrise mal l’état-major, qui, lui-même, ne maîtrise pas très bien la base militaire.” Et de conclure : “Le Tchad et le Cameroun ne peuvent gagner la bataille contre Boko Haram si le pouvoir nigérian est incapable de se concerter avec ses armées.”
– Qu’attendre des puissances occidentales ?
Consciente de la difficulté d’harmoniser les stratégies, la France s’est dit prête, il y a un mois, à contribuer à la coordination d’une force militaire régionale. Selon “Jeune Afrique”, une cellule de coopération et de liaison a été créée à N’Djamena, où se trouve le quartier général de l’opération Barkhane.
Peu de chances, en revanche, que des troupes de cette dernière soient dépêchées au Nigeria. Forte de 3 000 hommes, l’opération est exclusivement dédiée à la lutte contre le terrorisme jihadiste dans le Sahel. En Afrique, comme dans les pays du Sud, aucun dirigeant n’a d’ailleurs émis le souhait d’une opération occidentale comme celle intervenue au Mali en 2013, ou, plus récemment, en Irak contre l’organisation de l’État islamique (EI).
La situation dans la région n’en reste pas moins un motif de préoccupation pour les grandes puissances. Pour la première fois depuis le début des violences perpétrées par Boko Haram, le président français, François Hollande, et le secrétaire d’État américain, John Kerry, ont qualifié, vendredi, les exactions du groupe islamiste de “crimes contre l’humanité”.
– Quels sont les pays menacés par Boko Haram ?
La progression de Boko Haram dans le nord-est du Nigeria ne cesse d’inquiéter les pays voisins, dont le Niger, le Cameroun, et le Tchad, aux frontières desquels le groupe islamiste s’est montré très actif ces derniers mois.
En octobre 2014, la secte s’est emparée de Malam Fatori et Damasak, deux localités du nord-est du Nigeria frontalières avec le Niger. “On peut apercevoir le drapeau noir des jihadistes flotter de l’autre côté” de la frontière, déplorait alors le maire de Diffa au Niger, Hankaraou Biri Kassoum. Avant de poursuivre : “Presque tous les villages, toutes les grandes villes du Nigeria proches du Niger sont à présent sous le contrôle de Boko Haram, nous vivons dans la peur d’éventuelles attaques des islamistes.”
Mais c’est au Cameroun que la menace islamiste se fait la plus forte ces derniers jours. Dimanche 18 janvier, au moins 60 personnes, dont de nombreux enfants, ont été enlevées dans le nord du pays lors d’un raid attribué aux islamistes nigérians. Au moins trois personnes ont été tuées pendant cette attaque, selon des sources citées par l’AFP. Il s’agit du plus important rapt perpétré sur le territoire camerounais par Boko Haram.
Une semaine avant, le groupe avait lancé un raid sur une base de l’armée camerounaise à Kolofata, située à 10 kilomètres de la frontière nigériane. Une attaque qui semble avoir été l’un des déclencheurs de l’intervention du Tchad.
Première publication : 19/01/2015
Source: France24